Que deviendra la communauté de gens esseulés du bloc 33?
Ensuite, second petit-déjeuner après le premier à 4:45, à Meruhen, le café amiral du bloc 33 de l’ensemble hlm Toyama, où l’on ne voit ni touristes, ni envoyés très spéciaux, ni à résidences. Cela fait sérieusement longtemps. Sur le terre-plein devant le supermarché des pauvres et âgés - celui pour les aisés se trouve caricaturalement juste en face et ferme à minuit, soit une heure plus tard que celui des pauvres et âgés - peu de survivants assis sur ce qui permet limite limite de poser une fesse. Des hommes seulement aujourd’hui, épuisés à 9:35. Quid du taux de mortalité conséquant à la chaleur sur le vaste territoire hlm Toyama?
Mais c’est de vie dont il s’agit. A la terrasse proche du café, un café terrasse sise dans un ensemble de hlm, on joue à guichés fermés. Les tables sont pleines d’une jeunesse de 75 et plus. Deux jeunes femmes semblent les servir, en tout cas s’occuper, chôyer ces personnes âgées. Très étrangement, une en particulier en pantalon noir et haut qui ne tombe pas même au niveau du nombril expose un ventre ultra-plat et un bas de dos cambré, coiffé comme on ne coiffe pas dans le coin sauf à Aoyama, est mise comme une princesse sexy et énergique comme on n’est même pas servi d’un café avec un coeur à la surface seulement à Aoyama. Elle tranche totalement dans le paysage.
La classe, sociale.
Je tire la porte pour tomber nez à nez avec la patronne qui s’apprête à servir à la terrasse un café glacé. Je lui tiens la porte et l’invite à passer d’abord. On se sourit. Elle derrière le masque, comme si j’étais là pas plus tard que la veille et même tous les matins. On se dit bonjour.
A l’intérieur, c’est infraclimatisé, économie d’énergie, usage de l’éventail nécessaire, ambiance EHPAD mais pas glauque, moyenne 80. Le couple gérant n’a pas vraiment changé, sauf le mari 73 qui cuisine en permanence qui me semble décliner plus vite que madame 74. Mais heureusement, ils n’ont pas droit au vieillissement, c’est un ordre, sinon que deviendra la communauté de gens esseulés 80 à 90 du bloc 33 et des blocs alentours?
Le café chaud est annoncé avec une énergie dont je n’avais pas le souvenir.
Hot coffee!
Et mettez-y de l’énergie svp, lectrices, lecteurs. Faut que ça réveille. C’est fini l’été, sauf en bas du globe.
Sur chaque table se trouve une bouteille de spray désinfectant. Sur la table d’à côté, la marque estampillée sur la bouteille est Osèque. Je ne peux pas m’empêcher d’y insérer machinalement un b, et me dire que c’est vraiment de très mauvais goût.
La jeune femme sexy entre et sort, fait le service apportant une tasse de thé vert chaud à un homme de l’âge de son grand-père avec une maîtrise de l’espace et un aplomb déroutants, tout comme l’exposition de son ventre plat et de sa coiffure d’Aoyama, 1-chome, si pas même 3-chome. Ça monte en gamme. Le mystère est total.
A la caisse, je sors un nouveau billet de 1000 yens pas encore assimilé, donc aussi étrange que du flouze de Monopoly. La dame a une seconde d’hésitation puis dit que :
- ha! un nouveau, ça surprend!
- oui, c’est bizarre, on dirait un faux, comme si je l’avais juste imprimé moi-même, comme si je l’avais ramassé sur le trottoir.
Elle rit.
#### Lecture et mobilité
Je veux dire par là qu'il faut se mettre au diapason avec l’autrice maintenant qu’est su sa méthode opératoire d’écriture (voir l’article précédent). Quintane, capito, mais pour apprécier et rire, il faut (re)lire son chapitre dans Contre la littérature politique sur la ligne Sobu entre Shin-Okubo et Ichigaya. C’est entrainant, et provoque pour un temps une sorte de mimétisme, de transfert de style dans ses propres écrits, je veux dire par là, au niveau du tempo, de la dynamique un peu gouilleuse. Que faut-il penser de ce transfert?
