La poubelle à cannettes était bien visible


Un cap ? Un pic ? La soixantième session d’Écrire à Tokyo n’aura réuni que ses concierges. Une première. Certes, deux personnes avaient signifié leur absence ce qui fait quatre dont deux présents. Il est tellement facile de se laisser aller, de perdre le nord, le cap d’une entreprise d’une grande simplicité, ne demandant que d’entretenir une routine obtuse mensuelle. La persévérance, le point d’impossible.


Le texte précédent du précédent aussi aura été une expérience froide comme une blanquette de veau de la veille juste sortie du frigo. Pour lire le texte, demandez le lien. Deux personnes l’ont fait. Certes, moi aussi me pose moins de questions et même aucune quand il s’agit de plugger son compte Google pour accéder à un domaine aspirateur de données à la revente sans plus y penser que cliquer sur Connect et bientôt l’oublier. Il est tellement facile de se laisser aller. Et puis, les caisses sont de plus en plus automatiques en mode self-service, non ?


M se fait du mouron sur le nouveau parti politique qui râle contre les qui ne sont pas Japs, des profiteurs. Quelles couleurs de peau ? Combien de divisions ? Est-ce que la jeune femme du bar à saké où l’on pénètre qui affiche immédiatement un certain malaise que M saura vite détendre — c’est un pro — soutient ce parti-là ? Pour ma part, je ne cherche plus à détendre, n’étant à la base pas une menace, juste un consommateur lambda. À deux pas se trouve un autre débit, un rade pur vieux jus pur vieux que l’on visait mais Google Maps nous aura induits en erreur d’une heure sur l’heure d’ouverture. Pourtant le local était illuminé mais personne dedans, et s’il fallait une preuve plus éclatante, la poubelle à cannettes y était bien visible à l’intérieur alors que sa place naturelle se trouve dehors.


Soudain, une voiture est venue se garer très doucement devant, difficilement manœuvrée, finissant par faire angle avec le trottoir mais sans pour autant gêner la circulation. Y est descendu un monsieur à qui je donnerais 82 ans. Il s’est dirigé très doucement vers le coffre qu’il a ouvert, coffre rempli de caisses et de bouteilles. J’en conclus qu’il s’agissait du patron à qui je proposais de l’aider. Il ne le prit pas mal ni bien, nous indiquant seulement que la boutique n’ouvrait qu’à 18 h, donc dans une heure.


C’est pour cela que l’on s’est rabattu sur l’autre pas loin pour qui l’appellation rade ne s’applique pas. Local étroit très boisé plaqué tabourets rudes aux fesses peu musclées, verre de saké tarifé au triple de ce que propose le rade, mais certes, le rade est marchand d’alcool et faire buvette n’est qu’une des branches du business. On commande une tranche de pâté de campagne. Quelques minutes après apparaît un jeune avec un plateau, donc d’un bar ou restaurant proche qui fournit les vivres figurant sur le tableau noir à la craie. Il est attifé style barman mais il fait juste gamin. Il nous vante la petite tranche de pâté de campagne coupée en quatre bouchées. Je reconnais le pâté vendu au supermarché Seijoishii entre autres. D’ailleurs, il en a le goût. C’est de bonne guerre de se faire gruger dans la restauration et plus que jamais courant tantôt. Peut-il imaginer que je fais les courses et connais le prix des denrées hors de 7-Eleven ? Les mix nuts avaient le goût infect du produit vendu justement là, et ne pouvaient venir de nulle part ailleurs que là. Rassurée et amadouée par la gentillesse de M, elle nous aura raccompagnés sur le perron à deux marches dont l’une traîtresse. Nous sommes repassés à ma demande devant le rade maintenant ouvert et clairement rempli d’une population mâle qui sent ses habitués debouts, certains fumant sous la lumière des néons. Ce n’est plus ce que c’était.


Dans le bureau de poste pas loin à côté d’une des portes d’entrée se trouvent sur un présentoir le document illustré des points de fraîcheur de l’arrondissement. Le document en anglais trouve donc ici un débouché des plus parfaits. La version japonaise est absente ou épuisée de chaleur.


Un article du Japan Times illustre une histoire d’administration ayant l’intention de … être plus stricte sur les questions d’immigration, avec une photo de touristes blancs comme il se doit à l’aéroport de Narita.


J’imagine que le Singapour Times, le Korea Times et les autres Times orientalistes sont du même acabit dans l’idiotie assumée qui façonne le courroux et le cynisme commentatif caucasien. Inutile de déménager dans un autre ailleurs asiatique.


Le déni de chaleur dont je parle en vain à droite à gauche ne se situe pas à une dimension terrestre — comment penser si grand ? — mais proche, très proche, locale, pas pour soi seulement mais pour les très nombreuses personnes japonaises qui ne traversent pas le carrefour de Shibuya et dont l’absence remarquable dans le paysage humain semble contredire les statistiques.


Maintenant que la culture française imprimée se paie au Colissimo via les airs, je rêve d’une plateforme vertueuse où des voyageurs se proposeraient d’apporter un livre à destination, livre commandé par l’acheteur mais livré au voyageur, en échange à l’arrivée d’un verre de saké et une conversation. D’autres boissons sont possibles. Cette plateforme existe-t-elle déjà ? Mieux vaut vérifier. On se croit trop facilement inventeur.


Presque toutes les photos du voyage de juillet sont indigentes, comme si la photographie était perdue. Elle l’est. Mais plus que cela, elles n’évoquent que peu de choses en regard de la lecture quotidienne de la carte, Google Maps, OpenStreetMap avec même mentions des fontaines publiques, et à l’occasion des plans d’obédience touristique qui toutes et tous font figures de madeleines d’une précision redoutable dans les détails remontés à la surface, les souvenirs sollicités qui fusent en petites touches. Il est possible avec de la concentration et une prise de notes de retracer avec une précision qui s’étend parfois jusqu’à la sensation du terrain des parcours parcourus. La relation de la mobilité par le mode écrit s’en trouve réarmée de possibles.


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