Câblage(s)

 


Voici ton texte avec uniquement les corrections orthographiques appliquées (sans toucher au style ni à la syntaxe).


Ecrire à Tokyo 3-5 septembre 2025

Câblage(s)


À deux tables de là, deux hommes sont assis. L’un porte cette veste à hélices latérales de rafraîchissement. L’autre compte des billets, un gros tas de billets de 10 000 yens. Après dix billets, il porte d’un petit geste vif les pointes tout juste du pouce et de l’index à ses lèvres, un effleurement, ce qui crée une adhérence au toucher, et poursuit son comptage. Ce geste ancien, le même que pour le journal, hygiéniquement réprouvable, rappelle des choses, le même geste, cette humidification du papier, geste ailleurs et lointain dans le temps. De l’hygiénisme de l’écran du portable. Mais cette remarque participe justement à la vacuole de l’ironie.


Un phénomène intéressant est apparu pas plus tard qu’hier, fourrageant dans les piles de livres pour tenter – mission accomplie – de retrouver le fin volume Défaire Voir de Sandra Lucbert à l’occasion d’une remémorance de celui-ci dans une autre lecture du moment. Ce phénomène, une apparition, un flash de rêve éveillé, est lié à la géographie, au lieu. Un lien mémoriel automatique entre livre et lieu s’est donc ainsi révélé exister, même plus, cristallisé mais en sourdine, liant Dream Coffee à Ikebukuro, et plus précisément le livre au déplacement de la sortie de la station Kanamecho jusqu’au café, parcours habituel alors pour s’éviter le flux dense à la station Ikebukuro. Il faut aussi souligner que ce lien est à sens unique, que c’est le livre qui a provoqué l’apparition de la conscience d’un lien avec le lieu, et pas l’inverse comme justement la veille, il était question de piocher dans un tas de photos illustrant un café, et que pas mal de clichés, beaucoup oeuvres de tierces personnes, exposant des angles divers de Dream Coffee étaient apparus, mais n’avaient généré aucun souvenir du livre ou de toute autre lecture en particulier.


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En développement connexe, ce début de texte qui va remettre en mémoire un paragraphe précis de Défaire Voir. C’est très chantier, mal fagoté, embourbé dans l’imprécis.


“En fait il y a si peu de choses contrairement à des pays contigus saturés sur le temps long de haines guerres engouements lettres dont l’épaisseur et l’étendue offrent des pistes sans fin. Pour les pays éloignés, à moins d’une langue commune, l’une imposée à l’autre, c’est de flibuste, de piraterie, donc de commerce dont il s’agit. Les échanges culturels, étoffes fines sauf quand tournés en merchs ne cachent que peu leur intensité rêvée forte, en réalité faible en regard de l’agroalimentaire ou du commerce des armes. On ne vient pas s’installer au Japon pour écrire, sauf si bourge bobo à placements migrant lifestyle. Pour le vernis donc.”


Et puis le lendemain …


“D’ailleurs, il n’y a pas de milieu, pas plus qu’à Bali, Phnom Penh ou Pattaya. De milieu littéraire, cultivé, cultivant des choses culturelles hors des manipulations et intentions de pouvoirs.”


… rattaché à une bribe de la veille, un peu comme on attache des wagons d’un train …


“Ici, le truc stratégique mais peut-être fatigué pour faire montre d’allégeance dès lors que l’on n’est pas dans la recherche universitaire pure est, était, de pondre un énième opuscule sur Paul Claudel au Japon.”


“En principe, cela laisse quartier libre à l’investissement artistique. Mais il faut le numerus clausus et payer le loyer.”


… phrase ajoutée le lendemain …


“Le numerus clausus, c’est le milieu, un moignon au moins. Cherchez, il n’y en a pas. S’il y en a, il est bien caché, et s’il est caché, il l’est intentionnellement.”


… un autre wagon de la veille …


“Tant de profs de français, si peu d’auteurs.”


Sandra Lucbert :


Pour produire du contre qui ne soit pas un compartiment du pour, il faut construire, non pas de la représentation-mimésis, mais une figure. Qu’est-ce qu’une figure ? C’est une autre découpe des éléments du monde et, par-dessus tout, leur agencement, leur présentation dans une autre mise en rapports. Autre : par rapport au câblage qui nous organise collectivement, qui constitue nos catégories et leurs liaisons par défaut, notre transcendantal politique, en quelque sorte.”


