Journal de guerre touristique à Kyoto - Extraits



Seul sans voyageurs, avec son discours à soi en tête à tête, Kyoto est parfaite dans les excentrés, dans les interstices, même dans le coeur de Gion. On lui donnera le sexe féminin. 


Kyoto n’existe pas, tout comme ailleurs. Il y a des quartiers, des attitudes, des feintes, des vitesses de croisière à soi. C’est surtout cela : des feintes et des vitesses de croisière. 


Mission : trouver ses pas, et feindre, sans compter.


Dans les villes, il n’y a pas de touristes, mais des flux et des nodes de stagnations touristiques à visées consuméristes. 


Pour observer ces phénomènes, il faut thermodynamiser le regard.


Le touriste déclenche deux réactions contradictoires : 1. le mépris, 2. l’empathie. S’entraîner au point 2.


Pauvres troupeaux de personnes âgées clairement souffrantes, épuisées de long courriers. Des couples aves bébés en poussettes.


Envoyer la salve des contre-arguments automatiques.


Y font c’qui veulent.

Y z’ont choisi.

Kès que ç’a-t regarde?


Chacun police l’opinion divergente dans le sens voulu par le commercial.



Résidence Yoshida-ryo, bohème estudiantine mythique. Visite en délégation jusqu’au perron pour accumuler des photos et les envoyer loin, avec en clin d’oeil : tu vois? j’y suis allé.


Sur le chemin, un bref jet d’une odeur familière, du bois mais pas en note japonaise. Et deux pas plus loin, un magasin de stockage de bois aggloméré. L’odeur de la planche trop lourde sur laquelle monter un mirifique circuit de train électrique n’avait jamais abouti. Au retour, soudaine anosmie, la formule réveil mémoriel cette fois-ci ne fonctionne pas. 



Il y a de quoi mythifier Yoshida-ryo. 


Mission 0. Arrêter la mythification, de suite. 


Quelques mots à proximité du porche avec un jeune guitariste qui s’avère ne pas être un étudiant mais un voyageur au grès du hasard, un vagabond. Il voyage depuis trois ans. 


La conversation qui a débuté un peu tendue devient vite hors tension. Quel courage d’être hors norme. Les étudiants, invisibles lors de mon passage, vont tous finir costards cravates sur moquette ou marchands. Ils auront vécu avant. Certaines jeunes femmes s’enfuiront voir ailleurs, peut-être.



Mission 1. Y être, indifférent, c’est à dire avec une indifférence feinte. Une forme de jeu.


Sans plus de développement. Le discours touristique est un discours totalitaire et industriel. Les sujets relevés dans la presse, courroie de transmission aux ordres, ne devraient concerner en rien l’individu voyageur qui les a pourtant dans la bouche et les oreilles et les songes en permanence. C’est l’objet du discours : ne parler, ne penser, n’évoquer que cela. En bien, ou en mal, n’est plus la question. 



Quand mal à l’aise avec la propagande, il ne s’agit pas de trouver des solutions au surtourisme, sauf à postuler pour un poste de ministre, mais se réveiller sur le fait du choix, qui demande une attention de tous les instants, entre ne pas y aller, y aller autrement, terme éculé, aller ailleurs. 


Mission 2. Etendre la gamme des choix.


Mission 2,3. Changer de trottoir.


Mission 2,5. Y être comme si y résider avec en mémoire vive le pactole des savoirs-ville dans la tête et les jambes.


Mission 3. Etre partout comme chez soi, donc feindre en connaissance de cause d’être chez soi. Le paysage marchand, son homogénéisation du nord au sud hélas aide en cela. 



Constat. La lecture intensive des cartes en prévision pour se faire des savoirs-ville de pré-déplacements a un impact certain sur le sens de la direction in situ. Magellan aussi faisait cela.


Devant la mairie de Kyoto, manifestation contre le maire qui consacre les mannes fiscales à toujours plus de facilités pour distendre les gros flux et ainsi les faire grossir,  et permettre plus discrètement à la gentrification de manger les espaces de traditions. 


A Gion, un nouvel Hôtel Impérial va jouxter le théâtre des arts traditionnels, en remplacement de quoi? 


Saint-Gion-des-Prés.


Mission. Déposer la marque.


Deux hommes souffrants avec banderoles en chaises roulantes. Trois homme valides. Ils manifestent avec discrétion. Pas même un vigile en vue. Un cortège statique positionné sur un lieu de très faible passage piéton somme toute. Du parvis de l’hôtel de ville, tout le monde s’en fout alors que juste à l’opposé les pelleteuses s’affairent autour du temple Honno-ji dont le foutraque glâbre m’enchantait beaucoup. Cela fera un beau vis-à-vis pour les VIP en descente de berlines.



Faire son Thomas Clerc à Kyoto, cabotin un brin encore gêné, invité futur à Kyotographie. On fourgue aux célèbs un Instamatic et zou, va faire ton zen. On expose les photos, on se congratule au buffet. 


