Chercher en écrivant
Impromptu vers le lac Shinobazu, et surprise d’avoir oublié par manque de fréquentation dans cet angle là à quel point l’étendue d’eau est proche du grondement de l’avenue et de Mihashi par encore ouvert où on m’a envoyé en mission d’achat de desserts toujours aussi tristes quand consommés à la maison, desserts qui comme nombres de mets locaux perdent tout charme dès que hors de la boutique.
Dans la rue étroite qui mène à l’étang se trouvent toujours les salles de cinéma porno. Des enfants passent avec les parents. Il se déroule tout prêt une fête avec des activités dédiées aux petits. L’étang est une jungle. On peut y disparaître à un mètre de la rive.
####Contre
Au sujet de Contre la littérature politique à La Fabrique que je lirais bien tantôt dans le tram à Osaka quand l’occasion se présentera, j’ai écouté une émission radio qui a réuni Nathalie Quintane et Justine Huppe, l’autrice de La littérature embarquée dans le tram d’Osaka aux éditions Amsterdam (louées soient les Editions Amsterdam). Difficile la littérature embarquée, sauf à prendre le tram. Difficile Nathalie Quintane, et décevante, déroutante, à la première lecture de son chapitre qui occupe le début de l’ouvrage Contre la littérature politique. Mais voilà que dans cette émission radio, la DJ évoque la manière “fragmentée” d’écriture de Quintane et demande à l’intéressée ce qu’il en est .
_“C’est une manière de chercher en écrivant que j’utilise depuis au moins dix ans, qui est assez efficace parce que la forme des remarques successives permet à certains moments de revenir en plein milieu, de les farcir d’autre chose, de les décaler, de les déplacer, donc c’est un jeu essentiel de ping-pong et de montage qui permet de faire un texte très mobile en fait.”_
J’ai juste corrigé dans cet énoncé une conjugaison de verbe déplacée. Et donc, muni, non, armé de cet éclairage, je suis reparti dans la lecture de ce chapitre. Ce n’est pas devenu pour autant d’une clarté fulgurante, mais savoir qu’il s’agit d’une écriture qui se pense en écrivant, qui se cherche, tâtonne, se déplace, déplace, ça m’a bien plus. Ça m’a rappelé l’automne. Plus sur ce point plus loin.
Et puis, on a ici un exemple, un indice comme quoi “les méthodes” apparaissent là à l’occasion de rien, de l’écoute d’une émission radio, et qu’il n’y a qu’à se baisser pour en ramasser ce qui peut influencer ses propres manières d’écrire.
#### Le riz est revenu, Mathilde aussi
Sans précipitation, le riz est revenu. Environ 1600 yens les deux kilos. Le riz est revenu, normalement. Le tension n’a plus lieu d’être. Le riz est revenu, sans précipitation. Une employée pose sans précipitation des sacs sur les étagères déjà bien remplies. Ni queue, ni ambiance d’affamés. Le riz s’empile. L’amnésie reprend le terrain.
#### Chemin d’automne
On peut se baisser et ramasser des bouts de ces choses que l’on dit méthodes, méthodologies, pratiques d’écritures selon des modèles, des protocoles, des formats plus ou moins contraignants évoqués dans des livres de recherches - resshhhersshsshhes - des thèses, ou des thèses diluées, livres souvent bien trop coûteux destinés à un entre-soi docte et les budgets des facultés, mais avec une énorme visibilité dès lors que l’on cherche à s’informer. Dans les deux cas pourtant, même si d’une nature différente, on fait face à l’ostracisme. Voir l’énoncé qui suit. So what? On peut s’informer, imaginer. C’est disponible. On peut. Et oui, il y a quelque chose d’identique entre l’ostracisme du quotidien vécu au Japon et le côtoiement d’une tour d’ivoire universitaire, d’un monde verbeux, pas vraiment accessible en l’absence des codes, du bagage intellectuel, pour ce dernier. Mais on peut, on peut et beaucoup.
Par exemple, brouter, picorer, se baisser sur un chemin recouvert de feuilles d’automne, et marquer ainsi des temps d’arrêts typiquement de l’enfance, se saisir d’un gland par-ci, d’une feuille singulière pour soi par là, une avec des trous, l’observer un peu trop vite, fourrer dans sa poche ces trésors ou les balancer derrière soi sans plus de pensée.
