Accéder au contenu principal

Post-Parc Hibiya et le savoir urbain de la fuite



En manque de photos. Cela viendra.


####Paraphrase


La question des modèles est cruciale dans la compréhension du bâtir-lieu (place-making) tel que pratiqué par les architectes et les concepteurs urbains (urban designers). Il existe une longue tradition de “contextualisme” en urbanisme et architecture. Dans cette perspective, il faut noter l’influence considérable des études menées par Camillo Sitte - théoricien de l’urbanisme, autrichien, 1843-1903 - sur l’élucidation des conditions (attribus) de la parfaite piazza (en terme d’esthétique, de beauté, là où il fait bon être) ces places considérés comme prototypes de la qualité supérieure de la vie urbaine.  Cette tradition contextuelle est constamment mise à jour même aujourd’hui à travers les missions professionnelles d’observation qui amènent architectes et concepteur urbains à aller observer sur place, et particulièrement en Italie classique. On a donc toute une profession qui se nourrit tout autant de Dubaï et ses clones que des centres-villes historiques classiques pour se forger un fond conceptuel - comme on dirait un bruit de fond qui impacterait, colorerait la créativité du musicien - avec des passages incontournables. 


Tel créateur d’une agence de design de taille moyenne à san Francisco est cité dans une interview où il rapporte que :


\- Nous avons passé la plupart du temps à Rome, j’aime vraiment Rome, et puis Lucca où nous avons aussi passé six semaines, et dans la campagne de Pienza où nous avons séjourné une semaine à la ferme.


\- Tout ceci m’a fortement inspiré, ça a constitué une sorte de fond (inspirationnel, référentiel, mental). C’est dans ce genre de lieux où je retournerais pour être inspiré intellectuellement.


Malgré l’absence chez ces personnes à forte mobilité internationale d’une compréhension des conditions socio-politiques de l’urbanisme contemporain des villes et places italiennes, il demeure en sous-sol une pensée de type orientaliste (romantisme de l’ailleurs européen classique)  qui orientent les choix des destinations de ces missions d’observation. L’Europe du sud s’avère être source d’inspiration cosmopolite; l’Europe du nord joue elle le rôle de plateforme d’application. Et si le sud européen fait figure avec des oeillères d’exemple de là où se trouve la beauté, le corollaire - la destination moche, celle qui craint, les “shitty places” - constitue tout autant des passages obligés pour s’inspirer dans le rayon laid. Se trouvent cités en vrac Dublin (!?) dans sa tranche modernité financiarisé façon offshore (pas le Dublin d’Ulysses donc), des villes de Turquie, d’Inde où de Chine, où “l’espace public à chier” comme concept en fond tout autant des lieux de passages obligés. 


En Chine, bon, c’est une peu délicat ce que je vais dire, mais avec l’autoritarisme, on vous prend un village, on déplace de force les habitants dans des méga-hlm qui puent l’ennui et détruisent le communitarisme, ce qui permet de faire tabula rasa et d’y ériger une ville nouvelle avec des espaces publics à chier. C’est plus simple qu’en Europe en tout cas. 


Une courbe remarquable expose l’envolée des ouvrages anglo-américains sur le sujet de l’espace public, intérêt qui démarre essentiellement dans les années 80, alors que l’on pourrait s’attendre une curiosité bien plus antérieur. 


(Mais comme mentionné dans la fiche Wikipédia de Sutte, son ouvrage phare, l’Art de bâtir des villes (1889), n’a été traduit en anglais que bien plus tardivement. )


———————-


Ce qui précède est donc essentiellement un régurgité de Making Cosmopolitan Space : Urban Design, Ideology and Power figurant dans l’ouvrage déjà cité Migration, Urbanity and Cosmopolitanism in a Globalized World.


Il faut associer ce texte à un précédant article dans le même ouvrage, texte intitulé Generic Place, the Construction of Home and the Lived Experience of Cosmopolitanization. On y apprend à travers des sondages d’individus jeunes figurants dans les catégories des mobiles chroniques, étudiants ou jeunes professionnels expats, nomades numériques pour des temps à durées variables hors de son pays d’origine, nécessairement dans des villes, que la familiarité à destination se trouve et est recherchée à Starbucks et dans les enseignes connues qui confèrent un sens de sécurité, clé du bien-être. Le déjà-vu c’est la sécurité. 


Et donc Régine Robin dans Mégapolis écrivant lors d’un séjour à Tokyo “je me réfugie dans un Starbucks familier” n’est pas à proprement parler une pionnière dans cette attitude dont elle perçoit l’ambiguïté, sentiment depuis largement caduc, mais en tant que sociologue elle est bien au fait du sujet dont une petite conscience public, hors les spécialistes donc, ne poindra comme d’habitude que bien plus tard dans le discours commun.


