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Investissement du réel

Deux manières de mise en scène d’identités nationale à Shin-Okubo.

D’un côté, le quartier coréen, de l’autre, le quartier multiethnique qui couvre autant le Pakistan, le Bangladesh que la Chine (quelles provinces?), le Népal, et dans une moindre mesure le Vietnam et certains pays africains. Pas sur que le quartier soit une destination favorite pour les résidents Indiens de la capitale mais à l’exception des voitures d’ambassades africaines d’où madame l’ambassadrice déboule avec élégance pour acheter son fufu pas vendu à National Azabu, c’est la classe sociale qui détermine le lieu d’achat, et je subodore qu’il y a peu d’Indiens de la classe populaire au Japon. Si un quartier ethnique l’est parce qu’il est avant tout fréquenté par des personnes originaires des ethnies/nationalités considérées et/ou aussi parce qu’elles composent une partie de la population résidente locale, le quartier dit coréen est probablement un quartier ethnique comme l’est Disneyland. C’est dans cette optique lucide qu’il vaut le détour. Le quartier multiethnique juste à l’opposé est par contre le plus ethnicisé qui soit. 


####Comment cela vieillit

Dans un article conservé de 2018 du The Economist intitulé “The virtue of Anywheres

In defence of the hipster aesthetic - Our correspondent argues that they are places where both brick and worldviews are exposed”, l’auteur mentionne “THE Starving Rooster”, un bar à bières de petites productions (ou assimilées) et restaurant tendance situé à Minot, Dakota Nord, qui est “about as close as you can get to the middle of nowhere”. 

L’intérieur global homogène y est décrit comme ressemblant à partout ailleurs, ce qui en fait donc une destination pouvant se trouver partout et ailleurs à la fois. L’esthétique globalisée confèrerait un sens d’appartenance à la globalisation, au monde. C’est peut-être pour cela qu’à Tokyo en plein cagnard estival proche du létal, on pouvait voir de jeunes couples occidentaux avec bébés en poussettes comme si l’air d’aller à Ikea le week-end. Les destinations sont tout autant de signes de globalisation que les démarches pour s’y rendre, les tenues, les visages, les modes d’apparence et d’y être. 

En 2018 donc, l’auteur concluait : 

“What big-city visitors and critics forget is that even in the middle of nowhere, places that could be anywhere are, for the people who live there, an essential component of feeling like they are indeed somewhere”.

Indeed, effectivement. Entre temps, The Starving Rooster est devenu une pizzeria. A l’ouest de Tokyo poussent les destinations globalisées sur le modèle du Starving Rooster d’origine, cafés modèle hipster indigents d’originalité. Certains ferment rapidement. D’autres persistent et emplissent le vide. La réduction drastique des services de transports publics dans cette zone relègue l’ouest de Tokyo à un quasi-quelconque territoire rural inadapté, ce qui s’additionne à la mentalité de camp retranché des (rares) habitants séculaires qui vivent longtemps et ne veulent pas voir de nouveaux venus venir. Entre temps, il paraît selon certains que la propagande d’arrondissement des angles à la préparation du mental commun à s’habituer à l’idée d’une montée inexorable du nombres d’étrangers (non-blancs) au Japon suite dans tous les recoins. Plus facile d’accueillir des pandas. Mais ce sont les populations à fortes compétences de créer des quartiers à leur identité qui changeront un tout petit peu la donne. L’idée d’intégration est une vieille idée, une idée de vieux


####La jeune femme du marchand de quatre saisons


M’a adressé la parole. Elle est Chinoise, est impressionnée quand je réponds à sa question sur ma durée de présence ici (elle n’était pas née). Je lui demande le pourquoi de son parler japonais. Elle me répond qu’elle travaillait dans une entreprise japonaise en Chine. Je ne la félicite pas sur son aisance à parler la langue. Il faut une fois pour toute ne plus en faire un fromage, ou alors féliciter les jeunes (un peu moins maintenant) Syriens et Irakiens qui ont assimilé la langue allemande depuis que la chancelière avait dit “on peut”. C’est effectivement du domaine du possible et du commun.


Je demande s’ils ont des poireaux leek, mais ma prononciation ne correspond pas à l’usage phonétique dans cette boutique qui est “leeky”, comme si cela fuyait. Ils n’ont pas encore posé ces poireaux sur l’étal mais quelqu’un part m’en chercher qu’on me coupe en deux à ma demande. Elle me demande comment je cuisine cela, quel goût cela a-t-il. Je lui réponds que c’est doux. J’oublie de lui préciser que ça se colore et se caramélise assez vite au grill ou à la poêle; j’oublie de lui dire qu’à Taïwan au minimum existe une sauce condimentaire que l’on trouve aussi à Tokyo à base de poireaux dits rouges qui sont probablement de la même veine que les poireaux leeks et parfaits pour développer un fond goûteux. 

