Accéder au contenu principal

La chambre du Carmel



La chambre du Carmel est réminiscente d’une chambre privée d’hôpital austère. Pour viser la simplicité, on peut au choix se faire hospitaliser ou entrer dans les ordres le temps de deux nuits. Dans les deux cas, on doit laisser le superflu ailleurs pour de pures raisons logistiques qui obligent à l’abstinence. Je lis justement dans le prologue du livre de Razmig Keucheyan Les besoins artificiels quelques lignes passionnantes - on se calme avec ce vocabulaire là merci - sur le droit à l’obscurité. Singapour est la ville la plus illuminée en permanence au monde. La population ne connaît pas la nuit noire et partant, ne sait rien des étoiles et de la voie lactée. Ici, le large couloir où s’égrainent les chambres des nonnes n’est pas éclairé, tout comme nombre de locaux au rez-de-chaussée, tant et si bien que la pénombre est la norme, et une des expériences de séjour les plus intéressante. Elle met à mal le pas qui craint de manquer une marche. Elle implique l’usage de la lampe de poche en pleine nuit pour aller aux toilettes. La chambre elle-même ne manque pas d’éclairage très blanc,  sans pour autant qu’il s’agisse de LED. Avec la hauteur de plafond considérable et la peinture crème, ce n’est pas reposant pour les yeux dès lors que la nuit tombe. Le seul moyen de faire face est d’éteindre tout. S’il s’agissait de passer plus de temps ici, une petite lampe faiblarde jaune de préférence pour la petite table faisant office de bureau s’imposerait. 


La chaise associée est en bois avec siège en osier tressé. Le silence qui était de rigueur jusqu’au départ des dernières nonnes en 2022 n’est pas acquis. Au delà des murailles de la vieille ville, immédiatement le long du fleuve coule un système complexe de nationales, départementales et échangeurs chargés d’autos et de la pollution sonore conséquente. Elle pénètre jusque dans les chambres, amplifiée parfois par le vent, avec des moments de stridence quand des véhicules d’urgence passent. Le train aussi laisse entendre sa signature sonore. En fermant les volets et en pleine nuit par contre, le silence est profond, encore plus dans le couloir où la lampe de poche est indispensable. 


Pour revenir à la chambre, toutes la tuyauterie est apparente, non pas pour faire cool mais parce qu’il s’agit d’ajout historique qui ne figurait pas dans la pierre il y a cinq cent ans. A peu près. 


Au rez-de chaussée se trouve une chapelle en forme de L constituée de deux salles faisant face, mais dans des angles distincts, au tabernacle. Le commun visiteur pouvait assister aux vêpres en même temps que les résidentes sans que ces deux assemblées se voyent, les nonnes ayant fait voeux de silence et d’invisibilité. Le lit sur lequel je dors est étroit mais suffisant. Il ressemble fort à un lit d’hôpital mais sans roulettes. Peut-être qu’une nonne y a passé sa vie, y est décédée. Heureusement que les lits ne parlent pas des paroles qui pourraient troubler le sommeil.


Vraiment, redémarrer paraît si simple ainsi. Il suffit de partir avec l’intention de réduire la voilure à destination. La vie simple exige le déménagement.


Sur la rue de la République c’est le 7e et le Marais réunis, avec les enseignes glolablisées et les boutiques qui affichent leur origine parisienne. Par contre, quand on s’éloigne au nord-est, le paysage devient soudain italien. Il manque de jaune aux maisons pour s’y croire vraiment, mais le ressenti est transalpin du sud. Le dictionnaire de synonymes propose rital comme option. Le patron de la petite cantine de tout à l’heure qui maudit la ville m’a d’ailleurs dit, quand je lui ai mentionné cet air rital, que le quartier en question était autrefois peuplé d’Italiens. 


La ville est un concentré d’inégalités sociales, et c’est pour cela qu’il la maudit, qu’il la subit. Les incivilités, la violence, la drogue, la prostitution, les jeunes des quartiers extérieurs, les touristes, beaucoup de groupes d’Européens retraités dont nombreux ventripotants. Venant d’Asie, du Japon, le panorama humain est remarquable, mais plus encore ici où l’été perdure encore. La moyenne des hommes particulièrement est haute et épaisse. On peut lire sur le fléau du surpoids américains, depuis britanique et sud-américain puis européen de l’ouest et ainsi de suite comme une marée noire de pollution qui s’étend inexorablement, mais ici, à défaut de le lire, on le voit. Les humains sont épais.


Les centres villes européens offrent un panorama étrange qui sied à l’image touristique. Ils se ressemblent et je suis persuadé qu’ici est identique à Bayonne-centre. Les terrasses des cafés restaurants sont pleines à partir de 10 h du matin et probablement jusqu’à bien après que je sois couché. Cela semble ne pas se limiter aux quartiers centraux comme à Lyon l’autre jour mais l’impression conséquente et fausse est qu’un tas de gens ont le temps et les moyens d’être en terrasses. Si c’est pas malheureux mon bon monsieur m’a dit tout à l’heure le patron de la cantine qui maudit cette ville mais ne ferme pas boutique : lui qui vénère la valeur travail reconnait avoir assez tôt gagné plus d’argent à travers des placements que dans le salariat. Il a commencé à travailler à 15 ans et fait plein de boulots.


La conversation est d’autant plus facile avec quelqu’un qui bout. Il me dit attendre tous les jours avec impatience de fermer boutique, prendre sa voiture et rentrer dare dare dans son village proche où les gens se connaissent et où l’entraide est une réalité. Jusqu’au lendemain matin où il doit ouvrir boutique. Ses griefs sont politiques, raciaux, racistes en cantimini vous voyez ce que je veux dire, en mode réciprocité face au racisme qu’il a subit ou constaté quand il a travaillé dans la restauration dans le nord de l’Italie pendant quatre ans. De part et d’autre, c’est tire-au-flanisme, petits sabotages et non-application des clauses du contrat de travail pourtant signé alors que lui travaille depuis l’âge de 15 ans.


Sur la rue de la République beaucoup ne travaillent plus. Dans ces coinstaux en retrait, devant le McDonald ou le KFC qui clame que le poulet est français tout comme l’est la pomme de la frite M, git la faune urbaine des déclassés alcoolisés, drogués, déphasés, mentalement décalés qui met mal à l’aise et est statique. En cela, cette rue de la République est un modèle, où circulent selon les heures une densité variable de visiteurs retraités en bermudas teeshirts pour les très jeunes, en chemisettes plutôt pour les beaucoup moins jeunes. 


On voit parfois passer en trombe sirène beuglante des voitures de police qui foncent vers le bout de la rue où la piazza rectangulaire me rappelle l’Espagne, là se concentrent le plus de touristes et où les terrasses sont au coude à coude. Le pain du petit-déjeuner est une sorte de baguette revisitée par un boulanger italien. La confiture est d’abricot. C’est Candia qui fait le beurre. Le café allongé ne l’est pas assez. Il n’y a jamais de service d’eau. Les toilettes sont normalement cassées mais je ne vais pas me plaindre sinon cela va se lire comme un retour au Japon qui préfère la perfection logistique de l’ailleurs. Maudit soit CDG. Ce petit-déjeuner a le goût distinctif de vacances anciennes en Europe. 


Les échanges consommateurs vendeurs sont toniques comme il se doit. Un bon mot fait beaucoup d’effet. Quand la personne est disponible, comme tout à l’heure avec le patron de la petite cantine - de poche - il est important de lui parler. Il y a une énorme envie de parler, de soi, de ses malaises, ses irritations. On y glâne plein de choses à digérer pour après. Pour l’écriture.