Quand n’ayant plus rien à vomir à la vue des résultats affligeants de requêtes sur Google, vous vous réfugiez sur Google Scholars, vous vous apercevez que le sujet du surtourisme par exemple affleure déjà dans des papiers de sociologie du tourisme dès la fin des années 70. Idem pour le réchauffement de la planète et la pollution atmosphérique des villes. 


\####Voilà, tout cela en exergue pour bifurquer vers le parc Hibiya 


Les rares dessins d’artistes immédiatement visibles en ligne exposent ce que sera le parc Hibiya une fois sa remodélisation - lisez, transformation drastique par destruction - achevée : une chape de béton surmontée de verdure anecdotique. La routine. S’agira-t-il d’un espace public à chier? Tout porte à croire que non. Ce sera un non-parc nommé parc. La vitrine de Tokyo qui jouxte le palais impérial est justement cela, et pas depuis la veille : une vitrine jabot bombé vers l’occidentalisation avec des traits distincts du visuel japonais ancestral surtout codifié dans les années 30, ce respect terrifiant envers le vide absolu sous un ciel panoramique de cette bulle végétale dite palais impérial, ses jardins extérieurs attenants conçus pour empêcher quiconque de s’y cacher, le Kokyo Gaien, et d’y installer les caméras de surveillance qui réduisent la visibilité de la force publique en uniforme. Exposer la puissance d’état prêt à bondir pour mâter par le vide le vaste espace public. Il y en a plein d’exemples identiques ailleurs. 


De ce point de vue, le flanc oriental de la partie hors les douves du palais impérial en est un exemple ... impérial. Il y a donc une formidable part de vieux dans ce neuf venir, à commencer, sur cette vue d’artiste du futur parc Hibiya froid numérique, l’absence d’alternative à l’avenue Hibiya inchangée qui persiste à figurer comme une artère dédiée à l’automobile, avenue dénuée de la modernité qu’est un tram, des lignes cyclables, si pas tout simplement la réduction de la taille de la chaussée à ce qui serait juste nécessaire pour y faire circuler un service de bus gratuit, facile d’usage et efficace comme n’est pas le bus à Tokyo. Une passerelle large végétalisée - un poncif - permettra de passer de l’hôtel Impérial au parc sans ressentir le moindre changement d’ambiance. 


Sur tout le parcours qui suit, l’atroce est d’abord auditif, la permanence des autos. Le marcheur urbain est une dimension juste tolérée. La ville est motorisée.


Il y a une sorte de génie de l’homogénéisation urbaine en jeu, tant dans sa spectrale banalité, froideur, artificialité mais si peu ressentie désormais, que dans son obstination à être comme une affiche promotionnelle de soi, qui se regarde, glâbre comme le béton. Mais un regard sur la carte montre que le parc Hibiya n’est qu’un jalon dans ce cancer d’homégéisation urbaine qui débute bien plus au nord même qu’Otemachi, en fait à mi-distance entre Kanda et Mitsukoshi. C’est à Otemachi que débute la financiarisation immobiliaire clairement estampillée oligarchie mais en étage dans cette gamme, cette dubaïsation de l’espace comme un chancre qui s’étire parsemé des concrétions corporates, du luxe plus discret et des shopping centers - Coredo 1, Coredo 2, Coredo 3, etc. - pour la classe moyenne et inférieure, et les hôtels associés juchés sur les étages de bureau. 


Avant même Hibiya se trouve ce jardin spectral hors les murs du palais impérial nommé Kokyo Gaien, territoire sidérant de pins sévères largement espacés pour la surveillance, sur un parterre de pelouse d’une rareté sans nom à Tokyo. Le spectral de la pelouse dans les parcs de Tokyo a quelque chose de remarquable. Voir celle dans un coin de Shinjuku Gyoen pour n’en citer qu’une autre rare. Selon la saison, on observe mais jamais en foule compacte, des gens oser un picniquer sur le gazon avec vue sur les murailles anciennes. Le spectral du redéveloppement touche déja depuis belle lurette Toranomon - Torano-immonde - au sud-ouest du parc Hibiya qui n’est qu’un jalon en retard d’une transformation en mode imperméabilisé de surfaces où la terre est bannie au maximum pour réduire les coûts d’entretien, comme c’est le cas par exemple dans le parc d’Ueno avec un Starbucks jouxtant la dalle, au Yasukuni aussi dont seuls les arbres phénoménaux aux bordures opposées à la glâbre avenue Yasukuni constituent le signe ultime de ce qui devait s’y trouver de séduisant vert autrefois. Le coup de grâce qui vient est la lyophilisation statuation de sel bétonné de Shimbashi dans peu d’années. Encore un effort. Mais pas encore.