#### Enoncé parisien
Plus loin, c’est rue Léon Frot Paris 11e. La première fois que j’ai parcouru cette rue, en tout cas une bonne partie jusqu’à Tempos plus loin, ce n’est pas une madeleine mais une baffe qui fut reçu. Et depuis, et sous tous les cieux et saisons, c’est invariablement de Paris dans sa banalité qu’est associée ce bout de rue, pas sa totalité. Un quelque chose des façades d’immeubles éclectiques, des balcons pas vraiment standards surtout aux étages supérieurs, la canopée des arbres. Allez savoir pourquoi. Non n’allez pas savoir, merci.
#### Casseroles
Tempos aussi, c’est un bail. A 10h et quelques minutes passées, c’est vide et surchauffé comme déjà vécu, avec les énormes ventilateurs au sol qui brassent en vain. C’est toujours un plaisir que de passer dans les allées remplies à l’exhaustif du matos de toutes les cuisines. Je croise Dumas au rayon des casseroles qui prépare un festin pour un bal costumé en mars 1833. Nous nous ignorons courtoisement.
A la caisse, je dis à la dame qu’il fait chaud en été et froid en hiver. Ha! Vous connaissez bien! Elle dit mon nom impeccablement, courtesy of le système de CRM. C’est très courtois sympa small talk friendly ce coin.
#### Café théâtre
Plus tard, ailleurs, à Bronx. L’avantage d’une quasi-andropause, comme on dirait quasi-ratatouille, c’est que plus rien n’est palpitant. Tout ou presque est intéressant. On a évoqué des geishas, elles nous tombent dessus. Habitué aux coïncidences en rafale, je reste non-ébaubi. J en a des palpitations, moi juste des questionnements d’ordre anthropologique. D’abord - ça commence ainsi - on a vu passer une maïko, d’abord les mains vides, ensuite avec un plateau repas qu’elle a amené dehors, ailleurs. Une maiko le visage ingénu comme une maiko donc. Ensuite - ça continue - on a vu une geisha arriver et s’assoir tout près, mais comme elle portait un yukata d’été identique à celui de sa petite soeur, j’ai pensé à une maiko plus aguerrie.
Pour attirer le regard d’une geisha assise à la table d’à côté en plein dans votre champ de vision - qui à un moment se lève et fait une pose de profile comme une affiche pour boisson ou un train vers une Méditerrannée orientalisée, le mobile à la main pour alimenter la rumeur éculée mais toujours vaillante de ce mélange harmonieux de traditions et de technologies - je devine que l’usage de l’éventail est crucial. Un usage dénué d’ostentation, juste parce qu’il fait chaud au bout de l’établissement - le ventilateur électrique à main est totalement plouc - là où la clim ne s’aventure pas. Dans la poche de la chemisette, mobile et éventail, les accessoires ultimes. L’important est d’y croire, à cette version du récit.
Elle n’a pas été indifférente au coup de l’éventail. Elle a engagé la conversation, vendeuse bien sûr.
L’autre, sa collègue, qui nous tournait le dos habillée en jeans et juste au corps que je me demandais si elle n’était pas coach de gym ou employée d’un salon de cosmétique s’est averée être aussi une geisha, en jeans noir à ce moment là. On a parlé de trop courtes minutes, moi andropausé, J muet de palpitations. C’était bien, dans le quotidien, avec tabagisme passif intensif, mieux qu’au Japon rêvé, faiblement modianesque. Liza Dalby dans Geisha souligne à quel point il est implicite entre la geisha contemporaine et les clients que l’intéraction, ce qui se joue est pur théâtre, pure rêve pas ingénu, qu’il n’en restera rien une fois le rideau tombé, sauf si entrer dans la fiction, la palpitation donc.