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Le quotidien comme milieu



Liza Dalby écrit sur un milieu, celui des geishas, avec l’avantage d’être à l’époque étudiante-chercheuse en anthropologie. Ceci n’explique pas pour autant la douceur de ses propos d’où affleure dès les premières pages une forte atmosphère d’entente chaleureuse et réciproque au sujet de laquelle elle n’élabore rien. S’agit-il seulement de l’avantage d’être entre femmes?


Combien de gaijins ont écrit sur le Japon hors leur thèse dans la perspective d’un milieu local investi? Combien écriront sur un milieu, dans un milieu? Ce n’est pas les milieux qui manquent pourtant. Ecrire sur un milieu dans un milieu est la porte ouverte à sortir de la narration contemplative de soi, le nombrilisme. Comme ici. On a tous un milieu à portée de main, sans académisme aucun. C’est le quotidien qui est milieu, qui fait office de milieu. Il n’y a qu’à se baisser, si adosser, y tremper la plume, le clavier.


Je ressors de la bibliothèque Quit Your Band de Ian F. Martin, 2016, livre sur la scène musicale underground japonaise. Je suis totalement inculte sur le sujet et pas attiré par ces musiques, mais tout récit sur un milieu m’est attirant. Un trait géographique intéressant : tracer une ligne qui part de Koenji à Shinjuku, puis se poursuit via Akihabara - ainsi redéfini comme étant aussi autrechose que le fantasme Cool Japan - jusqu’à Koiwa pour le bar scène musicale BushBash toujours pas visité mais un peu fantasmé. On obtient ce que l’auteur nomme la “Chuo Line music”, expression que je _géographise_ dans l’espace pour forcer un autre axe virtuel dans la pelote de définitions autoritaires marchandisées d’une ville. Il se trouve que les rails sont construites et depuis longtemps comme toutes les stations concernées s’égrainent sur la même ligne. Mais proposer ainsi une ligne ferroviaire mentale où roulent les exériences - ou à défaut le songes d’expériences - est riche de redéfinition pour soi de la cité. L’auteur a un second ouvrage en préparation. 


####Petits plans


Pérec dans ses carnets de promeneur grifonnait-il aussi des plans, des petits plans de rues, des gribouilles sommaires, des résumés de quartiers selon les artères essentielles qui ne sont pas nécessairement les artères automobiles? Aucune idée. 


####Tokyo Crush


Lu en un trait et surtout en diagonale Tokyo Crush de Vanessa Montalbano. Ce pourrait être Tokyo par la queue, à condition que le texte ne fut pas édité à mort pour faire vendre des billets d’avions à destination du Japon. C’est en conséquence - pas sûr que cela soit à l’origine l’intention de l’auteure - de la littérature de placement de voyages sans pour autant être en aucune manière un guide sinon que pragmatique du quotidien pour détenteur d’un visa vacances travail. Si l’on retire les tranches explicatives des usages du Japon, essentiellement de Tokyo, il ne reste pas grand chose dans un volume déjà pas épais. C’est bien écrit, bien édité, ça ne laisse aucun goût en bouche, comme les agrumes de développement contemporain en laboratoire, sauf à être ados de 15 à 30 ans, qui est le coeur de cible. Non, la cible. 

C’est aussi un petit décalage dans cette passion si française sur le Japon, cool comme un pack de gel de congélation. De la littérature assumée parfaitement marketing. Cela fait en conséquence de l’écrit nouveau, jetable, de l’écrit en ligne, sur appli, sur la bite mais poli, pas cru, pas de scène de sexe, bien sous tout rapport; c’est Tokyo mode d’emploi, froid mais pas glacial, pragmatique, très bien distillé, totalement apolitique, totalement consumériste - très en prise sur le quotidien sur fond médiatique avec une obsession cool pour boys meet girls. Mais l’obsession est laissée à l’usage du lectorat. L’auteure n’exprime aucune obsession, aucun enthousiasme. C’est reposant. Ça m’a fait bailler. 

L’auteure/le style éditorial est cool jusqu’à l’hypothermie, pas du tout en mode extatique fétichiste. N’étant ni du soir ni de cette tranche générationnelle, j’ai appris des choses … qui ne m’intéressent pas, comme quand on lisait un magasine d’habitude jamais lu dans un salon de coiffure. On pourrait dire : mais ça n’est pas de ton âge. Tu n’es pas la cible. Mais je pourrais très bien relire nounours aujourd’hui, sans plus être la cible. Pourquoi un livre devrait être générationnellement orienté? Il l’est, c’est tout.

La question de fond, quand on voit la longue liste de collaboration éditoriale de cet ouvrage à buts lucratifs de l’industrie du tourisme et de la fascination - coolitude anticlimax - est justement de savoir si le style est le style de l’auteure, qui a peut-être du style d’écriture qu’on espère alors voir ailleurs dans un ouvrage futur. Vanessa Montalbano conclut nue seule et posée comme dans une photo de magazine glacis glacial glacée adepte du vide consumériste froid dans un bain chaud d’un ryokan haut de gamme de Shinjuku. Quelques pages juste avant, reprenant les termes d’un certain Roland qui fait figure de modèle et ajoutant les siens, elle écrit :


“« Qu’importe ce que je dois sacrifier, dit-il, qu’importe les moments difficiles, je veux vivre ma vie en tant que moi, et c’est non négociable. » C’est exactement ce que je ressens. Mon expérience de vie au Japon m’a rendue égoïste. Vivre dans un pays aussi différent du sien, y travailler, y survivre a décuplé mon énergie. On ne peut pas m’enlever ça. Je me sens fière, courageuse et forte.”


Cela se lit aussi très exactement comme le slogan d’une publicité endémique sur les lignes JR pour un service d’épilation où la jeune femme photoshoppée qui a toutes les allures d’une ex-star du porno recyclée bodybuilding annonce qu’elle ouvre son chemin par elle-même. My Way, Franck Sinatra. All by myself. 


Comme il est au final question de mariage dans ce récit, j’imagine Vanessa Montalbano convoler avec un expat de haut vol, un haut ponte de l’ambassade ou un Japonais catégorie Marunouchi, sinon rien. Mornes narrations. 


Le dernier opuscule de la même collection à but de vente de voyages au Japon s’intitule La vie Kombini. Littérature jetable, froide, pas même cynique sinon que ce cynisme de connivence clins d’yeux par défaut et embarqué, à emballage transparent d’intentions, fade comme un onigiri industriel.