Objectif foetus
Une entreprise d’installation de laveries automatiques pose avec justesse la question du que faire en laverie automatique durant cette phase la plus longue qu’est le lavage. La même question appliquée à l’essorage et au séchage n’est pas abordée, qui doit être pensée pour chaque phase de manière distincte. Y rester ou sortir, y rester pour quoi ? Sortir vers où en attendant d’être sonné par l’appli, rappelé à l’ordre ? On consacrera aujourd’hui une petite réflexion sur les possibles de l’écriture en laverie automatique, comme ce type de service avec pignon sur rue devient aussi banal qu’un café beige béton avec le cœur de mousse à la surface qui n’est pas sans rappeler l’effet moussant de la lessive qui se dissout dans un milieu aqueux agité.
Que faire donc ? Y écrire, bien sûr. Les cycles offrent une rythmique singulière qui agit sur les possibles de l’écriture, mais avant tout de la pensée, ce remugle dont une possible représentation graphique tout à fait appropriée serait ce mouvement marin d’apparence faussement non violent du milieu de lavage tel qu’on l’observe à travers le hublot, si tant est que les machines offrent à la vue et en direct ce qui se passe à l’intérieur des tambours. Une poupée de tissus malencontreusement tombée dans le sac à linge virevolte entre les slips et les chemises sans pour autant évoquer sur son visage le moindre reproche.
Quand plusieurs machines tournent en même temps, ce n’est pas de cacophonie dont il s’agit mais d’une multitude de tempos et mélodies qui ne mènent pas à l’aporie, mais à l’aporie créative. De la même manière que l’on peut lire un texte avec l’impression claire de ne pas vraiment en saisir le sens, impression qui pourtant – chose remarquable quand on y pense – ne débouche pas sur l’abandon de la lecture, on peut engager l’esprit à passer à l’action de l’écriture dans un brouhaha mécanique parfaitement ordonné dès lors qu’une table et une chaise y sont offertes. Entre une bibliothèque au silence ecclésiastique, Yui no Mori à Machiya, la bibliothèque Sainte-Geneviève jouxtant le Panthéon, la KRB au 28 Mont des Arts à Bruxelles ou un affreux coworking space, et une laverie automatique, y a pas photo : je vais engager l’écriture en laverie.
Aller en laverie comme on entre en religion, non, mais plutôt quelque chose d’un retour sur soi régressif en des temps lointains. Objectif fœtus. On pourrait rapprocher les remugles de la pensée entraînée par les mouvements rotatifs divers avec l’illusoire remémoration du liquide amniotique, car dans les notes constitutives de l’ambiance sonore de la laverie automatique, les liquides en mouvement jouent un rôle de construction de l’imaginaire fondamental. Il suffit de s’imaginer tenter d’écrire dans un garage de réparation automobile ou dans l’arrière-boutique d’une boucherie alors qu’une carcasse de bœuf suspendue à des crochets est attaquée à la tronçonneuse pour bien vite deviner que tout espace de travail et de service n’est pas interchangeable. On se croit toujours avoir de bonnes idées avec un diplôme de HEC ou pas, mais les chances qu’un atelier d’écriture a déjà eu lieu quelque part sur terre dans une laverie automatique, ou un atelier de couture et réparation de vêtements, en particulier recoudre les boutons, sont considérables.
Mais l’écriture en laverie automatique dont il est question ici est de l’ordre du café pris en solitaire avec soi-même dans un rade offrant une vue panoramique sur l’extérieur. Les critères de choix d’une laverie automatique ne se limitent pas à des questions de distance mais d’abord de lieu, comme pour une chambre avec vue où l’on vous promet le Mont Fuji dans la perspective les jours de grand beau temps. Les laveries automatiques entrent bien évidemment dans les échanges de bons tuyaux en ligne en rapport avec les voyages et le tourisme. Il n’y est pas question d’écriture pour autant. Ici déjà avait été abordé le thème très sérieux d’où laver son linge sale à Kyoto, question à peine explorée qui mérite de s’y atteler comme moyen – ça ne durera pas – de détourner justement les impensés du voyage hors des automatismes, des programmes énoncés par l’IA et du mimétisme irréfléchi vers des zones de pensées lucides et stratégiques.
Quelles écritures en laverie automatique ? L’intuition va immédiatement vers la poésie si tel est ton truc, tu vois, mais plus largement, l’écriture aporique volontaire, le tâtonnement, petites phrases qui ne tiennent pas debout allongées sur l’écran sur une multitude de lignes qui figurent des voies de chemins de fer comme dans une zone de manutention et de constitution de rames. L’écriture appliquée, structurée, est aussi d’autant plus une option possible que la régularité des phases sonores est prévisible et provoque rapidement un effet d’accoutumance et de sensation conséquente de maîtrise, illusoire bien sûr, celle d’être en mesure d’anticiper la prochaine phrase à l’oreille. Les bruits qui murmurent que tout est maîtrisé induisent un sens d’efficience de la navigation en quoi consiste une écriture en cours qui vogue bien, la barre prise à deux mains, le foc qui réagit comme anticipé aux sollicitations, le cap maintenu malgré une petite houle. Rochers en vue. On n’abusera pas des laveries automatiques pour écrire.