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Le retour à Oji


Dans le métro, la maman s’assoit sur la banquette réservée en face de moi avec sa petite de trois ans à peine. Nous entrons immédiatement dans un jeu de regards amusés ou plutôt curieux pour elle. Sa maman tête baissée visage masqué lui donne un sachet de sucreries et continue ainsi à regarder l’écran de son mobile, ne réagissant aux questions et exclamations de sa progéniture qu’en mode passif. 


Je ne veux pas dire que le sachet de confiseries sert à cela.

Je ne peux pas imaginer que le sachet de confiserie ne serve pas du tout à cela.


Malgré mes bouchons d’oreilles, et suite à nos regards furtifs - elle pas du tout dans le furtif bien sûr à cet âge-là - s’établit un échange réciproquement intéressé. Je crois l’entendre dire :


本読みたい!


Comme elle est très réactive par ma lecture d’un gros livre en regard de sa taille, lecture entrecoupée de nos regards. 


Une fois que je me suis levé de la banquette pour quitter le wagon, elle parle avec cette vigueur qui ne sait pas encore moduler sa voix à mère normalement effacée et gênée peut-être comme tout adulte se doit être de l’inquisition naturelle d’une petite fille de trois ans ou moins; elle me pointe encore et encore de l’index de la main droite :


お兄ちゃんは終わった!


Ou peut-être お爺ちゃん mais il est inutile d’y penser.


““PERCEVEZ-vous parfois votre propre dissonance ? Vous arrive-t-il d'éprouver ce sentiment flottant de perdre la face lorsque quelques mots étrangement scandaleux prononcés par d'autres vous font soudain vous sentir parfaitement excentrés des attentes du monde social ? On vous exhorte à reprendre ces mots, mais vous devinez que les prononcer reviendrait à renoncer à un capital autobiographique indistinct mais précieux, et à faire acte d'allégeance à une sorte de pacte qui vous définit à l'emporte-pièce. ”


Que du bonheur

Eric Chauvier


Ces mots font revenir en mémoire l’ouvrage lu il y a bien une dizaine d’années mais qui refait surface. Bien Chauvier, bien ce texte rare, exceptionnel. Aussi, d’Eric Chauvier amorce ceci dans une interview vidéo :


“… Trouver un motif de colère …”


A quoi j’accroche comme un wagon : “pas un motif de dérision.”


Sandra Lucbert parle de vacuole de la plainte. Ne pas oublier la vacuole de la dérision qui détourne du combat. Ce qui redirige vers le combat, c’est la colère. 


####Kujo


Me revient ces temps-ci l’article d’Actualitté sur le lauréat 2024 à la Villa Kujoyama d’un administrateur de l’Institut Français. Bien sûr que cette affaire sonne comme une tête à claque, une tête que l’on a envie de baffer, mais c’est toujours le cas ou le risque quand on observe de l’extérieur un écosystème à fort entre-soi. Les poissons aussi sont entre eux. Je viens de constater d’ailleurs qu’un second article concerne l’affaire dans la même publication sous forme d’une interview épistolaire avec la Villa, un peu comme un droit de réponse, mais dans les deux cas, le fin mot de l’histoire, la fin de chaque article, laisse le micro d’écriture dans les mains du suspect, selon l’habitude, le suivisme impensé, le réflexe absolument conditionné que ce faisant, le supposé ploutocrate se dévoile par l’expression de sa justification, ou l’énoncé d’une injonction à mépris contrôlé, le clin d’oeil de connivence entre le média et le lectorat étant considéré comme implicite. Vous zavez vu? Hein? Point d’ironie. Dans tout les cas le média a tord. Il perd la main.


Je ne veux pas dire qu’il s’agit d’une stratégie orchestrée par les puissants, juste, redite, un suivisme impensé, un réflexe absolument conditionné, un oubli de s’octroyer le droit à écrire la fin de l’énoncé, d’autant plus quand on a la main directrice sur le médium.

####ZAE

Plus intéressant est cette utopie de “zone à écrire” vers l’annonce de laquelle je mets exceptionnellement un lien, comptant normalement sur le lecteur pour faire l’effort de recherche par soi-même.


Il y a à boire et à manger. C’est intéressant. Il faut faire passer cela entre les mandibules et le palais, ne pas avaler tout de suite, ne pas cracher. Bref, y consacrer du temps de pensée. 


####Enoncés


1. Détournement des projets des urbanistes par les pratiques individuelles de l'espace

2. Convoquer des procédés littéraires


Enoncés empruntés ailleurs. 


Sur 1. Annie Ernaux écrit sur les supermarchés comme si dans les supermarchés, et le RER comme si dans le RER, comme une écriture in situ. Sa pratique individuelle, l’écriture, est une forme de détournement. L’exposition comme détournement de l’invisibilité. La rendre visible.

Sur 2. les procédés littéraires à convoquer sur le terrain du Japon, et de tout territoire autre qui commence par la rue à côté, c’est justement cela : attention au quotidien, à l’ordinaire, même si le terme “ordinaire” pose problème. L’ordinaire d’une vie, d’un jour tranquille, l’ordinaire d’un jour ou d’une heure dans un camps palestinien ou sur la dalle de Cergy Pontoise ou à l’AEON de Hinodé qui est comme Cergy au niveau fonctionnel. Charles Reznikoff dans Holocaust compile l’ordinaire du camps de concentration, l’horreur ordinaire, l’ordinaire fait d’horreur. Pour ici qui est Tokyo, le Japon, sont requises aussi des écritures de l’attention aux ordinaires, qui sont absentes, et d’après ce que j’ai lu jusqu’à présent, totalement absentes historiquement hors les domaines universitaires de recherche. J’aime bien le projet de l’heureux lauréat de la villa dans la catégorie littérature, mais ce sera un roman, et il n’y a absolument pas de place pour le roman.


