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Gros son - extrait - mai 2022




Ça commence. Koenji Central Parc. Rien qu’un square. Sur le chemin, des flamboyants se dirigent dans la même direction, de sacrées crinières, de sacrées dégaines, des oiseaux de nuits exceptionnellement visibles de jour. Je ne connais de Koenji que le jour mais il est clair que ce jour là est exceptionnel. Les hiboux sont de sortie dès 14 heures. Ils sont de sortie pour la manif, le carnaval, la marche contre la gentrification du quartier, _gentrification_ en anglais dans le texte. En japonais, ça n’est que du redéveloppement 再開発, très faible expression. 

Des flamboyants mais peu de flamboyantes. Tenues de boutiques vintage de seconde main. Un côté seventees bon enfant. Pas de maquillage sinon que carnavalesque. Peu de flamboyantes donc, mais des amazones, rares, félines, racées, la démarche puissante, le centre de gravité bas, de longues jambes, ventres plats, regards clairs. 

Le service d’ordre est imposant. Tant et tant de flics en trois catégories : les en uniformes standards, les en gilets gris rouges un peu comme les vendeurs à Bic Camera, les en civil. Ils entourent les trois faces du quadrilatère du parc alors que ça va démarrer. Le quatrième est-il laissé ouvert pour offrir une sortie, ou créer comme une nasse cynique? 

La tension monte, la tension monte. Non, pas du tout. Des discours, des discoureurs de multiples générations. C’est bon enfant comme on dirait, mais que dire d’autre comme ça l’est, et ce déploiement de forces de l’ordre, avec un guignol sur la tourelle d’un véhicule quatre quatre atteint le comique mâtiné d’un malaise. C’est drôle, mais peu. 

Ça chauffe, ça chauffe les groupes électrogènes des camions porteurs de musique, un trio de rock puissant, des DJ à la platine puissante. Je ne connais rien de ce monde et me demande encore ce qu’est un DJ. Mais qu’importe. Ça déménage. Gros son. C’est bien.

Et puis ça démarre, entourés par les forces de l’ordre qui protègent, me protège, nous protègent du débordement possible sur la chaussée opposée, de toutes sortes de débordements qui n’ont pas lieu. C’est bon enfant, redite. On marche à une trentaine de mètres de la camionnette de rock qui déménage, mais à cette distance là, ça va encore. Je tente plus près mais ça agresse. Les policiers les plus proches du véhicule en prennent plein les oreilles sans broncher. Je n’en vois pas un claquer des doigts, être pris par le rythme, le pulsatif rythme. 

Ils sont armés donc pas bons enfants. En fait, sachant que chaque policier est armé, la concentration de révolvers sur le territoire mouvant du cortège est considérable. Un qui en mène pas large, succédané de vendeur de Bic Camera, a une sorte de bâton matraque qui dépasse de son sac à dos. Les gilets rouges marchent sur le trottoir et ne participent pas à l’entourement du cortège. Ils veillent au grain, veillent-ils au grain? Quel grain? C’est grotesque, mais le Japon est grotesque dans ses formules, ses enfarinements, ses cols empesés, l’application des formules. 

Mais grotesque est un terme et un jugement étranger. 

Donc, ça ne compte pas.

On voit une présence importante de la presse étrangère tout le long du parcours. Ils interviewent à tour de bras. ils courrent de-ci de-là, appareils photos en main. Tout le gratin de la presse francophone est sur le terrain ... Non, bien sûr, c’est de l’humour.

Je reprends. Grotesque donc, comme quand passant le long d’une rue perpendiculaire, ils se mettent à trois pour tendre momentanément des bras un ruban jaune qui barre symboliquement la perpendiculaire.

La perpendiculaire où ne circule aucune auto.

D’ailleurs, cette transhumance lente et qui me fatigue bien vite de par sa lenteur, est l’occasion de constater que les perpendiculaires se suivent et se ressemblent dans l’absence d’autos en attente qui voudraient traverser le cortège, qui piaffent, qui si ça n’était qu’à elles de décider rentreraient bien dans le lard du cortège, qui ...

On arrête, c’est bon enfant. Et puis, la maréchaussée veille au grain qui barre d’un ruban jaune symbolique les perpendiculaires le long de laquelle on passe à la vitesse de bestiaux lents. Ils ont séparé le cortège en trois. Des fois que, des fois que ...

Des
Fois
Que

Le cortège aurait idée de se ceindre en un tout puissant tout avec l’envie d’en découdre, d’en découdre ...

(…)