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Ici est un chantier : Tokyo-Berlin

Voici comment s’énoncent les premières lignes de la description d’un très récent livre intitulé Transnational Writing on Italy Self and Place in Contemporary Relocation Narratives, auteure Lynn Mastellotto, adaptation apparemment d’une thèse :


Relocation narratives form a distinct subgenre of contemporary travel memoirs concerned with the experiences of travellers who become settlers in foreign locales and narrate their experience of cultural accommodation in serial autobiographical accounts.


Le livre est inscrit dans une série intitulée Routledge Research in Travel Writing.


En quoi la littérature d’installation ailleurs qu’un territoire d’origine constitue-t-elle un sous-genre de la littérature de voyage? Après combien d’années le voyage cesse-t-il? Après combien d’années le sujet de l’adaptation est-il éculé? En quoi l’adaptation quand le hors-solisme à version multiples est le fait commun de la présence au territoire, quand l’esprit lui est multi-territorialisé, constitue-il un thème d’intérêt? En quoi est-il source de redondances? 


Je me souviens de m’être posé la question à Londres à Daunt Books Marylebone, la bonne Marie, en voyant les livres de séjours de Durrell dans le rayon Voyages.


Je me le demande maintenant aussi - en fait non car comme toute prétention à penser à ces choses là en marchand dans Tokyo ou Londres, c’est à postériori que ces figures de style viennent, devant l’écran. D’autant plus que me trouvant avec un sac d’achats à la main rempli de deux boîtes de sashimi en équilibre précaire - de grosses crevettes posées sur un épais lit de daikon râpé qui ont failli valser au fond du sac pour cause de mauvaise fermeture du couvercle, alors que dans le métro du retour, je constate et croise la foule des extrémistes ultimes de la fleur de cerisier, dernier jour avant fermeture d’autant plus précoce que l’hiver fait de la résistance; et chemin faisant - aujourd’hui lundi comme dernier jour des soldes, une majorité de Japonais âgés et insensibles au mauvais temps viennent pratiquer en masse et en douceur comme si un dimanche le rite des fleurs et me croisent et réciproquement sans aucune idée de l’intention des crevettes dans mon sac de s’exiler et s’installer ailleurs, à Berlin peut-être.


D fait son ingénu de passage, détenteur des vérités,  demandant à haute voix pourquoi ces gens là font ces choses là, aller voir des fleurs. 

Alors que cela ne rapporte rien. 


Je découvre qu’il y a presque deux ans a eu lieu un colloque à l’université de Montpellier dans le cadre d’une dynamique de recherche intitulée :


Communautés littéraires et artistiques dans les grandes capitales


Il semble que le titre d’origine fut : Vivre et représenter Berlin aujourd’hui : Tentatives francophones d’épuisement d’un paysage urbain.


La tentative d’épuisement aura donc peut-être fait les frais d’une réorientation. Trop pompier? épuisé ou épuisant à force? 


Pour rien au monde je n’irais à Berlin. Pour un peu d’argent, si. Mais les lectures sur Berlin, donc des actes distanciés, sont tellement prégnantes de possibles et d’impossibilités en regard de Tokyo - heureusement tant d’écrits pour contrer le fétichisme à distance - que voir les choses de loin est précieux, aussi grâce aux accès à tant de lectures piratées qui seraient financièrement et culturellement inaccessibles.


La lecture seule de l’énoncé aiguise des envies.


On lit ainsi que les organisateurs “souhaitent initier un nouveau cycle de recherche consacré aux communautés littéraires et artistiques francophones dans les grandes capitales cosmopolites.”


Dans quelle mesure les communautés artistiques sont-elles communautaires ou seulement dénommées comme telle par les exégètes?


