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A Nérima-nord

 


Mais d’abord sortie ouest flanc sud. Couloir intérieur qui donne sur la ruelle en contre bas. A gauche. Passer la boulangerie café Denmark Bakery qui n’a de danoise que le nom. Elle offre une ample salle à l’étage, rare dans le quartier. Traverser au carrefour puis à gauche le long de la 439 qui courre parallèle au train surrélevé. 


Produits secs Komatsuya. Ma destination première. Un hangard tapissé de bois. J’en pince pour les intérieurs commerciaux en bois, les drogueries, les kanamonoya, certains rares garages réparateurs d’autos, tous plaqués en bois. Dans le cas des produits secs, ça tient sous le sens : ça absorbe l’humidité.  


Etrange accueil. D’un oeil, je constate que la vaste devanture de caisses accolées est presque vide de produits. De l’autre, je vois au fond à droite le patron, son fils, la troisième génération, enfin, je n’en sais rien. Il me fait un signe de sémaphore bras croisés ostentatoires comme si un parking était plein. Owari. Owari quoi? Peut pas parler qu’en mode infra-télegramique? Owari, ça peut tout aussi vouloir dire que c’est fermé alors que c’est ouvert. Il ajoute : ashita owari. Non, sans blague? Demain dernier jour? Il vient vers moi pas souriant. J’avise sur les présentatoirs à gauche les derniers sachets de poudre de katsuobushi, ce que je venais chercher très exactement. Il me dit  d’un ton sec - conséquence du commerce? - que ça se règle en liquide. Je lui réponds que je le sais, que ça n’est pas la première fois que je viens. la troisième en fait, et la dernière. Je suppose que Komatsuya a au moins soixante dix ans d’âge. Une boutique de produits secs qui disparaît, c’est nul. Avec pignon sur la 439, ce sera un kombini bien visible ou un établissement de chaîne de nouilles à la con. 



La jeune fille s'est fait prendre en vidéo dans son acte délétère. Elle ne faisait aucun effort pour se cacher. Elle s'est fait prendre à ajouter sa marque, son graffiti sur le Colisée de Rome, entrant ainsi dans la longue lignée historique des graffeurs de passage qui ont marqué leur présence. 

 

Les médias se sont mis en branle - c'est du pain béni à générer des commentaires. La VAV, vanne à vindicte s’ouvrit grande.

 

Neuf cerisiers en vue. En poursuivant plus tard dans le bus direction Koenji, on en observera ecore quelques autres.

Pour aller au nord de là, il faut poursuivre un peu à l’est. Apparaît jusqu’en début de courbe dans la perspective une série de neuf cerisiers qui ne sont pas nés de la veille. Ils disent quelque chose. Ils disent ce qu’était la 439 quand le train circulait au niveau du sol, que la rue était très commerçante, pleine de vie de jour, pleines d’odeurs et pas que des bonnes. Le micro quartier du soir en retrait avec force restaurants et débits de boissons suggère que la nuit aussi était vivante et l’est encore un peu, peut-être. 

La bêtise de l'ado a été soulignée, tout comme le mépris affiché des parents protecteurs qui s'interposèrent quand un guide qui accompagnait un groupe de touristes avait filmé la scène - pâture aux médias - et interpellé vocalement la coupable qui cessa d'agir immédiatement en conséquence. 

 

Il a donc été question de bêtise, de manque de respect, d'inculture, d'ignorance, de suivisme, d'impensé - de tourisme donc.


Dans ce discours accusateur incontournable, il n'est jamais question d'ennui. 


L'ennui, le plus pur ennui qui soit, celui de l'enfance qui dure longtemps. En plus ici, l’ennui ailleurs qui est une sous-catégorie singulière. L’industrie du tourisme est la plus grande machine de transformation de l’ennui en expériences.

 


Donc sur la 439, aux abords du viaduc, épouvantable ruban surrélevé de béton, on trouve des restes, des touches d’indolence. 

Traversée du viaduc par en dessous. Observation de maisons, de restaurants de poches épars. C’est partout ailleurs à Tokyo qui n’est pas la métropole trépidante qui ne dort jamais sauf la nuit, mais sa si vaste version ex-campagne, semi-périurbaine, léthargique encore plus sous la chaleur. On est à dix minutes en train direct d’Ikébukuro qui fait vraiment figure de porte septentrio-occidentale de Tokyo, comme Oji, comme Jujo, comme les zones nordistes tel Kita-Senju, Minami-Senju, etc. 

La fin du plateau d’Ikébukuro dans sa partie ouest finit très exactement au niveau de Dream Coffee, point géographique majeur qui marque la finalité de l’urbanité métropolitaine. Même l’université Rikkyo est en manque d’urbanité, déjà les pieds dans un champêtre disparu. Elle préfigure le provincial qui n’a d’urbain que la largeur imposante de certaines voies de circulation. La mégapole est essentiellement villageoise qui s’est oubliée. 


La municipalité a ouvert les bras à la Warner pour se doter d’une image de marque, investir la non-pensée du territoire comme une prothèse sans aucun rapport avec les lieux. Un village de Harry Potter a atterri plus loin au nord-ouest dans ce qui s’apparente sur le plan à un vaste parc. Revenus fiscaux priment.

La part de l'ennui dans ces marches impensées dans toutes les capitales et sous-préfectures du monde à consommer pour s'inscrire dans les sentes convenues, indispensables, incontournables, marquées de pauses à boire et manger.

 

Il n'y a pas lieu de s'ennuyer sur ces parcours. On n'est pas venu pour cela. Et puis, qu'est-ce que l'ennui quand des milliers d'années vous contemplent a travers les pierres massives?

 

Malgré toutes les précautions, le tourisme comme système ne réussit pas à colmater totalement les micro-fêlures d’où l’ennui suinte.

 


La coupe x 0,6 photographique vous rend en biseau des angles droits. C’est beau, puissant, faux.


Au nord donc, vers une biscuiterie café au bout de ruelles indolentes. Déclivité progressive qui mène bien plus loin au bassin de la rivière Shakuuji. 

Attendre le passage d’un vélo pour actionner l’obturateur.

Dans la boutique, une belle sélection de livres mais personne pour demander les raisons de ce choix. 


L’occasion de feuilleter pour la première fois un exemplaire de Vivian Maier - Street Photographer. Ça rend humble. 


Early Color de Saul Leiter est par contre d’un format bien trop réduit pour apprécier les clichés.


Durkheim, Le suicide, Toqueville, Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. 

En parallèle, lecture en ligne des premières pages d’Un ABC de la barbarie, Jacques-Henri Michot.

Le dispositif tel qu’énoncé chez l’éditeur.

Ce livre est un dispositif à trois composantes : 
• une liste ; 
• une contre-liste ; 
• des notes. 
La liste (alphabétique) : celle des stéréotypes « médiatiques » – paroles gelées, poison pour la pensée. 
Entre les blocs écrasants ainsi constitués, s'insèrent les entailles d'une contre-liste : citations de voix singulières – écritures, musiques, peintures, films… Rouages d'une petite machine de guerre. 

C’est limpide.