Focus sur ce bout de phrase “Autre : par rapport au câblage qui nous organise collectivement, qui constitue nos catégories et leurs liaisons par défaut, notre transcendantal politique, en quelque sorte.”, le terme câblage, avec une dose massive de sérieux, et non pas d’ironie, sonne comme une réponse à ce pétage de câble, celui de C justement qui eut lieu au restaurant, petit événement, grande détresse, mais l’esclandre dénuée de résolution.


“câblage qui nous organise collectivement”


Or, il n’y a pas de câblage collectif local – un vaste système – qui sied à soi, il n’y a pas de nous, pas de possessif, les catégories locales ne peuvent pas constituer des catégories collectives sinon que par bribes.

Hypothèse : Le nous dominant s’articule autour de la consommation et de la mobilité, en mode hyper pour les deux, pour certains. Consommation et mobilité sont des câblages communs. 

 Je me demande si un non-Allemand habitant depuis 40 ans à Berlin ressent, à la vue des affiches publicitaires et autres dans la ville, un sentiment d’appartenance au collectif, et que ce soit comme partout ailleurs où la critique et l’ironie se dégainent vite, une irritation parfois à un “slogan à la con” par exemple, un sentiment de ne pas être concerné, pas interpellé, de ne pas faire partie du segment visé par le message. Ici comme de routine, rencontres avec les affichages et signalétiques  qui sont la source de la rengaine inextinguible de ricaner sur l’intention, la cible, l’efficacité, le côté lunatique d’une campagne qui ne semble toucher personne, ou manquer sa cible avec application et sérieux. Soi uniquement bien sûr étant la cible manquée. Typiquement, les affiches publicitaires des marchands de bières estivales avec beauf suant et gobant à larges lampées qui espère encore sont issus d’une autre planète.


Câblage collectif est une concaténation éclairante. Lisant le journal – encore dans sa partie adolescente – de Gershom Scholem, alors encore à Berlin mais préparant sa sortie vers la Palestine, il dénigre le câblage local imposé, (s’)invite à partir… au bout d’un temps, le fait. À destination, il y a – pour lui – câblage escompté et escomptement d’y participer, de devenir câbleur, qu’il deviendra. Ce bout, “pour lui”, est important.


Autre point de cette lucidité tranchante de l’auteure :


L’auteur-visionnaire abandonné parmi ses pareils momifiés : comment se fabrique une figure ? Remisez le génie, vous trouverez du travail.


L’envie est de citer tout le chapitre, un tiers du livre, et un jour de se prendre une blinde d’avocat.

Il n’y a pas d’atelier d’écriture à Tokyo. Non pas que j’en voudrais un, je n’en voudrais pas. Mais comme signature contemporaine de l’écriture, on ne peut ignorer ce modèle. Une requête “atelier d’écriture à Tokyo” déploie comme d’accoutumée un galimatias, la calligraphie sinon rien. Idem à Kyoto. À Bali : “7 jours et 7 nuits dans un health and wellness resort luxueux.” Peut-on écrire après le sauna ?


Une objection : les conditions requises ne sont pas réunies.


Une mise au point : il n’y a pas que la vacuole de la plainte ou de l’ironie. Il y a la vacuole automatique de la justification, surtout de l’argument même de ton ennemi  – peut-être mieux, encore de Lucbert, “le gramophone des énoncés à tirets”, qui empêche d’énoncer – sans étonnement, sans lamento, sans rire, toute concentration pointée sur la froideur, la non-pitrerie – qu’il n’y a pas d’atelier d’écriture à Tokyo. Juste l’énoncé, juste l’énoncer, puis tourner autour de l’énoncé comme une statue pour en apprécier le gabarit, du vide, son absence.


L’objectif n’est pas de remplir le vide, mais ailleurs.


À suivre …




Veux-tu que je fasse aussi une liste séparée des mots corrigés (genre “Pnom Pen → Phnom Penh”) pour que tu voies tout en un coup d’œil ?


Il semble impossible de désactiver la proposition systématique du LLM de prendre la main, le pouvoir. 


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