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Un jardin habité - février 2022 - extrait

####La veille de cela A est décédé. Il y a des chances que la veille encore il était aux jardins, les jardins maraîchers communautaires proches de sa maison. On le saura bientôt, on saura les circonstances. Il s’avère qu’ici, un décès à domicile s’accompagne systématiquement de la menace d’une autopsie. Il est donc suspect de mourir chez soi mais pas à l’hôpital. Enfin, c’est ce que je suppose. Mais sachez qu’il roulait les r, qu’à l’ouest de Tokyo est un accent chez certaines personnes âgées qui n’a rien à envier à l’Ardèche. Ceci dit, c’est à dire ceci écrit, il n’y a aucune raison particulière de citer l’Ardèche qui m’est inconnue y compris ses accents. C’est le seul nom avec un r à rouler qui me soit venu en tête. Le Berry aussi. J’ai retrouvé une vidéo de 57 secondes, réunion familiale, déjà plusieurs heures de boissons sous le capot, les buveurs compères hilares et pépères, A debout à faire un discours de commande incompréhensible - cela devait être un anniversaire, A en tenu qu

Tokyo : Le retour des figures narratives - extrait

C’est le retour à la normal même si à petites foulées, et donc le retour des figures imposées, des narrations dictatoriales douces, qui dictent. Qui dictent ce que Tokyo est. Et ce n’est même pas à prendre ou à laisser. C’est à prendre uniquement, ou à s’éloigner tant qu’il est encore possible. Tokyo à la croisée de la modernité et de la tradition. Ce vieux violon, cette pensée de vieux hommes et d’influenceuses en complicité, cette fixitude. Ce poster sur le quai de la station Ueno - très belle gare - sur la ligne Ginza en direction d’Asakusa, était-il ici en permanence ou est-ce un revenant? A Asakusa comme presque partout ailleurs se poursuit le cancer du renouvellement avec des devantures beiges et fond béton, des espaces commerciaux vides mais justes achevés, ou achevés il y a des mois de cela, mais attendant la reprise qui vient. Boutique de churrasco, entre tradition et modernité. Seule demeure encore la fixitude des tracés, mais comme ailleurs, un équilibre est en train de se p

Dans les interstices - novembre 2021

####Dans les interstices Il faut une population bien plus large, des vécus bien plus multiples et singuliers pour qu’émerge une autre littérature japoniste, une littérature territorialisée (voir la note plus bas)  parce que l’auteur n’est pas de passage mais résident comme l’était Bouvier par exemple, ce qui, n’oublions pas, n’empêche pas de produire de la littérature qui n’a rien à voir avec son milieu de vie. Pourquoi faudrait-il nécessairement écrire sur Marseille parce que l’on réside près du port? L’écriture se révèle là évidemment plus voyageuse que la photo par exemple qui est liée au lieu présent. (Note) Littérature territorialisée, oui et non. La dimension hors-soliste - une littérature dé-territorialisée _ET_ consciente de l’être - avec son bilan carbone désastreux, les frequent flyers, comme catégorie et approche distincte de l’écrit n’a sans doute pas encore décollé des poncifs. Décoller du registre sempiternel de _vue de ma chambre d’hôtel à Shinjuku, vu du train sécurisé

Péridurale de la conscience - novembre 2021

#### L’urbain totalitaire Une course m’amène chose rare à Shibuya par la sortie A6c qui débouche sur le côté gauche de l’avenue Koen Dori en montant, très proche donc du carrefour magnétique. La première surprise est la densité humaine, et sa vélocité, à ce niveau du territoire il me semble un brin plus dense, un brin plus rapide qu’à Shinjuku par exemple, si l’on prend Shinjuku comme jauge. Ces deux facteurs surprennent parce que je les associe naturellement aux week-ends nécessairement plus bondés, alors que nous sommes un mardi. Shibuya pulse donc au rythme du week-end même en semaine.  La seconde surprise, enfin pas vraiment comme c’est de constatation sans affect dont il s’agit, est la signature sonore et visuelle caractéristique de Shibuya, qui ne se retrouve pas dans les noeuds de communications denses de Shinjuku, Ikebukuro ou Ueno par exemple où le sonore marchand est faible en rapport aux seuls bruits et lumières de la ruche urbaine. Cette signature à Shibuya est associée aux

Dérangements : prélude - extrait - janvier 2021

Le dernier Quintane, La cavalière, remugle (présent de l’indicatif du verbe remugler) à la surface quelque chose des années 70, la prof d’Allemand blonde genre Miou Miou qui te trotte dans la tête en permanence, le passage du vouvoiement au tutoiement, la bise aussi, un acte révolutionnaire. Qu’on était allé avec M et sur invitation dans son appartement de la rue Monsieur Le Prince. Que son homme qui passait par là avait un air un peu supris mais conciliant, bon ça passera. Qu’il n’y eut pas vraiment de suite. Que de part et d’autre, cette tentative d’égalité au-delà des générations - et des strates d’autorité - était un peu maladroite. Que c’était notre relent-expérience de mai 68 qu’on n’avait pas vécu, sinon que par clameurs lointaines et diffuses sur les hauteurs de Belleville dans un Paris sinon silencieux et tendu. Que ça a fait rêvé tout de même. Que le Jardin du Luxembourg proche n’était pas cet aimant aimé qu’il devint bien plus tard. Que M était devenu ultérieurement enseigna