Ordre du ministère des Armées Littéraires : déclencher une attaque surprise terre air mer, un débarquement fulgurant de littéraires, stylos, claviers et autres appareils en main, pour investir le quotidien. Aucun coinstot bizarre ne sera épargné de la plume descriptive.


Liza Dalby écrit dans Geisha sur l’ordinaire de l’écosystème Geisha. On n’oubliera pas pour autant que ce faisant, elle ignore, tout comme la presse, les geishas non-blanches, d’origine de la Grande Asie. Avec Sayuri, geisha australienne qui a fait apparemment sécession au système, il s’agit dans les deux cas d’occidentales, ce qui en fait l’intérêt pour le regard occidentalisé.


####Pharma


A la pharmacie attendant les cachets, la télévision de 11h du matin diffuse une émission où un aréopage de dames majoritaires sourient d’aise aux images et mini-interviews incrustées de touristes occidentaux, la minorité visible, qui aiment les bentos. Aimer voir des pandas exprimer l’amour des bentos est donc une formule qui n’évolue pas. Les occidentaux sont tous blancs, hormis des visages asiatiques anglophones, et ont tous entre 20 et 40 ans, l’âge moyen de l’hominidé normalement constitué qui aime les bentos.


####Le retour à Oji


A Tokyo Guesthouse Oji, et probablement la première fois cette année. La jeune femme dont je n’ai pas le souvenir à la réception me trouble, de par l’anneau à son nez, l’absence de sourire tout comme d’affect de tension. Je jette un coup d’oeil plutôt stressé au menu sur le comptoir qui est redevenu complet, de cette cuisine d’assemblage que je refuserais de manger partout ailleurs. Il y a bien le menu de la semaine fait maison, mais comme il s’agit de viande de porc hors le filet, le gras est garanti qui n’est pas à mon goût. Je prends le menu d’alevins de sardines sur un lit de riz pour 1000 yens - auquel manque si on me lissait faire en cuisine un peu de râpé de karami daikon qui ferait le plus bel effet en bouche -  ce qui comprends une soupe bouillon transparente dénuée de solides mais bienvenue, un jaune d’oeuf que je réussirai à ne pas briser presque jusqu’à la fin du bol - la prochaine fois, demander sans jaune d’oeuf - et deux lampées de salade quelconque comme il se doit, et un café chaud, mais aussi les boissons froides au comptoir latéral en self-service où le café froid mais sans glaçon est particulièrement bon. Pour 1000 yens, j’ai aussi l’espace agréable, le wifi, le chauffage, la musique simplissime au bord de la bêtise mais à un niveau sonore honorable et parfois elle est simplement et heureusement coupée, ce qui permet de finir cette phrase sans être dérangé. Je prends même un dessert d’assemblage ce qui monte la note totale à 1500 yens, montant avec lequel ailleurs je connais ailleurs des merveilles de cuisine faite maison à la commande, mais sans l’espace et le temps élastique et le reste. Et la gentillesse des actuels propriétaires ou gérants je ne saurais dire. Il faut faire concession.


####Avignon



La jeune femme de tout à l’heure qui m’intrigue s’est assise dans ma perspective et prend son déjeuner. Elle porte une veste qui s’apparente dans sa forme générale à un happi molletonné bleu foncé mais proprement d’obédience traditionnelle. Elle porte un pantalon bouffant qui a un quelque chose d’oriental, de couleur pourpre, qui s’associerait bien avec des babouches en cuir. De par sa taille et tout en mangeant, regardant droit devant elle vers l’extérieur, donc de profil dans ma perspective, elle balance doucement ses jambes comme ses pieds ne touchent pas le sol, ce qui lui donne un air enfantin. Et puis je fais le lien. La jeune femme avec un visage à l’identique hormis l’anneau nasal, même absence de sourire, même air soucieux mais tout aussi attentive dans la communauté à Avignon en automne. La plus mystérieuse de toutes. La ressemblance d’ambiance, parce qu’il s’agit d’ambiance humaine, de visage qui si placés côte à côte révèleraient sans doute qu’il s’agit de ma part d’une affabulation, est bien ainsi. Elle ne demande pas à être explorée plus avant.


####Sept


Juste à la fin de son repas débarquent sept voyageurs occidentaux, des jeunes de la même génération, sept jeunes hommes accueillie par Blanche Neige aux cheveux teints auburn qui ne sourit pas mais est très attentive, sept jeunes harnachés d’une quantité de sacs et valises de tailles diverses, tous en tenu trekking de ville ou apparenté, tous cheveux courts si pas absence de cheveux, tous sveltes, plutôt peu grands de taille, pas des grandes gigues de Suédois, ayant moins passés de temps à se gaver devant l’ordinateur avec l’embonpoint générique en prime je suppose. Je les sens très outdoor, sportifs. Je ne reconnais pas la langue qu’ils parlent que j’imagine être européenne.