Quelque part entre 1915 et 1927, Walter Tennyson Swingle visite le parc de Hibiya comme il s’agit alors apparemment d’une destination incontournable pour tout botaniste qui se respecte. On peut dès à présent s’offrir un goût de ce que sera le parc Hibiya version 3.0 en sillonnant les espaces verts modernes le long de l’axe de l’avenue Hibiya. On commencera par le récent Otemachi One Garden, suivi du petit square Otoria, du stérile espace de fontaines Wadakura qui fait déjà has been, du déjà cité Kokyo Gaien. On visitera absolument la transformation des \_kaikan\_, les palais des bourgeois occidentalisés renouvelés dans la même sauce, ésothérisé asiatique, verre acier béton, bois plastifié pour les pâtisseries en mode matcha survolté vert comme le musée Seikado Bunko, le Tokyo Kaikan, voire même le Théâtre Impérial qui offrent tous les totebags estampilés. Ici est depuis longtemps Broadway des années trente. L’hôtel impérial qui aura connu une brève phase orientaliste avec la version Wright sera aussi reconstruit, d’après illustration, en un machin manhattanien réminiscent des années 30, encore. Dans ce sens, cet hypermodernisme urbain demeure classique, vieux, mais surtout froid. On poussera jusqu’à Shimbashi-naka, prochain territoire encore plein de vices, de gras et de grumeaux à dubaïser pour sentir un fond de Tokyo aux relents gouailleurs et bruissant de vie qui demeurent.


On oublie facilement, touriste ou résident de passage dans ces territoires vitrines ce qui les caractérisent avant tout tellement c’est l’évidence même, le fait que personne n’y habite, tout comme un zoo, sauf l’exception des lofts massifs du dernier étage, ou une loge discrète de vigile attenant à la salle technique et de surveillance. Aussi, qu’il ne s’y trouve aucun lieu de consommation et commerces individuels.


Tel est l’attrait du non-résidentiel de parade, porte d’entrée de Tokyo vitrine comme on nomme la face Marunouchi de la gare de Tokyo - propre comme La Part Dieu ne peut l’être - avant poste du vide sidéral de l’oeil qui surveille le palais impérial au loin. L’inverse n’a pas lieu : le vide ne surveille pas le plein. On évitera absolument Toranomon, Torano-immonde, mais on ne ratera pas la colline Atago même si elle a perdu de son atmosphère de province au pieds quasimment de laquelle se trouve le seul luthier de la sublime guitare biwa de tout le Japon. On poursuivra sur Onarimon, le Zojo-ji pour finir dans ce foutraque du parc (un pluriel) Shiba. Et là normalement, on n’aura qu’une envie, celle de fuir par surconsommation de spectral. Mais on n’aura absorbé plein de ressentis sur une partie essentielle de Tokyo-vitrine. On aura ainsi gagné en lucidité. 


\####Le savoir urbain de la fuite


Au final, ces considérations ne sont pas une invitation à éviter ces lieux, au contraire. Il s’agit de souligner l’importance d’avoir dans sa besace des savoirs-villes une acuité à l’exfiltration de soi quand le trop plein de verre acier béton enseignes globales se fait sentir. S’avoir s’exfiltrer quand le danger d’aliénation ou la matraque approche, de par les rues adjacentes qui sentent le parfum du lacrymo à pleurer de saturation de cet urbain là, mais mieux encore procéder dare dare via la station de métro la plus proche vers un ailleurs de quartier humain un peu sale et vivant. Ikébukuro, Koenji, Minowa et les autres n’ont rien à craindre sur ma liste des favoris.


Tout en consultant Google Maps pour écrire ceci, j’ai rapidement et un peu fiévreusement localisé les axes d’évacuation, la ligne Mita qui n’est pas la mieux pour cela. Les modes de fuite élégants, chapeau, courbette et panache juste avant que de s’eclipser de scène,  sont à mon sens ceux qui ne demandent pas de changer de ligne sur le parcours. L’exfolyration élégante est linéaire.


On peut marcher vers l’est avec efforts pour chercher la merveilleuse ligne Hibiya qui tranche dans le lard industriel des espaces publics ultra urbains vers des destinations favorites sans changement aucun, destinations qui sont de l’ordre de la ville faubourg romantisée à la Jane Jacobs. On peut ainsi ne pas s’en laisser conter.


\####Le 5 octobre


La veille donc, le 5 octobre, et peut-être à tord à un jour près mais qu’importe, est cette date associée au suicide d’Olivier, qui remonte à une cinquantaine d’années. Olivier en solex déboulant dans le lycée, beau comme un héros à 18 ans. Sa maman le couve désormait j’en suis sûr à ses côtés, et c’est bien.