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Le réparateur du broyeur de l’évier

Il a 81 ans et en fait 65. Pas une ride. Juste un peu vouté. Il porte cette fois-ci avec un confrère des sacs de matériel qui dépassent certainement les 20 kg chaque. Comme toujours dans cette saynète plaisante, il s’agit de jouer la répartie - s’étonner, le congratuler sur sa santé, sa jeunesse, suggérer à mi-mots une petite pointe de jalousie en comparaison avec son soi physique. Il annonce sourire en coin son âge sans être questionné sur le sujet, qu’il répond présent 24h sur 24 en cas de panne - même le 1er janvier? même le 1er janvier, mais je ne me déplace pas. Il a le monopole du matériel et des pièces de rechange, y compris le bouchon filtrant dont on ne trouve effectivement aucun modèle approchant nulle part. Il fait une fleur et ne le facture pas. La réparation n’a pas durée dix minutes qui coûte très cher mais cela se comprend. La courtoisie est commerçante. ####Aojiru et yokan Au parc proche de la mairie de l’arrondissement d’Arakawa - celui le moins touristique de Tokyo di

Désamorcer l’hédonisme gastronomique

Linge séchant sur le toit d’un immeuble à Minowa Le marchand de quatre saisons avait une dernière boîte de hétsuka daïdaï. J’en donne deux à K au comptoir et un à une jeune femme assise à la terrasse. Elle est de Singapoure et de passage pour son second voyage au Japon. Je lui explique la marche à suivre pour presser le fruit. Elle me demande avec inquiétude si ce n’est pas trop acide. Je lui dis que cela dépend de la sensibilité de chacun, mais c’est moins acide qu’un citron standard. J’aurais pu ajouter intarissable, que la température du jus, le moment de la journée où on le goûte, l’humeur de soi, bien dormi ou pas, réveillé et alerte ou pas, soucieux ou pas, météo sensible ou pas sont des facteurs qui vont tous entrer dans le ressenti. Elle me dit préférer la limonade sucrée. Je lui implore de ne pas ajouter de sucre mais de couper avec un peu d’eau au cas où le choc acide serait insupportable, ce qu’il n’est pas. Je lui suggère d’aller à deux stations de là, à Kitasenju, quartier

Investissement du réel

Deux manières de mise en scène d’identités nationale à Shin-Okubo. D’un côté, le quartier coréen, de l’autre, le quartier multiethnique qui couvre autant le Pakistan, le Bangladesh que la Chine (quelles provinces?), le Népal, et dans une moindre mesure le Vietnam et certains pays africains. Pas sur que le quartier soit une destination favorite pour les résidents Indiens de la capitale mais à l’exception des voitures d’ambassades africaines d’où madame l’ambassadrice déboule avec élégance pour acheter son fufu pas vendu à National Azabu, c’est la classe sociale qui détermine le lieu d’achat, et je subodore qu’il y a peu d’Indiens de la classe populaire au Japon. Si un quartier ethnique l’est parce qu’il est avant tout fréquenté par des personnes originaires des ethnies/nationalités considérées et/ou aussi parce qu’elles composent une partie de la population résidente locale, le quartier dit coréen est probablement un quartier ethnique comme l’est Disneyland. C’est dans cette optique luc

La pente espagnole

Les récits contemporains de séjours à moyen ou long terme restent ancrés dans une fixité géographique et d’éloignement qui ne reflètent plus les réalités contemporaines de l’expatriation et ne prennent pas vraiment en compte l’impact massif de la dimension mobilité, tant physique que mentale, surtout cette dernière. Dans cette vision à l’ancienne, nous continuons à  ignorer l’apport au quotidien des liens et intrants d’ailleurs ancrés dans l’hyperprésent que permettent les télécommunications audiovisuelles, et comment en conséquence le présent de là-bas interfère sur celui d’ici, nourrit dans les deux sens, secoue parfois comme des esprits une table spirite cette bidimensionnalité à téléportation virtuelle qu’il n’est pas facile encore d’élucider sauf à n’y pas penser. Elle rend réflexif, entre sérénité et fièvres, et complexifie le dialogue intérieur qui se déroule ainsi et au minimum dans une double dimension de vécus, au pluriel.  Est aussi le plus souvent esquivé ce que revenir tem

Post-Parc Hibiya et le savoir urbain de la fuite

En manque de photos. Cela viendra. ####Paraphrase La question des modèles est cruciale dans la compréhension du bâtir-lieu (place-making) tel que pratiqué par les architectes et les concepteurs urbains (urban designers). Il existe une longue tradition de “contextualisme” en urbanisme et architecture. Dans cette perspective, il faut noter l’influence considérable des études menées par Camillo Sitte - théoricien de l’urbanisme, autrichien, 1843-1903 - sur l’élucidation des conditions (attribus) de la parfaite piazza (en terme d’esthétique, de beauté, là où il fait bon être) ces places considérés comme prototypes de la qualité supérieure de la vie urbaine.  Cette tradition contextuelle est constamment mise à jour même aujourd’hui à travers les missions professionnelles d’observation qui amènent architectes et concepteur urbains à aller observer sur place, et particulièrement en Italie classique. On a donc toute une profession qui se nourrit tout autant de Dubaï et ses clones que des centr

