Quelque chose a eu lieu
31 secondes de vent dans les bambous.
Retour sur le chemin vers la rivière. Sur le premier tronçon une fois longés les champs, la nature folle, échevelée, protude sur le passage. Je croise successivement trois femmes, l’une très jeune. Dans le périurbain, on ne se salue pas en se croisant. Je comprends leur malaise, leur crainte. Hormis lors de la promenade des chiens il est rare de croiser quelqu’un ici. Ce savoir est basé sur une accumulation de promenades dans le coin qui ne sont pas récentes. Le paysage agréable, varié, devient alors soudain figé par la rencontre que l’on ne peut pas prévoir de loin, et il n’y a aucun chemin annexe pour s’éviter. Je fais symboliquement un pas de côté pour tenter de signifier qu’il n’y a rien à craindre. Ces rencontres rares ternissent la promenade.
Plus bas au niveau de la rivière, la municipalité a totalement changé d’acte. Des années se sont écoulées depuis la dernière crue majeure qui avait défoncé la promenade en terre battue, et même emporté dans sa totalité jusqu’aux fondations une belle maison avec un beau jardin ébouriffé, une belle maison qui avait obtenu l’aval des autorités pour un permis de construire dans une zone inondable en cas de crues pas improbables, en cas de typhon majeur comme ce fut le cas. Cela devait s’être produit en 2017, ou peut-être un peu avant. Il y a du laisser-aller dans le rayon réglementaire en périurbain. Il y a peu de compétences dans le staff administratif local. C’est ce qu’on dit, la rumeur.
La municipalité a du se voir octroyer après le covid un budget pour réparer le chemin, maintenant goudronné en grande partie, avec au début une largeur remarquable, suffisante pour y faire passer un camion (mais venant d’où?), avec des airs de piste d’atterrissage, flanqué de part et d’autre de ce broyat de façon roche, ballast à grosses bouchées censé sans doute créer du maintien, qui se verra emporté, effacé lors de la prochaine grande crue. Bien entendu, dans ce territoire à forte concentration de personnes âgées, il n’y a pas plus de bancs installés que dans les versions antérieurs de l’aménagement des lieux. Le confort dans l’espace public est dans ce pays dit Japon une indécence.
J’ai dans le dos l’énorme plateforme de distribution transfert transbahutage de denrées et produits divers qui a éliminé toute possibilité de faire du territoire un lieu de villégiature, de toute façon improbable comme la villégiature n’est pas de la culture locale, malgré les atouts d’abord topographiques des environs surtout dans les recoins encore exempts de périurbanité. La plateforme rapporte à la municipalité des rentrées fiscales dont aucune partie, aucun centième, aucun millième de part n’est octroyé à l’aménagement du confort environnemental. Ceci est hors de portée de leurs pensées.
Après la portion façon piste d’aviation, la largeur se réduit, là où sur la rive d’en face des campeurs diurnes passent une journée dehors, classe populaire jeune, jeunes parents, jeunes enfants - tentes minimalistes de jour suffisantes pour obtenir un peu d’ombre et de protection, petits BBQ, aucun signe d’ostentation matérielle bobos outdoors - ça c’est pour Okutama - des enfants qui batifollent à peine jusqu’aux mollets dans l’eau qui doit être encore bien trop froide pour s’aventurer plus profond. D’une année sur l’autre, ce paysage de vacances d’une journée ne change pas. C’est le quotidien d’un jour férié à la belle saison.
Plus loin, la berge a maintenant été aménagée avec une pente à gros galets pris dans du béton. C’est un peu spectrale et rassurant à la fois. Je ne pourrais indiquer où se trouvait la maison emportée. Quelque chose a eu lieu il y a des années, mais où précisemment? Sur le remblais en hauteur, le chemin de promenade lui n’a pas changé : terre battue, étroit, rendant la rencontre d’inconnus en sens inverse un brin tendue.
####Tokyo : Journal de Résidence réfléchit à une commémoration de Mai 68
Réfléchir à : un monopole gouvernemental à s’octroyer.
Dont acte, par la recherche de ce qui se trame dans l’édition ce mai-ci, pas grand chose, par une lecture d’un ouvrage de 2018, Changer le monde, changer sa vie. Enquête sur les militantes et les militants des années 1968 en France, éditions Actes Sud.
####Ecrire à Tokyo : le recueil de textes collectifs hors des rotatives fin mai sans doute
On se re-expose la couverture. Là. Des détails sous peu, y compris comment se procurer l’ouvrage.
####Dans la ruelle qui part du marchand de fruits et légumes …
Les commerçants apprécient de vous voir venir quand le temps est particulièrement maussade, venteux, pluvieux et bientôt froid. La verdure collée aux murs des maisons protude comme il se doit en cette saison. C’est soudain massif, c’est presque coulée verte.
Au comptoir la dame a 80 ans, probablement. Au Japon, fréquenter des personnes âgées est signe de contemporanité. Prenez-en de la graine. Je n’écris pas cela pour m’extasier, jamais. Il s’agit de factuel sans effets d’écriture.
Elle demande au patron d’où je viens, par timidité de me le demander directement. On parle de maisons, de secousses sismiques, du petit tremblement de terre sans conséquence qui a eu lieu la semaine passée. Le patron rappelle que le coin immédiat a été étrangement épargné par les bombardements incendiaires de 1945. La dame habite dans une maison antérieure, datant probablement de juste après le grand tremblement de terre de 1923. Elle n’a jamais habité ailleurs. C’est une maison étroite de type nagaya à un étage, plus résistante qu’une maison individuelle sans étage. Les nagayas se serrent les coudes en cas de secousse. C’est ce que l’on dit.