J’engage la conversation avec un qui me paraît le leader. Je lui demande dans quelle mesure Matsui, le maire, est une ordure. Tout va dans la mise en condition de toujours plus de tourisme, et créer les conditions pour la marge du haut de gamme, au détriment des aides sociales. me dit-il, à peu près. 


Quand en voyage, les rencontres spontanées sympathiques hors les échanges commerciaux sont une rareté. Celle-ci est vouée à monter en mayonnaise de légende. 


L’AFP ne couvre pas l’événement sinon que de détourner l’attention vers une lecture erronnée ciblée de l’augmentation de la taxe journalière municipale, au bas mot, de quoi s’acheter deux onigiris.


Taxe de bain : 150 yens par jour, avec ou sans bain.


Attente longue des bus 15 ou 30 au choix.


Stratégie. Quand en ville ailleurs, prendre le bus. Garantie de monter en gamme dans la feinte de se faire croire local.


Dans cette ville compacte en son centre et la complexité du réseau, prendre un bus au hasard qui pour l’instant m’a mené à chaque fois dans la direction voulue sans trop regarder.


Sauf que le 15 est plein comme un oeuf. En signe de solidarité avec le Kyotoïte moyen qui peine dans le 15 avec une marée de touristes, je boycotte le 15. Le 30 juste derrière est abordable.


Futur thème et titre d’un ouvrage de sociologie urbaine : Kyoto : histoire d’une gentrification française.



La Kamogawa plus au nord est une beauté, de rivière gentrifiée. C’est Berlin on the Kamogawa. Le lendemain matin aussi par temps couvert, c’est Berlin confirmé. L’amplitude du lit est remarquable, pour s’y coucher aussi. 


Si plus étroit, l’aménagement des berges aurait encore plus artificialisé l’espace. Tel quel, avec les floraisons en prime ce jour, c’est comme marcher dans une publicité sur Kyoto. Justement, pas le moindre panneau publicitaire en vue. La rivière est le panneau. Panoramique. Peu de monde.


Alors que les immeubles sur les affreuses avenues de la station roulant vers le nord sont sombres mausolées, sans doute pour se la jouer solennel, ici les blocs d’immeubles sont clairs ou évoquent le bois.


Seul le facteur automobile est considérable, énorme.


Travaux d’embellissement progressif des trottoirs. Rendez-les uniformisés. Les boutiques suivront, les marcheurs infatigables aussi.


Il est clair que l’objectif est de créer une continuité sur la route 32, de la mairie jusqu’au Delta de Vénus au Canards. 

Addendum suite à un passage ultérieur à Hiroshima où  la refonte du territoire autour de la gare est phénoménale et le clonage avec les autres villes affligent d’indistinction, une ligne de tram va partir des quais de la gare droit dans la ville, indiquant que pour lier efficacement et plaisamment le carrefour frontière au niveau de la mairie jusqu’au delta de Vénus Demachiyanagi, c’est un tram que la ville doit réadopter pour la route 32. 

Extrait:

Contemporary urbanism has renewed the tradition of flanerie to read

the city from its street-level intimations. Here too, we encounter the idea

that the city as ‘lived complexity’ (Chambers 1994) requires alternative

narratives and maps based on wandering.


Cities - Reemagining the urban - Ash Ami , Nigel Thrift 2002


Sauf que quand le niveau de rue se réduit à un accès vers le centre commercial identique à un aéroport, c’est la transition  telle celle du train dans un tunnel qui demeure. L’arrêt contemplation n’a plus lieu d’être. Seuls sont captés les écrans en passant.


Dans cette direction, la rive occidentale au niveau du parc fluvial Kojinguchi Kamogawa est du plus pur Berlin. Redite.


Souhait mais vraiment optionnel. Se faire hospitaliser dans l’hopital universitaire avec vue sur la rivière. Ne pas m’inscrire dans la liste prioritaire, okini.


Matinée lave-linge. 


Projet de livre : Laveries secrètes et insolites de Kyoto.


Au Fushimi-Inari, le dernier stand expose des brochettes de trop grosses boules de riz glutineux battu industrielles. Autour, c’est tous les jours fête foraine. C’est sympa. 


Une touriste demande en vain en anglais combien cela coûte. Le vendeur, 70 ans au bas mot ne sait comment réagir. J’interviens, comme la police, en rang et dents serrés, casques et matraques. 700 yens. Elle est au bord de l’apoplexie.


You mean …. 700 yens!?


Je lui réponds : it’s a rip off.


Elle part ulcérée. On en achète une. Un brave type le marchand. Faut pas l’agresser. Fait son métier. Faut vivre. Il applique la loi de l’offre, de la demande, et de l’absence de pensée analytique. 


Faire la bise aux geishas, se mettre plein de blanc autour des babines et retrouver la sensation du bébé au yaourt bavé. 


Non, ce sont des bêtes de somme. Quatre heures de sommeil, sur scène et en salons privatisés deux fois par soirées. Elles offrent la gentillesse, la conversation immédiate, les sourires et moues joueuses, le regard droit dans les yeux, et des contacts de peau à peau avec des jeux de retombée en enfance. Un paradis paternaliste. 



Miyako-odori. Puissant. Si, si, il est encore possible d’être ému.


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