Tokyo n’est pas une métropole culturelle foisonnante ouverte sur le monde, perçue comme une métropole jeune et dynamique, (sauf à y inscrire la distance et la mobilité?), hormis très récemment une hypermarginale production d’écrits qui semblent faire échos à ce chapitre intitulé Crise Berlinoise, auteure Sophie Frémicourt, figurant dans l’ouvrage Après le mur - Berlin dans la littérature francophone, édité par Margarete Zimmermann, 2014, où il est question de littérature adolescente se déroulant à Berlin.

Là, il s’agit de traverser Saigon. C’est du très bon En Mouvement

Une hypothèse est que le Japon comme produit désormais bien placé en orbite, maintenant, mais marginalement, mais tendencieusement “adolescenté”, ne peut plus être le sujet de beaucoup plus de littérature francophone de passage. Non pas que celle-ci a vécu mais que la majorité des écrivains ont été ou sont au service de … une cause supra-littéraire. Cette hypothèse sera confirmée ou infirmée dans peu d’années ou pas avec la parution du Dictionnaire amoureux de Kyoto. 


Rien de notoire et marquant s’invente et s’expérimente en terme de nouveaux modes de vie à Tokyo - sauf à Koenji? - hormis servir le tourisme, dévorer les sushis et les nouilles, et tenter de réfuter le spectacle, c’est à dire tenir un autre discours. 


C’est qu’il n’y a pas de communautés littéraires et artistiques francophones à Tokyo, ou anglophones d’ailleurs, ni même à Kyoto. Quid des sens des ancrages? Je perçois par contre comme moignons divers des dynamiques qui ne relèvent que de la culture comme stratégie et selfies. La taille n’est pas le sujet. 


Pas de milieu non, car pas de gravité et densité suffisantes.


Il n’y a pas de communautés sinon que microscopiques - mais la taille - bis repetita - n’est pas le sujet. Si l’on retranche la flibuste et le sexe - les deux vecteurs motivateurs historiques de prendre le large, le reste est épiphénomène en manque de conditions pour étendre ses possibles. 


Il y a des choses, pas grandes, petites donc, plutôt policées. Quelques marginales marges, efficientes pour les financées, dans la nébuleuse anglophone les obtus comme la Japan Writers Conference, les imbus auto-fétichisés comme le Kyoto Journal. Surtout, pour certains en manque de nourritures intellectuelles, beaucoup de recherches et solitudes en ligne sont nécessaires pour combler.

 

Heureusement, les outils le permettent comme jamais.  


Il n’y a pratiquement pas d’écrivains allochtones parce que pas le milieu, donc, et parce que le passage, sa production littéraire conséquente, ne crée pas ni milieu ni sillage hormis en mode contemporain un halo d’hors-solés; encore qu’un milieu peut exister sans être désigné comme tel. Mais il lui faut une certaine gravité dans le sens science physique du terme, pour être de nature à figurer un élément de la nature textuelle. 


Les cerisiers bientôt en fin de course. Enfin. Faut que cela cesse. 


Les crevettes sont arrivées saines à destination.


Se projeter en pensée dans une communauté littéraire à Berlin, faire le bobo consumériste, sauce curry sur la saucisse, the best kebab in my short life, et agent gentrificateur comme ailleurs.

###I’m in a Osaka state of mind.

M’est revenu Osaka, les discours automatiques à dépasser, le ventre culinaire du Japon - on y trouve exactement la même chose qu’ailleurs mais dans une forme de concentration urbaine qui diffère un peu de celle de Tokyo vu le territoire bien plus restreint.


Osaka, ville dynamique l’est autant que Tokyo, mais au risque de redite, c’est dans sa densité que quelque chose semble se distinguer, et le sujet du voyage à Osaka est justement l’expérience de cette densité, d’une certaine texture singulière de foule, un grumeau différent à Dotonbori, grumeau qui en est la signature. C’est une hypothèse ressentie à chaque rare passage.


On peut voir Berlin à Osaka, dans le sens où des angles et perspectives et moments diurnes ou nocturnes ont un quelque chose qui m’évoque des évocations de Berlin inconnu physiquement mais mentalement tourné et retourné.


