La ville Tokyo, pourvoyeuse de protocoles d'écritures?
Quand la ville est précise, nomenclaturée, avec un système et une fonction fondamentale qui soutiennent la mobilité, elle s’auto-décrit, avec des phrases ventrues de noms de rues, ou bien des carrefours entre deux rues nommées ou numérotées. La rue ainsi est fortement rue, même à la lecture, même sans y être allé.
Quand je te dis rue Waseda, ça te dit quoi? Ça trace quoi dans l’esprit cartographique hormis des points, des secteurs, ou rien?
Supplément du week-end : la recette de la rue Waseda par Marcel, qui l’a détient de sa mère. Recette familiale.
Si l'on part du principe que les noms de rues ne sont pas seulement un élément du parfum urbain mémoriel, évocateur, mais élément d'un système systématisant le descriptif, la question transposée à Tokyo n'est plus de se lamenter sur l'absence d'un tel système pour nommer, mais d'envisager d'autres protocoles d'énonciation. Est-ce pauvre ici? Oui, absolument, comme quand un visiteur vous demande si Shinjuku "vaut le coup", et que vous êtes pris de court, sauf à énoncer les formules hégémoniques canons qui n'ont aucun intérêt mais sonnent comme des réponses de Trivial Pursuit, jeu de cons : la gare la plus fréquentée du monde, comme à la La Défense à l’ouest autour de la mairie, et ... pas grand chose d'autre, sauf si énoncés de lieux et de temps. Comme quoi dans ce vide évocateur plein de monde en transit, il est possible d'envisager des protocoles d'écritures, sauf à procrastiner. Un guide des heures de la ville.
L’ordinaire de la littérature de Florent Coste - Que peut (encore) la théorie littéraire, cela commence par la page 51 pour qui n’est pas de la partie. L’odeur d’entre-soi est ténue. C’est ardu avant la page 50, pas facile comme du beurre mou après non plus pour autant.
En ce qui concerne l’association livre tomates de Hokkaido, hormis une similitude de teinte, cela n’a à priori aucun sens. Hormis que c’est une manière d’intégrer le livre avec le lieu, avec le quotidien, avec les courses.
Sur la quatrième de couverture, la dernière phrase énonce la chose suivante :
(l’auteur) met en lumière une conflictualité imperceptible : ou bien laisser le travail du rêve se faire vampiriser par le marché et déposséder par le succès commercial et critique, ou bien ouvrir à toutes et à tous un espace de jeu et de subversion.
Questions:
1 : Qui est “toutes et tous”? Une question pour eux.
2 : Qu’est-ce qu’il y a à grignoter dans ces lectures (où le livre = roman par définition) pour nourrir l’écriture à soi d’ici à Tokyo? Une question pour soi.
Ecriture indigne puisque pas publiée dans un livre en vente à côté des tomates de Hokkaido, seule preuve qu’il s’agit d’écriture digne, de littérature. Jamais entendu parlé d’une librairie marchand de quatre saisons.
Mais cela est une rengaine.
Car toute lecture de texte docte est mue d’abord par l’espoir d’y trouver un truc ou deux, des exemples de textes, approches, motifs et motivations qui ressemblent aux siennes. Ça rassure, ça console.
L’ordinaire de la littérature constitue-elle une lecture adéquate au métro de Tokyo, adéquate dans le sens d’association harmonieuse, comme un saké junmaishu avec des cubes de fromages durs anonymes?
Dans le métro justement, il a la quarantaine à peine, le sac à dos du tertiaire sur le dos - d’autres l’on sur le ventre comme une procréation en cours mais au niveau de la poitrine - preuve de la totale inefficacité de la campagne invitant les voyageurs à ne pas porter leur sac à dos sur le ventre, ni sur leur dos mais de les poser sur les grilles portes bagages au-dessus des sièges.
C’est pas Paris! Aucun risque de se le faire piquer!
Il regarde son téléphone où une jeune femme fait la moue, qui me rappelle la jeune femme sans âge de l’autre jour, habituée de l’antre à tabagisme, qui m’avait adressé la parole pour me demander si sa cigarette à l’extrémité cachée dans un petit boîtier qui “avale” la fumée, qu’elle allait enflammer - selon quelle technologie? - ne me dérangeait pas. A quoi je lui répondais que le lieu étant fumeur, je n’étais pas autorisé à exprimer un avis quelconque. Elle avait une dentition à faire pâlir une publicité pour dentifrice. Elle avait un quelque chose côté moue que m’exposait un peu à l’identique celle de l’écran du type avec le mobile juste à côté. Peut-être que son métier à elle aussi est de faire la moue sur écran, et alors les dents, ça compte beaucoup. Plein de métiers contemporains m’échappent.
Il y a des écrits qui vous accueillent à bras ouverts, mêmes des coriaces mais pas ostracisants. The Discovery of the Mind de Bruno Snell est de ceux-là : coriace mais accueillant. Je ne ressens pas d’ostracisme mais pas de bienvenue dans l’Ordinaire de la littérature, jusqu’à la page 50.
Mais qui donc sont ces “toutes et tous”? Ce qui fait beaucoup de monde.
En page 55, Nathalie Quintane fait une apparition en caméo, c’est à dire décompressante - lire, décomplexante pour le lecteur.
#### Aborder le réagencement pour soi du territoire quotidien
Dans le métro de Tokyo, la relecture de Mousquetaires et misérable d’Evelyne Pieiller sied. Un exemple de ces livres accueillants, qui invitent à réfléchir plus loin sur la question de quoi lire où, et celle associée de, où lire quoi. Ce n’est vraiment pas une question anodine - sérieux, sérieux - mais une façon d’aborder le réagencement pour soi du territoire quotidien. On évitera le verbe “réenchanter”. Il n’est pas nécessaire d’être enchanté. On évitera d’ailleurs tout vocabulaire extatique, qui piaffe. Le covid et son amnésie sont passées par là, un peu de tenue. Avec Où écrire à Tokyo et S’asseoir à Tokyo vient s’accoler Quoi lire où et Où lire quoi, à Tokyo ou ailleurs, orientations qui grignotent dans le c’est comme ça, et qui confère pouvoir à un niveau individuel de s’éclipser de l’hypocrite non-débat sur le surtourisme, le survoyage, la surconsommation, la surhégémonie de son nombril suprême dans les cocktails d’entre-soi.
“Les expressions « formes de vie », « style de vie », « mode de vie », par exemple, doivent être par conséquent rouvertes, rendues à leur incertitude et à leur conflictualité, arrachées à leur statut de slogan, car il y entre une grande dispersion de valeurs, d’idées de la vie et de ce qui, dans ses formes, mérite qu’on y tienne ou qu’on y fasse attention.”
Extrait de Styles, Marielle Macé
Google Photo m’a proposé de retirer les gens dans cette photo. Il en a resté des bouts. Une manip d’horreur, avant et après la frappe chirurgicale. Je n’ai pas sauvegardé.
Il y a décidément un quelque chose de singulièrement attachant à Ningyocho.