Ils ont des fruits peu communs ainsi que des légumes rares, une pleine boîte de citron kéraji daïdaï essentiellement introuvables à Tokyo, et aussi des prunes Homan Yellow - il a fallu chercher pour trouver le nom exact - qui sont joufflues, jaunes et très sucrées comme si confites. Une merveille.

####Imprimantes 3D

L’autre fois c’est M qui m’amène impromptu, et peu conscient que je suis chargé de victuailles comme une bête de somme, vers “quelque chose qui vous intéressera”. Il s’agit d’un atelier de création de pièces diverses à bases d’imprimantes 3D dans une maison ancienne à étage tout en bois. J’ai droit à une introduction du mode d’usage des machines, les modèles numérisés virevoltant sur des écrans pas courants. Le maître des lieux a la trentaine, s’est autoformé à tout cet appareillage, et produit surtout des modèles de pièces d’accessoires de mode qui se montent sur chaînes longues, qui constituent un marché très lucratifs - il reste très discret sur ce point - pour de jeunes qui y perdent le peu qu’ils gagnent dans des arubaïtos à la con, chaînes qui se portent apparemment au niveau du pantalon, chaînes que l’on ne verra jamais dans ce quartier-ci. On rebrousse chemin pour prendre un verre au comptoir Etrangement et malgré avoir marché à peine plus de 10 minutes, je ne parviens pas à me remémorer où il m’a amené. Sans doute près de la station de pompage de la Sumida, sans doute.

####Cuir

Quelques jours plus tard à un autre comptoir, j’apprends que se trouvait pas loin autrefois un abattoir, qui explique la présence même aujourd’hui de nombreuses boucheries indépendantes dans l’arrondissement. Machiya était célèbre pour ses gargotes spécialisées dans les abats grillés ou mitonnés. La Sumida comme la Bièvre ailleurs était un coin de tannerie où l’air était plus que malsain, et dont des traces olfactives étaient encore présentes il y a une trentaine d’années. Les personnes pratiquant dans ces industries étaient bien entendu l’objet d’un ostracisme séculaire. 

####Indescriptible Tokyo


Les premières pages de Ville nouvelle d’Agnès Riva tombent à pic pour commencer à meubler cette présomption qu’il faille passer par littérature, la fiction, pour se tenir au courant de comment les villes ailleurs évoluent, ce que la dépendance aux actualités au final ne nourrit pas bien. Ici, l’auteur américain Michael Pronko pontifie sur Tokyo comme ville qui résiste à la description, Saisie d’une intro d’un événement récent. Il semble y avoir une litanie d’auteurs bancs au Japon dans la veine du roman policier urbain nécessairement à Tokyo. C’est lassant. Cela fait écho mais en mode opposé à la courte présentation de l’ouvrage bien tentant de Maryline Heck, Écriture et expérience de la vie ordinaire. Perec, Ernaux, Vasset, Quintane :

L’une des marques de fabrique du contemporain littéraire réside dans son investissement du réel, conçu comme un espace à arpenter et documenter, un terrain d’enquêtes plus ou moins exotiques, et une matrice de l’écriture.” 

Tokyo vu des Blancs installés qui écrivent - une minorité - ne se situe jamais dans l’investissement du réel. 

Author Michael Pronko considers how to describe our home:

Tokyo resists description. I want to try to articulate what qualities of the city are uniquely challenging when putting the experience of the city into words. Tokyo’s fluidity, historicity, density, turbidity, and humanity defy description. But that defiance of language is what makes Tokyo so interesting.

Tokyo resists description. Bullshit.


####Parlor Orange

A Parlor Orange, tout est vieux parce que pas neuf. Je le répéterai sans cesse : l’étiquette “rétro” est le suprême de la bêtise qui confond la mise en scène du good old time comme une muséification à ces échoppes et cafés rares qui ont en commun de ne pas se la jouer rétro justement, mais de tout simplement n’avoir pas d’avenir que le moment présent et l’échéance de leur gérant qui depuis quarante ans au moins gèrent tous les jours de l’année comme tous les jours de l’année ici à Orange Parlor. Le lieu n’est n triste ni gai ni déprimant.Il est.  Une affichette à l’entrée précise que les personnes qui viennent pour se faire lire l’avenir le stipule en arrivant. 


Notez que les photos ne sont pas nécessairement liés aux propos.