On peut devenir observateur des théories littéraires pour y chercher les glands et les feuilles trouées qui satisfont à ses goûts et curiosités “mobiles”, comme dirait Quintane. Mobile est la clé, et le jeu.
Ainsi. Tu vois, il y a les sciences citoyennes, mais pas à ma connaissance la théorie littéraire amateure, dont le travail serait non pas de faire de la théorie, trop théorique, mais d’observer ce qui se dit et se trame autour de cela, dans la limite de ses compétences non-académiques, illimitées cependant par le fait de la curiosité. Observer donc les protocoles d’écritures contemporaines, et se demander tout simplement, bêtement même, quels échos ceux-ci provoquent, ou pas, en transposant ces modèles, ou bouts de modèles, dans un contexte à soi, à Tokyo et au Japon. On pourra alors peut-être se délester plus encore de la question qui ligote les possibles de l’écriture, celle du poids majeur des facteurs Tokyo et Japon. On pourra peut-être commencer ainsi, ou poursuivre, un cheminement vers plus d’écriture au Japon sans le souci du Japon.
Tentative d’épuisement d’un lieu tokyoïte, flop total.
Tu vois? Non? Pas grave. Juste faire le. On prendra le tram à Osaka.
#### A Osaka, prendre le tram, lire Proust
Dès lors qu’une occasion apparaît, je consacrerai une journée à circuler sur le tram. J’irai à la station Tenno-ji, au comptoir de la société de transport Hankai Tranway pour acheter un ticket valable toute la journée au prix de 700 yens. Je scratcherai comme à un jeu d’argent, comme au loto, la mention de l’année, le mois et le jour pour valider le ticket. Attention, pas le droit à l’erreur qui périme immédiatement la validité du pass, peut-on lire sur la fiche d’information. Cet art de menacer dans un ciel bleu. Je ne m’attarderai pas à parcourir les informations touristiques sur les incontournables redondances distribuées le long du parcours double, puisque deux tronçons se réunissent vers le sud. Comme souvent, la mission, la gageure si vous l’acceptez, mais il n’y a pas de choix, vous êtes embarqué, est de contourner les incontournables du discours ambiant, le _il faut_. Il s’agira donc de voir au plus près ce qu’évoque la routine que constitue pour les personnes qui prennent ce réseau régulièrement en me plaçant consciencieusement dans leurs pas, de faire comme si. Simuler en quelque sorte ce qu’est habiter à Osaka, et prendre le tram, parmi toutes les occupations possibles associées au fait d’y être.
#### Rancid
Sur l’escalator opposé qui descend, un homme d’une trentaine d’années avec un visage pâle de souffrance et de soucis se touche le ventre qu’il a assez imposant. Sur son teeshirt noir avec une large illustration obédience punk, on peut lire le mot “Rancid”.
Au comptoir des boissons lactés :
- Je commande un Pineapple énoncé dans son intégral. Pas “pine” parce que parfois on ne me comprend pas.
- Avec Pineapple en intégral, j’obtiens une bouteille de Pine dont la teneur en sucre ne doit pas être inférieure à une bouteille de chez koka.
- Je suis fier de : ne pas prendre en photo la bouteille que l’on pose à ma destination sur le comptoir de métal.
- Je suis fier de : ne pas prendre en photo la bouteille entamée avec ma main la tenant.
- Je suis fier de : ne pas prendre en photo la bouteille vide avec la main la tenant.
- Je suis fier de : rendre la bouteille avec un geste assuré et une voix tout aussi assurée disant “merci”. 元気で, alors que le train est annoncé.
- Je suis fier d’être : local.
#### Tranchée
Une fois les parcelles de terrains réunies, ce qui aura mis des années comme deux puis une maison résistait, une fois le montage financier bouclé, la voie fut libre pour envoyer les terrassiers terrasser le bitume puis tracer à main gauche une profonde tranchée dans une terre brune et propre qui suggère qu’ici, avant les maisons basses qui résistaient, ne furent jamais construits autre chose que des maisons basses avec un degré de résistance variable, aucune fondation profonde qui lors de la destruction-reconstruction expose un temps une terre scoriée, sale. Le lendemain déjà, la tranchée étaient comblée, dans laquelle couraient sans doute maintenant des tronçons de distribution de matières fossiles transformées, d’eau et de données, dans une terre apparemment bonne pour y faire pousser des carottes.