La ration d'asphalte est vitale *


* “La ration d'asphalte est vitale.”Jacques Réda 

Jacques Réda décédé ce 30 septembre. C’est le hasard, le hasard. 

Mais les dimanches sont difficiles. Tout ce qui me fait Tokyo-ville kiffer est lié au quotidien diurne de semaine. Tous mes havres ou presque qui répondent aux besoins de routines et créent le quotidien en marche de la ville active sont fermés le week-end, ou inscrits dans d’autres usages, événementiels ou festifs, preuve que les samedis et dimanches sont de l’ordre de l’anomalie. Le quotidien dans ses routines actives méprise l’événementiel et le festif. Les fêtes de quartier me hérissent qui rendent le quartier carnavalesque, irréel donc.


Le week-end, la ville devient l’équivalent d’un AUT, aliment ultra-transformé, aussi glauque en bouche qu’une brioche à Kagurazaka. Même quand le contenant offre encore des échappatoires au tout transformé, c’est le paysage humain qui rappelle que le clonisme est de rigueur. Nous autres consommateurs sommes terriblement prévisibles, trop rarement bien habillés. 


A Porta à Koenji, deux jeunes filles déboulent de Saizeria pour passer juste en face de la rue à Capsule Rakkyoku. Elles jettent un coup d'oeil d'expertes sur le panonceau à l'entrée exposant les colifichets en boules en promotion de septembre. Elles pénètrent dans le goulet blanc de ce commerce de rien et y disparaissent. Elles tracent ainsi une transversale consumériste perpendiculaire à l’axe de la rue marchande. 


La signature sonore de la portion redéveloppée - excoriées de ses échoppes crades contre des chaînes - juste au sud de la station avant que d’entrer sous le auvent de Porta, est proprement alarmante. Un système de turbines en hauteur probablement liées à la climatisation des commerces de bouches sous le viaduc est rendu parfaitement invisible grâce à une peinture noire de ce noir absolu de marque déposée. On ne voit strictement rien en hauteur. Par contre, la signature sonore est indécente, ce qui ne dérange visiblement personne des consommateurs attablés sur les pseudo-terrasses. Il faut s’éloigner de plus de 20 mètres sous Porta pour ne plus l’entendre, au niveau de Pronto là où la table et les deux chaises sur le fronton sont inoccupées, mais l’envie de s’y poser n’y est pas. Observer le flux humain ne fonctionne pas le week-end.


A défaut, je m’offre plusieurs aller-retour sous Porta, à l’abri d’une petite pluie, en marquant des pauses comme si j’attendais quelqu’un, pauses qui permettent de voir entre autres les deux jeunes filles déboulant de Saizeria traverser la largeur de la rue qu’on ne peut nommer galerie, pour s’engoufrer dans Capsule Rakkyoku, métastase du vide commerçant. 


Asakusa un lundi matin. On a fait 14 heures de vol pour manger des churos et faire la queue à un débit d’apple pie. C’est la Costa Brava. 


Extension du domaine beige béton depuis la dernière fois, la mujiification - déposer la marque glossairienne. 


Beaucoup d’efforts pour trouver du poétique avec quoi croiser le regard mais c’est encore possible, mais difficile. Sur le côté opposé d’une boutique de couteaux s’expose une flaque de liquide rouge très suspecte. Je suis à la recherche d’un éventail pour remplacer le précédent qui a rendu l’âme - l’axe en plastique qui réunit les lames - alors que l’usage de l’instrument est toujours aussi justifié. Un espace de commerce sans déco aucune expose des japonaiseries variées et éparses, dont quelques éventails. Certains sont visiblement usagés mais j’en trouve un qui comme ces livres d’occasion jamais lus n’a juste que le mésusage comme trait singulier qui devrait répondre aux besoins et tenir un ou deux étés. Son âme aussi est faîte du même plastique que celui qui a lâché tantôt. Un couple que je devine chinois dès les premiers échanges est occupé à mettre en place la boutique qui doit être de location journalière. Je demande à l’épouse combien fait cet éventail comme n’y figure aucune étiquette. Elle hésite puis comme à la courte paille tire le chiffre carré de 1000 yens un peu au hasard. Tarif très acceptable même si je sais que plus bas dans la galerie se trouve un vendeur permanent d’éventails avec des entrées de gamme à 550 yens. Le mari s’excuse que le prix ne soit pas encore mentionné sur l’objet comme ils viennent juste d’ouvrir. Je lui réponds que je n’en tiens pas du tout rigueur. 


Le dessin est un peu furtif. Il faut se concentrer du regard et figurer dans une luminosité adéquate, celle d’une lampe à filament ou halogène jaune approchant, pour apprécier ce paysage de rivière boisée, quelque chose comme un îlot, quelque chose comme un plateau, quelque chose d’une montagne au fond à l’angle similaire au Fuji, là où la déclivité est longue et pas encore accélérée vers la verticale. 


A Ningyocho, la boutique d’éventails de Kyoto où un passage annuel était de rigueur, voire même plus quand il s’agissait de faire des cadeaux, a fermé il y a des années, et cherche toujours un locataire, mais le sigle figurant un éventail ouvert au dessus de la boutique demeure.


A Matsumura, la température officielle, pas la ressentie, faisant foi, la climatisation ne fonctionne plus. Manque ainsi ce bruit halo considérable de ferry comme entre Tokushima et Wakayama moins les roulis, signature audio de tout l’été. Une conséquence est la présence de moucherons vraiment miniatures comme la douceur humide de l‘habitacle doit leurs convenir parfaitement.  


Franchement, c’est extra! La ponctuation bordel! la ponctuation!


- et pourtant je ne lis pas de fiction - antienne automatique.


Michael, Ryoko, Amélie non, Philippe, Richard et les autres, vous devriez avoir honte, ou à la rigueur lire Serge Cassini, ce qui ne vous absoudra pas pour autant. Et quoi encore?


- un écrivain allochtone nous est né!

- vite, il faut l’enfermer!

Je me doutais que j’allais kiffer avec le pavé de Théo Soula intitulé Géographie littéraire de Paris dans l’oeuvre de Jacques Réda - sous-titré : Le flâneur mégapolitain. Je kiffe. Réda, Brother. Il faut trouver un train qui s’éloigne de Tokyo mais pas trop vite pour lire par portions et jeter un coup d’oeil sur le paysage, avec à destination un café.


Jacques Réda décédé ce 30 septembre. C’est le hasard, le hasard. 



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