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Transition


Au sortir de la station Madeleine nuit noire. Le bâtiment de l’église sombre indistinct tranche avec la perspective des boutiques illuminées. La première réaction flash est de se remémorer Yurakucho, mais c’est une erreur d’appréciation. C’est de Marunouchi, de la totalement artificielle rue Marunouchi Naka-Dori dont il s’agit, à condition bien sûr de porter le regard uniquement au niveau des rues et oublier les perspectives des immeubles qui offrent dans une capitale européenne la patine vraie de l’âge, ce qu’aucun développeur ne peut et n’a d’intérêt à simuler, sinon qu’en mode cheap prétentieux, comme sur la Marunouchi Naka-Dori qui jamais ne connaîtra la patine. Gens bien habillés, ce qui tranche totalement avec le paysage vestimentaire global ambiant, staff de boutiques de luxe, dans une desquelles en transparence a lieu un événement qui suinte sur la rue.

Tout est poussiéreux sablonneux et porte atteinte aux bronches à Paris. Comme on arrive trop tôt, je me pose sur un banc dans la pénombre là aussi sur le terre-plein des Tuileries devant la place de la Concorde. Effet de sable de plage au pieds, c’est Paris sur mer en décompression de surchauffe estivale. Il y a un village de rugby beau comme un chantier, et le ciel qui se la joue bicolore.

Le staff du musée aussi est très soirée sélect tout le monde s’aime la team bisounours de connivence, sauf quand le code barre du ticket n’est pas reconnu, ce qui offre à l’attitude bien plus endémique de la _surveillantite qui-vivite alerte attentat_ de pointer son museau menaçant dans l’échange courtois. Visiblement, ça va commencer et je n’ai pas la moindre idée de ce dont il s’agit. S m’a fourgué son ticket, tiens vas-y, je n’ai pas le temps. 

Traversée de la salle des Nymphéas belle comme un petit hall de station de métro qui ne serait accessible que sur invitation. Luminosité de l’espace LED, homonyme à deviner. On me fait signe que cela va débuter incessamment. Une jolie asiatique en uniforme noire classe me donne un coussin plat rond, une dame m’indique un parterre déjà rempli de spectateurs plutôt maladroitement assis sur ces coussins à même le sol - un sac à main YS avec jeans - à croire que même à ce niveau il y aurait une influence de l’inconfort traditionnel japonais. Au quart de tour je dis à la dame sans sourire aucun que mon médecin m’interdit absolument la pause accroupie, en tailleur, en dresseur de cobra, bref à même le sol. Elle ne bronche pas mais me demande de la suivre le long du seul très long banc de la salle où elle avise une autre jeune femme qui libère sa place illico sans plus broncher non plus. J’avais demandé à l’entrée la durée du spectacle, 25 minutes, n’étant pas inspiré ni enthousiaste. 25 minutes après, dont 20 à fixer le regard sur la pointe de mes chaussures, je vois M dans l’assistance, visage fatigué de journées professionnelles trop chargées - qui me jette un regard dépité de connivence. 

T’as trouvé ça comment?

Affligeant.

C’est dingue que tout le monde ait applaudi!

Quelques heures avant de partir, une heure pleine assis dans l’église Notre-Dame du Rosaire en changeant d’angle trois fois. Calme presque absolu et fraîcheur. Bon plan de pré-vol. Les lieux de cultes semblent n’être fréquentés en passant que par des croyants, ce qui n’est pas indispensable pour apprécier le calme et la fraîcheur. Certains en voyages d’agrément visiteraient les églises et lieux de cultes ailleurs que chez soi. Il faut parfois être chez soi comme si ailleurs. 

Et pour finir, un ultime café croissant à la boulangerie bruyante de machineries - climatisation et frigos - et à forte fréquentation à cette heure-là. Les corpulences et les tenues dénuées d’élégance mais pas de pointes d’originalité parfois ont considérablement évoluées. Les coiffures sont n’importe quoi, les cheveux souvent d’un shampoing d’avant-hier, mais est-ce important? Tout comme le goût et la texture de la baguette qui n’en est plus. Je me dis que j’aurais pu vivre là et ne pas avoir noté l’évolution du goût et de la texture de la baguette par simple effet du quotdien. L’usage du terme “artisanal” est inversement propotionnel à ce dont il s’agit vraiment. 

La patronne à la voix aigüe que je continue à ne pas vraiment percevoir est polyglotte, entre le français, l’arabe je crois et l’anglais pour les touristes airbnb du coin. Le dialogue commerçant-consommateur est un impératif théâtrale majeur dont l’observation vaut pour moi en tout cas tous les théâtres. Les petits enfants en patinette sont accueillis par des bonjours sonores - ou pour certains prennent l’initiative du dialogue - et sont ainsi inscrits dans la dynamique des échanges humains, contrairement au Japon où même les jeunes parents ne parlent que très rarement à leurs enfants, en public en tout cas. On ne s’aviserait pas de ne pas dire bonjour, bonne journée bonne soirée, sauf à passer pour un rufiant taciturne. Jamais ainsi la dynamique communicative ne m’a semblé être à ce point un indicateur de ce qu’est la bonne vie relationnelle courtoise escomptée, malgré toutes les tensions sociales, alors que maintenant et quelques heures plus tard de transition, si proche et si lointain et si différent dans l’espace d’une demie-journée passée dans le ciel et maintenant dans le monorail, c’est le silence mollement dans la moiteur qui suinte derrière la clim, le silence hormis les annonces du nom des prochaines stations le long du parcours noir inquiétant à ces heures de traversée du territoire aquatique jusqu’à Hamamatsucho. 

Dans le wagon, un petit enfant dans une poussette crie tout le long du trajet. Il ne pleure pas non, il crie. Plus exactement, il parle, il exige, il requiert sans se lasser l’attention de ses parents qui ne lui répondent pas et n’expriment aucune émotion. Le hasard fait que l’on se retrouve dans le même ascenseur au terminus, le petit maintenant sur le ventre de son père avec un harnais, l’air satisfait, jetant un regard tantôt en hauteur vers le visage paternel, puis de côté vers le visage de sa mère. Il ne demandait que d’être ensemble. J’essaie mais en vain d’attirer son regard. Il n’a d’yeux que pour ses parents.   

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Merci aux lectrices et aux lecteurs de Belgique, France, Suisse, Japon, Singapour, USA, Hollande, Allemagne et Russie, of all places.