Souffle
La radio a cet avantage d’exposer le souffle quand l’image animée fait couramment le vide. Dans la visite de la bibliothèque d’Annie Le Brun trois semaines avant son décès, sa respiration est clairement laborieuse en regard par exemple de son interview sur Lundi Matin. Inutile d’avoir fait médecine. Y qui a fait médecine me signale immédiatement en longue distance que ma respiration est aussi laborieuse. Sur les mêmes ondes, une émission autour de la colère façon page de philosophie pour supplément week-end de quotidien - Colère, la recette japonisée carbonisée d’Amélie Notoire - expose une présentatrice qui a le don de ne pas se taire, couper ses invitées qui sont les personnes compétentes. Au moins avec la série sur les bibliothèques, la présentatrice sait être muette.
Tu n’écris pas? Tu n’as pas le temps? Pas même une minute? Ou pas même l’envie?
Tu ne lis pas? Tu n’as pas le temps? Pas même une minute? Ou pas même l’envie?
Sans doute la fatigue à la fin de l’ouvrage a fait que reparcourir la conclusion d’Ecriture et expérience de la vie ordinaire de Marylène Heck sonne comme une nouveauté, en particulier ce sous-chapitre intitulé Une banalisation des écritures du quotidien? où le point d’interrogation compte. Si les écritures du quotidien semblent s’émousser après Perec, et qu’apparaît comme si de rien n’était un Philippe Delerme devenu avec sa première gorgée de bière un empêcheur de mentionner sa première gorgée de lait de soja le matin tôt à Tokyo sans pouvoir maîtriser l’interprétation de cette affirmation, c’est à dire être dans l’incapacité d’être reçu par le lectorat comme autre chose qu’une expression hédoniste dont Delerme est une sorte de précurseur vers l’écriture marchande jubilatoire des choses à manger et à boire, il m’apparaît plus que jamais que cette cécité du glissement de ces écrits repris et affinés dans des modes de propagande strictement consumériste, cette cécité parce que c’est le monde de l’université appliquée à la littérature et donc cela, le marketing, n’a rien à voir avec la marchandisation de tout, ne tient pas la route, sinon que dans la tour d’ivoire. En fait, cette cécité est indécente. Delerme a été le modèle de copywriting de phrases pour faire boire de la bière, toujours plus de bière comme solution au réchauffement de la planète.
Il faut voir de manière connexe la couverture contemporaine chez Christian Bourgeois du texte phare mentionné sans cesse - réédition de 2020 - et à juste titre chez Heck, la Tentative d’épuisement d’un lieu parisien de Pérec, et si vous n’éclatez pas de rire sur le ridicule de cette couverture, vous êtes invité à me demander pourquoi. J’ai tenté la Tentative d’épuisement d’un lieu tokyoïte. Cela ne fonctionne pas. L’ombre solaire de Pérec. Mais tenter à Tokyo quitte à tomber platement au sol, c’est bien.
#### Embarquer les figures
Mais que faire de ces méandres dans les écritures de l’ordinaire qui semblent bien trop françaises (absence de références en d’autres langues hormis quand les factographies sont citées), avec ou sans formule, contrainte ou procédé? Les tester à Tokyo, et donc les embarquer et les débarquer sur place. Les déballer, les monter dans les rues d’ici, les modifier selon le terrain, jeter ce qui décidément cloche, peut-être aussi on l’espère trouver des extensions méthodiques singulières.
#### Temps-géographique
Une chose qui cloche est de ne pas suffisamment admettre avec soi-même et exploiter dans l’écriture les fait que si physiquement je suis à Tokyo, une partie considérable de mon temps de pensées, de lectures, de passages à vide est très ailleurs, constructivement ailleurs, volontairement ailleurs, inquisitoirement ailleurs, et ici en même temps-géographique. Ce couple ailleurs-et-ici est fondamental du contemporain à soi.
Ceci écrit à Byakudan qui n’a pas changé depuis le covid. Toujours aussi précieux et synpathique.
De ce point de vue aussi, le programme de la Japan Writers Conference cette année ne sonne pas vraiment sexy. On dirait un sydrome de quelque chose. Tant qu’ils (s’)interdisent la non-fiction non-romantisée, ils vont continuer à se fossiliser dans les petites congratulations réciproques, ne pas prendre de risque dans les confins de la poésie gentille ou des séries policières au Japon. Comme le Kyoto Journal, les seuls écrits admissibles sont de l’ordre du magazine de bord d’aéronef, mais plus intellectuel que la moyenne. Devise : pas de vagues.
J’ai relevé deux interventions emblématiques dans le programme, d’abord “Fukushima Narratives: Form, Style, and Supernatural Landscapes”, donc la veine Japon-catastrophe, très fourbie - combien d’écrivards francophones on traîné les pieds dans ce sillon? - et, Creating Publishable Short Form Poetry, donc la veine et la raison de toute écriture : “faut q’ ças! vende”.
#### Mieux : faire les courses littéraires. Cuisiner les écrits.
Dans le sac de courses tout à l’heure, Défaire voir de Sandra Lucbert que je promène comme un animal de compagnie - elle n’est pas assez claire sur plusieurs points dont la figuration, mais il faut faire avec. Le livre est protégé par, ou fait face au risque de suintement de deux packs de viande hachée porc boeuf “production nationale”, une botte d’herbes du genre allium, un poisson dessiqué salé qui entame sa décongélation, des tranches de porc précuites à faire tremper dans un jus acide aromatisé, des hébésus que l’on voudrait disponibles toute l’année comme les citrons, mais ce n’est hélas qu’une récolte annuelle.
#### Mieux encore : énoncer une hypothèse de méthode.
Prendre pour point de départ “ce qui n’a rien à voir”, comme par exemple “Une décennie de littérature en France (2010-2021). Déplacements de la critique et de la narration” chez Fabula. En pdf ce serait mieux, ce serait bien plus pratiquable. Picorer, goûter à tout, et se demander ce qui pourrait coller peut-être avec le contexte Japon et soi. Il y a alors de quoi penser et mâcher pour des mois à venir.
#### PET
Passage à Toyosu. La dernière barre du vieil hlm Toyosu-4-chome a disparu. Le vaste hangars DIY est une exposition sociologique du moment consumériste présent. Un espace assez large est dédié aux animaux domestiques de très petites tailles qui figurent dans des boîtes transparentes vivement éclairées, pas loin de la quicaillerie du quotidien, des produits d’entretien et hygiénique de la maison.