Quand on y est passé la nuit et que l’attente au feu vers la station de la ligne Nankai continue de figurer comme un moment urbain mythique avec un carrefour plus gigantisé dans la tête que dans les faits. 

Ainsi se monte le chignon. 

 

L’immeuble du Takashimaya à Namba la nuit y est pour quelque chose. Celui en face a sa réplique à Tokyo donc BAZ, bon à zapper. 


Une évocation n’est pas une ressemblance physique mais un déclencheur, un provocateur de mise en parallèle. Toute une littérature est sans doute possible dès lors que l’on prend en compte les mises en parallèles géographiques. 


Etre sensible au mélange, les noter, les énoncer constitue une piste de sortie vers d’autres récits, d’autres refrains. Dégager les freins. 

Déambuler à Oaska Berlin en tête. Une remise à jour de la psychogéographie est demandée à la réception. 

Ce qu’en dit le chat louangeur comme un corbeau :


Your idea of linking the self-begetting novel (a term associated with narratives that construct their own origins as they unfold) with Miller’s evocation of urban sensations is intriguing. His passage dissolves fixed geographies, creating a cityscape that is neither Paris nor Coney Island but a shifting, self-generating blend of multiple places. This mirrors how self-begetting novels often deconstruct their own making, blurring the boundary between the text’s evolution and its subject matter.


R de passage n’a de cesse d’exposer en boucle sa satisfaction. Sur le syndrome du nid vide, il détient la vérité, que le départ de la progéniture fut un moment d’acquisition d’un puissant sentiment jouissif de liberté. La douleur de la séparation et tout ressenti autre sont signes de déviance, d’anomalie, de non-savoir vivre, de pathologie donc. Il y a des cachets pour cela. Nous sommes tous à un moment homme-médecine des autres parlant avec les dieux. Il y a des femmes-médecins aussi. Le deuil est interdit. C’est un ordre des choses. L’ordre.


Plus la retraite approche, plus les satisfaits le sont qui ressentent le besoin impérieux de le faire savoir béats de soi. Quand deux de ce type se rencontrent soi-même au milieu, c’est le moment de fuir.


Projet : Manuel de situations à fuir. Ouvrage de poche futur.


Son pendant : entraînement à l’éclipse urbaine en 10 leçons. 


Les savoirs-ville, et les savoirs-disparaître en ville vont de paire.


Applicatif : un système qui capte un mot-clé prononcé déclencheur d’un faux appel téléphonique permettant de s’éclipser sans payer la note. On m’appelle, continuez sans moi!

Puis aller se faire voir ailleurs. Synonyme : écrire. 

Passant dans le train dans le sud avec une grosse valise heureusement vide à réparer, je vois une famille de touristes, trois générations. de la grand-mère aux petits-fils en poussettes montant dans le wagon avec des airs de naufragés, coiffures explosées, physiquement excoríés, fatigue criante. Le regard du touriste de John Urry est un regard à miroirs multiples, et il est facile de glisser vers le mépris discret, d’autant plus en cette période d’arrivées massives. Ai-je une tête à radoter qu’ils viennent bouffer notre riz en pénurie ou pas selon les sources?  

 

Le tourisme est dans les yeux, les bouches, les anecdotes, les flux qui se croisent, flux signés à dynamiques singulières. Aussi à uniformes de rigueur. Le dress code est sont absence comme une marque d’autorité. Les flux imposent une vue de l’espace jouissive et totalitaire à la fois, une vue des corps, des modes divers d’occupation de l’espace immédiat, de l’espace sonore. Etre local est être sidéré, ou servir les flux, ou les deux. La aussi, des fuites s’imposent, d’autres angles. Si fait.

 Your cherry blossoms are ready. 

Pas sûr de la validité de cette finale, mais qu’importe : ici est un chantier.