Grands espaces et enfermement - extrait - juin 2022

(…) L’ouvrage A Tokyo Romance de Ian Buruma paru l’an passé offre au lecteur un goût de ce qu’était séjourner au Japon, et d’abord Tokyo, dans les années 70. Il est aussi en partie un nouveau portrait de Donald Richie moins la pudeur et la bienséance éditoriale. L’auteur qui part jeune au Japon est mis en garde de ne pas fréquenter Richie et sa clique. Ce qu’il ne manque pas de faire immédaitement. Une photo de Richie bien plus jeune que le portrait figé du vieil homme aux cheveux gris figure dans le livre. On y voit un Richie libertin, pervers, maître du moment, un portrait de nuit suant le sexe, la sueur, la promiscuité qui sont une grande thématique des souvenirs de l’auteur. Mais tout ceci est écrit en mode post-ménopause donc dénué de libido et de bravado. Et aussi dénué de ton nostalgique, ce qui n’est pas plus mal. Buruma passe de relations personnelles à des généralités et définitions qui font de l’ouvrage un canevas un peu décousu. Son analyse de la fascination réciproque Ja

Allumés des mégots - 31 mai 2020

Gertrude l’oeil hommasse, la main poupine tenant le phone smart marmonne “an app is an app is an app”. Sur le même divan, Alice saisit entre son pouce et l’index quelques poils de sa moustache, regardant aussi son écran avec une moue et les sourcils froncés qu’elle a épais. “25 grammes de beurre! This must be wrong!”. Ernest est un des rares sans mobile qui regarde avec dédain comme il se doit les toiles de Matisse et Cézanne au mur. Qui oserait boxer dans de tels paysage? Picasso vient d’arriver. Pablo donc. Il cherche la femme. Seules dans sa perspective se trouvent Gertrude et Alice. Elles sont disqualifiées. Par dépit et habitude, il saisit son smartphone de la pochette de sa chemisette blanche de toile de coton montée en Espagne et va voir quelques sites pornographiques africains pour inspiration. Francis Scott est aux manettes au petit bar goûtant les whiskies qu’il connait pourtant par choeur. Il est plus calme que d’habitude, Zelda étant en cure. James est un autre allergique

Gros son - extrait - mai 2022

Ça commence. Koenji Central Parc. Rien qu’un square. Sur le chemin, des flamboyants se dirigent dans la même direction, de sacrées crinières, de sacrées dégaines, des oiseaux de nuits exceptionnellement visibles de jour. Je ne connais de Koenji que le jour mais il est clair que ce jour là est exceptionnel. Les hiboux sont de sortie dès 14 heures. Ils sont de sortie pour la manif, le carnaval, la marche contre la gentrification du quartier, _gentrification_ en anglais dans le texte. En japonais, ça n’est que du redéveloppement 再開発, très faible expression.  Des flamboyants mais peu de flamboyantes. Tenues de boutiques vintage de seconde main. Un côté seventees bon enfant. Pas de maquillage sinon que carnavalesque. Peu de flamboyantes donc, mais des amazones, rares, félines, racées, la démarche puissante, le centre de gravité bas, de longues jambes, ventres plats, regards clairs.  Le service d’ordre est imposant. Tant et tant de flics en trois catégories : les en uniformes standards, les

Koenji sur Manhattan - extrait - mai 2022

“But the curious thing about New York is that each large geographical unit is composed of countless small neighborhoods. Each neighborhood is virtually self-sufficient. Usually it is no more than two or three blocks long and a couple of blocks wide. Each area is a city within a city within a city. Thus, no matter where you live in New York, you will find within a block or two a grocery store, a barbershop, a newsstand and shoeshine shack, an ice-coal-and-wood cellar (where you write your order on a pad outside as you walk by), a dry cleaner, a laundry, a delicatessen (beer and sandwiches delivered at any hour to your door), a flower shop, an undertaker’s parlor, a movie house, a radio-repair shop, a stationer, a haberdasher, a tailor, a drugstore, a garage, a tearoom, a saloon, a hardware store, a liquor store, a shoe-repair shop. Every block or two, in most residential sections of New York, is a little main street. Here is New York, E.B. White, 1949 Depuis quelques jours, je me balade

Les anchois aussi - extrait - avril 2022

La LMVPJ : langue manipulatrice de vente du produit Japon. Conclusion d’un article du Journal du Japon, ou hymne à l’incompris. La dernière phrase est fabuleuse, émétique.  Ce qui ressort finalement de la lecture du Dépays, c’est que le rêve est bien plus fécond que la vaine et encyclopédique volonté de comprendre dont il prend le relais : sa passion du chat et du cinéma de Shôhei Imamura ont mené Chris Marker au cœur d’un pays dont il était incapable de parler la langue, au cœur de son Japon du moins, et c’est déjà bien assez. Rêver le Japon est un moyen comme un autre de le connaître, meilleur qu’un autre de le vivre, et il serait dommage de s’en priver. L’auteur a largement pompé sur le texte le Dépays de Marker lisible ici :  [https://chrismarker.org/chris-marker/le-depays/] ... en laissant de côté ce que Marker suggère de pas si affabulé quant à ce dédoublement de soi et l’invention pure d’un Japon de l’imaginaire. Il faut aller bien avant dans le texte où Marker expose la banalit