Retour à Kichijoji

Photo pas de l’auteur, empruntée de Google Maps. Pour un temps long, M ne m’a pas reconnu. J’ai par contre été surpris de son vieillissement. Combien de temps s’est-il ainsi écoulé? La réponse allait poindre bien plus tard dans la journée. Sur le parcours familier mais à distance dans le temps, j’avais remarqué l’absence du marchand de fruits et légumes où j’escomptais trouver du gingembre. Plus de marchand désormais impossible à localiser ne serait-ce que par une trace. Voilà une conséquence radicale de l’absence de numérotation des immeubles à usage de repérage dans le milieu urbain. Le marchand était peut-être devenu ce bar sentant le neuf, ou peut-être cette boutique bar d’un côté, anoraks de l’autre. Bar-anorak, bal-anorak. Boire un coup, avoir chaud, tomber la veste. Comme j’en faisais la remarque à M qui maintenant me situait mieux, elle me dit avec emphase que le marchand, plus précisemment la marchande, avait fermé depuis bien des années! Quand la marchande ferme, qu’advient-i

L’impubliabilité

Un nouveau chapitre dans l’énoncé lucide des ambitions d’Ecrirea.tokyo : se situer hors la publiabilité comme condition heureuse d’ouvrir la réflexion et les chakras vers d’autres possibles d’écritures. Je ne crois pas à la validité d’un anti-guide touristique qui ne ferait que le jeu du grand tout, comme Supersize Me n’a aucun impact sur la consommation de la malebouffe. Ces gesticulations se situent encore et toujours dans ce que Sandra Lucbert nomme à propos la vacuole de la plainte, dans sa sous-catégorie associée à l’humour railleur, le cynisme faible qui n’a même pas capacité à déplacer le ressenti de l’émetteur, le déplacement consécutif à l’écriture, ou à sa lecture, étant ce gain de conscience, de lucidité qui ouvre les possibles autres. D’ailleurs, on notera que le sujet surrexposé du surtourisme qui devrait en toute logique ne figurer que dans la rubrique économique non-associée à des considérations personnelles et singulières a pour effet voulu, donc hégémonique, de garder

Transition

Au sortir de la station Madeleine nuit noire. Le bâtiment de l’église sombre indistinct tranche avec la perspective des boutiques illuminées. La première réaction flash est de se remémorer Yurakucho, mais c’est une erreur d’appréciation. C’est de Marunouchi, de la totalement artificielle rue Marunouchi Naka-Dori dont il s’agit, à condition bien sûr de porter le regard uniquement au niveau des rues et oublier les perspectives des immeubles qui offrent dans une capitale européenne la patine vraie de l’âge, ce qu’aucun développeur ne peut et n’a d’intérêt à simuler, sinon qu’en mode cheap prétentieux, comme sur la Marunouchi Naka-Dori qui jamais ne connaîtra la patine. Gens bien habillés, ce qui tranche totalement avec le paysage vestimentaire global ambiant, staff de boutiques de luxe, dans une desquelles en transparence a lieu un événement qui suinte sur la rue. Tout est poussiéreux sablonneux et porte atteinte aux bronches à Paris. Comme on arrive trop tôt, je me pose sur un banc dans

Devenir étranger (extraits)

Les photos d’illustration ont disparu. Sous le viaduc à Koenji, temporairement bien dégagé derrière les oreilles.  ####Assistant Bientôt est apparue une nouveauté dans le paysage humain urbain. Alors que l’écran du mobile accaparait le regard sans pour autant se traduire sur le visage atone des usagers par la moindre expression d’un ressenti, on voit maintenant dans le métro comme dans les cafés des visages brièvement souriants, on entend parfois de petits gloussements retenus à peine. Chacun a enfin trouvé avec son assistant IA un ami idéal, avec qui échanger et être flatté, consolé. Dans l’espace public, à Londres comme à Tokyo, personne n’utilise l’input vocal alors que sous certaines latitudes, parler à son écran et lui rire au nez ou le tancer est devenu un spectacle banal. Pour les silencieux, l’interprétation automatique des expressions du visage se développe au point que le système engage un dialogue sur la base de l’analyse des traits, un dialogue soucieux  et empathique : tu

La chambre du Carmel

La chambre du Carmel est réminiscente d’une chambre privée d’hôpital austère. Pour viser la simplicité, on peut au choix se faire hospitaliser ou entrer dans les ordres le temps de deux nuits. Dans les deux cas, on doit laisser le superflu ailleurs pour de pures raisons logistiques qui obligent à l’abstinence. Je lis justement dans le prologue du livre de Razmig Keucheyan Les besoins artificiels quelques lignes passionnantes - on se calme avec ce vocabulaire là merci - sur le droit à l’obscurité. Singapour est la ville la plus illuminée en permanence au monde. La population ne connaît pas la nuit noire et partant, ne sait rien des étoiles et de la voie lactée. Ici, le large couloir où s’égrainent les chambres des nonnes n’est pas éclairé, tout comme nombre de locaux au rez-de-chaussée, tant et si bien que la pénombre est la norme, et une des expériences de séjour les plus intéressante. Elle met à mal le pas qui craint de manquer une marche. Elle implique l’usage de la lampe de poche e