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L’impubliabilité


Un nouveau chapitre dans l’énoncé lucide des ambitions d’Ecrirea.tokyo : se situer hors la publiabilité comme condition heureuse d’ouvrir la réflexion et les chakras vers d’autres possibles d’écritures.


Je ne crois pas à la validité d’un anti-guide touristique qui ne ferait que le jeu du grand tout, comme Supersize Me n’a aucun impact sur la consommation de la malebouffe. Ces gesticulations se situent encore et toujours dans ce que Sandra Lucbert nomme à propos la vacuole de la plainte, dans sa sous-catégorie associée à l’humour railleur, le cynisme faible qui n’a même pas capacité à déplacer le ressenti de l’émetteur, le déplacement consécutif à l’écriture, ou à sa lecture, étant ce gain de conscience, de lucidité qui ouvre les possibles autres.


D’ailleurs, on notera que le sujet surrexposé du surtourisme qui devrait en toute logique ne figurer que dans la rubrique économique non-associée à des considérations personnelles et singulières a pour effet voulu, donc hégémonique, de garder haletant l’incontournabilité de la nécessité de voyager pour se sentir être, pour ceux qui peuvent, et pas dans des embarcations précaires.


Dans The New Yorker, une recension de l’ouvrage de la photographe Barbara Mensch, A Falling-off Place, The Destruction of Lower Manhattan, avec le Fulton Fish Street Market, celui de Joseph Mitchell, au centre de l’exposé visuel. C’est poignant et en même temps étrange d’impression de déjà-vu. La résonance visuelle avec la destruction de Tsukiji est inévitable. C’est somme toute du même sujet dont il s’agit. On dirait un ouvrage déjà classique, d’une Vivian Maier contemporaine.


Sur l’exposition publique du rapport amoureux dans l’espace de mise en flux nommé aéroport


Dans la passerelle d’embarquement, elle marche devant moi, yeux figées sur son amoureux - brève perception non recherchée de ma part d’un beau barbu sur l’écran. Elle porte d’une main ce mobile précieux comme un calice avec l’oeil photographique braqué sur elle-même, au niveau de son visage, puis à bras quasiment tendu à l’approche de la porte de l’aéronef. Le son est absent qui circule en mode privé à travers ses écouteurs. Elle ne perd jamais l’équilibre dans cet exercice d’adieux longs qui n’ont pas lieu comme ils vont se poursuivre je suppose même durant le vol avec une brève interruption le temps que l’altitude adéquate soit atteinte et le processus d’achat d’un accès service complet wifi mené à terme. 


Et jusqu’à l’attente devant le tapis roulant des bagages à l’arrivée, comme le hasard fait qu’elle se positionne juste à mon opposé du tourniquet. D’une certaine manière, ils ont voyagé ensemble. La séparation se leurre dans l’idée qu’elle n’a pas eu lieu. Aucune chaleur ne transpire dans un baiser sur écran. lls le savent. Ils le sauront. La technologie n’est qu’au service des retrouvailles, rapides on espère. A ce moment là, il n’y aura pas photo.


Dehors, Tokyo attend une reprise de routine. Et peut encore attendre un peu.

(Pas de photo d’illustration adéquate pour ce texte).