Poésie visuelle japonaise 1684 - 2023


C’est un livre monde, à choisir en version cartonnée plutôt que souple. Un livre cartonné promet un monde à l’intérieur. Il l’y est. Editeur : Taylor Mignon, titre : Visual Poetry Japan 1684 - 2023. Un monde à plus d’un titre. D’abord visuel à travers des siècles, 500 ans à la louche. Un monde discret, révélation pour moi en tout cas d’une dynamique anglophone au Japon autour de la poésie au sens large. Un monde comme en parallèle, un pas de côté. Ça se passe dans le monde anglophone au Japon, pas qu’au sens géographique.


Aussi un troisième monde parce qu’il me faut planter le décors de la rencontre de l’ouvrage. C’est J qui m’a tendu la perche, puis très rapidement s’est présenté le choix d’Amazon, mais par une lubie étrange, j’ai fait une recherche sur kosho.or.jp espérant bêtement y trouver une occasion, pour un livre qui vient de sortir, recherche qui m’a mené à la librairie Flying Books à Shibuya.


A Shibuya of All Places!



N’empêche que c’est là que le carte est entrée en jeu. J’ai visité la boutique et le quartier immédiat d’abord et longuement via la carte, celle de Google bien sûr, mais aussi celle moins pesante d’OpenStreetMap. Quelque chose est apparu au gré de cette observation de la carte, d’un périmètre en fait connu pour sa topographie mais il y a bien longtemps, suffisamment parcouru autrefois pour que la carte fasse immédiatement son effet, de souvenance un brin nostalgique, remise à jour par d’autres éléments contemporains, à commencer par une lecture urbaine, un regard-scan-urbain dont je n’étais justement pas capable autrefois. Flying Books figure sur une transversale d’un périmètre qui n’a pas changé, fondamentalement. Manquent aux alentours deux choses : une sortie de métro qui déboucherait immédiatement dans le jus et permettrait d’éviter l’hortible carrefour iconique de Shibuya et son cirque, et un café. Il n’y a que deux cafés shichas dans le coin, donc pas de cafés. 


Il y a toujours par contre Toritaké moins la fumée à flux maîtrisé - sans doute impossible à l’intérieur maintenant d’infecter ses vêtements comme c’était garanti, autrefois. Toritaké qui doit être le yakitori que le professeur N m’avait indiqué comme étant une destination nostalgique incontournable quand il faisait un saut à Tokyo. La carte le dit clairement avec cette concentration remarquable de gargotes : ici est un périmètre de nuit et de jour, une poche chaude, tout à fait identique, hormis les pentes où demeure la trace villageoise, à ce qu’est encore le coeur graveleux de Shimbashi, identique à Sannomiya à Kobé; et j’en passe. Et le plus de plus parmi les plus de choses remarquables est que l’on n’y entend pas le brouhaha débile du carrefour à deux pas. En fait, à ce niveau du secteur, la carrefour n’existe pas.



Flying Books est à l’étage et l’escalier offre une rampe en bois que la main reconnait et apprécie immédiatement, tout comme le regard le linoléum fatigué. A droite un peu en renfoncement du comptoir est exposé un livre sur le sujet de cette librairie même, avec un bandeau que je cite de mémoire pas fiable, qu’il s’agit d’un lieu rock and roll lounge de littérature, un lieu phare de ce que cherchent à faire de jeunes Japonais. Le livre doit un peu dater déjà. Comme celui que je cherche est justement exposé sur le comptoir, je demande à la jeune femme un exemplaire et un café. Elle se met à tourner et virer dans la boutique peu grande, ouvrant chacun des grands tiroirs de stockage aux pieds des rayonnages, cherchant en vain un volume frais pas feuilleté. Il ne reste que celui en exposition mais comme ce n’est pas BicCamera, les chances que l’objet ai été feuilleté par une succession de mains pas désinfectées est très faible. Je tenterai en vain de parler avec elle. Je n’apprendrai seulement que la librairie existe depuis 21 ans et qu’à l’origine elle débutait au rez-de-chaussée. A sa place j’aurais dit :


- Par où avez-vous entendu parler de ce livre?

- Si cela vous intéresse, je peux vous recommander celui-ci aussi.


Un échange sympa-commercial. Rien, ni même de fond musical rock and roll. Mais heureusement, la rampe est en bois.



Et donc, ce quadrilatère mais aussi deux autres de l’autre côté de la gare de la ligne Keio (avec Inokashira en petits caractères), et le logo Keiyo tellement énorme que très brièvement, je me surprends à me demander depuis quand les lignes Keio passent ici. Là aussi, on vous impose une autre géographie-mode d’emploi de la ville, une autre langue qui grince avec son expérience à soi. 

Sous le viaduc sont installées toutes les enseignes génériques de l’urbain péri-urbain de tout le Japon, mais juste alentour perdure un autre monde, une autre dimension de Shibuya que le buzz totalitaire. Ne manquent vraiment qu’une sortie de métro directe et un vrai café pour faire de ce périmètre une destination sensible. En l’absence de ces deux éléments, je ne reviendrai pas. 



De la vue du train, c’est festival de verdure printanière, la rutilence provinciale jusqu’au terminus Kichijoji, avec à l’avant-dernière station, l’incandescente beauté canopéique de la pointe orientale du parc Inokashira. 

Une note mineure sur le livre : l’absence du texte original en japonais dans le chapitre haïku, ce qui s’explique au moins avec celui de Paul Eluard retraduit de l’anglais de la sorte :


Le vent

Indécis

Roule une cigarette d’air


La page de présentation du livre Visual Poetry of Japan 1684 - 2023 n’est vraiment pas avare de détails. Allez-y voir. C’est un autre monde. 


En page intérieure de garde figure discrètement la mention Published by Kerplunk! unexpected books related to Japan. Sur ce Kerplunk!, rien d’autre ne filtre.


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