Le lien lieu-lien
Créer un lien, créer un lieu, deux approches identiques en écho. Lien-lieu, lien à lieu égale attachement. Il en faut peu. Un seul lieu suffit à chercher, dans la rue. La sociologie est pleine d’études sur l’attachements aux lieux. M’est apparu récemment qu’il ne faut pas jeter les hallucinations générées par les LLM. Elles sont les interstices d’ailleurs, de possibilités, de promesses de quelque chose recherché sans savoir exactement quoi, sans y mettre de mots adéquates. C’est devenu depuis peu une pratique et une formule : élaborer un énoncé explicatif de la recherche puis demander une liste d’ouvrages et articles durs à la dent qui pourraient illuminer la chose même si mal fagotée. Etre accueilli en réponse de LLM par la formule américaine de félicitation sur le bien-fondé, l’acuité, l’originalité incontestable du sujet. L’encouragement systématique. Viennent ensuite des énoncés dangereux et courts où le LLM pense à voix haute comme si demandant confirmation de ce qu’il en retourne du sujet, énoncés dangereux parce qu’apparemment clairs, avec risque de glisser sans plus trop de pensée vers la sensation que “c’est exactement ce que je voulais dire, mais je n’avais pas les mots pour cela”, alors que c’est du gruau.
Vient ensuite une liste d’ouvrages et de textes dont nombreux ont pour effet de provoquer l’enthousiasme : voilà bien le genre de livres-titres que je cherchai. A partir de là, on se saisi d’une fourche à deux branches. La première est une injonction au LLM d’avouer l’hallucination : dans cette liste, quels sont les mentions inventées. Subir l’aveu d’avoir créé de toute pièce (mais il ira loin!). La seconde est de poursuivre ses requêtes à soi sur le web sur la base des titres offerts que le LLM a avoué avoir inventé. En quelque sorte, les titres d’ouvrages et d’articles affabulés caressent malgré tout la quête du chercheur dans le sens de l’espoir d’avoir trouvé le filon. En parallèle, les recherches web sur la base des titres imaginaires permettent d’aller à la pêche d’autres trouvailles, d’impensés. Dans le meilleur des cas, l’hameçon d’un titre inexistant va déboucher sur un titre existant, et d’intérêt. En quelque sorte, le web ne ment pas, encore. Il tourne et détourne.
Lui : My argument is that a sense of remote places on previously visited locations can be maintained, nurtured and actualized by active usage of Googles Maps and online resources that inform about the current status of those places. From their, I argue that such activities of curating and actualizinf remote places for which I have an attachment not only mobilize nostalgia, but move nostalgia from the mere regret of the past to a state where nostalgic feeling are updated, upgraded by what is new and happening over there. Is there a corpus of researches around these arguments of mine?
LLM: Your argument about how digital tools like Google Maps transform nostalgia is fascinating. Rather than nostalgia remaining fixed on past experiences, you suggest it can be actively maintained and updated through virtual engagement with places we've visited.
Viennent ensuite des expressions qu’on aurait voulu siennes et inspirantes : mediated nostalgia, productive nostalgia, progressive (rock?) nostalgia.
Mais là, on sent le jargonneur producteur d’éléments slogans de langage qui complaisent mais en fait ne tiennent pas la route de la moindre analyse.
Viennent ensuite les ouvrages sollicités à commencer par :
The Future of Nostalgia in the Digital Age\*\* by Katharina Niemeyer (2023) - Examines how digital tools reshape nostalgic experiences and create new forms of temporal engagement.
Ouvrage consulté - qui existe comme son auteure mais sous un autre titre et date de parution - qui provoque deux réactions : tiens, c’est intéressant! Ah non, c’est pas exactement cela.
L’ouvrage suivant, inventé, se révèle être un ouvroir à ah-ha! de possibles. Il met en branle l’imaginaire vers d’autres pistes dans la steppe.
Progressive Nostalgia: Curating Digital Geographic Information as Memory Practice" by Sébastien Caquard and William Cartwright (2023) in \*Memory Studies\\
Le titre est introuvable, mais Sébastien Caquard est un vrai professeur à la Concordia University qui mène au concept et procédé de cartes sensibles, avec en parallèle l’apparition en caméo dans le champ d’investigations de la nostalgie anticipatoire avec la photographie comme vecteur de fixation de lieux voués à la gentrification où la patine est détruite au bénéfice du faux kitch. La nostalgie du présente est donc cette sensation de nostalgie dans le savoir que ce qui est vu ne sera plus visible.
On peut ainsi chercher en vain, accumuler les ressources pas lue, et ne pas avancer.
Le passage de la carte euclidienne touffue à la carte sensible passe peut-être par la carte simplifiée, toujours euclidienne, mais mobilisatrice de (re)mise en mémoire vive hors de l’exhaustivité de Magna Carta Google.
Intermède : Juste à ce moment à 10 000 km, N me demande où se trouve cette boutique de prunes salées (et de miso) où j’ai accompagné sa mère l’an passé. Nostalgie lointaine mobilisatrice de consultation de la carte ici sur un lieu à anticipation de disparition forte.
D’où cet entichement pour le plan dessiné de Kyoto figurant dans le livre Geisha de Liza Dalby où seul le tracé du tram n’existe plus. Plan toujours valide pour “se donner une idée” grosso modo, et tenter d’échapper in situ à l’écran, sachant que grosso modo, ce dessin des années 70 reste actuel et d’usage dans le présent.
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Kyoto à minima #1 |
Mais mon argument reste celui-ci, qu’une forme de performance est possible in situ qui a explicitement et consciemment pour objectif de préparer le terrain mental à la remémoration, remise en mémoire vive et mise en présent même à distance de lieux situés dans une revoyure potentielle ou impossible par recherche active de ce qui en fait le présent. Il s’agit de balancer le pur mémoriel à cénotaphe avec des éléments du contemporain, même quand ce contemporain a oblitéré ce qui était connu mais le reste toujours malgré l’absence. Parmi ces performances, je situe les actes au plus proche du quotidien - d’un quotidien possible s’il s’agissait ne n’y être pas que de passage - comme les plus prégnants - et jouissifs à la pratique. Cette année, avoir lavé son linge sale à Kyoto, Wakayama et Kurashiki, et ce qui s’est cristallisé autour comme petits événements de la banalité, événements justement escomptés. A Kurashiki, avoir noté un restaurant de sushi vide proche du local à laver pratiquant depuis une quarantaine, avec ce fond permanent de compresseur de frigo qui intensifie dans une telle situation d’absence d’autres clients et heureusement de musique de fond la similitude avec un aquarium. Dans ce cas-ci les aquariums signes d’un temps à fréquentation sûre étaient vides et comme poussiéreux.
Tout à l’heure sur la photo d’un carrefour complexe quelque part en haut de Belleville est apparu la mémoire d’une pissotière qui figurait sur le terre-plein central toujours présent, ou ce qu’il en est qui colle au moins avec des bribes de souvenirs topographiques. C’était là quelque part qu’était apparu le poster aux fesses exposées de Michel Polnareff. Mais le sujet n’est pas la nostalgie pure mais celle rendue impure par l’impact de voir et élaborer autour des conjectures sur ce qui anime le présent du lieu, une nostalgie augmentée, actualisée. Il faut peu de lieu pour se (re)faire un territoire.
A noter cet ouvrage complètement ignoré par soi, Tokyo, Memory, Imagination, and the City (2017).