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Grands espaces et enfermement - extrait - juin 2022




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L’ouvrage A Tokyo Romance de Ian Buruma paru l’an passé offre au lecteur un goût de ce qu’était séjourner au Japon, et d’abord Tokyo, dans les années 70. Il est aussi en partie un nouveau portrait de Donald Richie moins la pudeur et la bienséance éditoriale. L’auteur qui part jeune au Japon est mis en garde de ne pas fréquenter Richie et sa clique. Ce qu’il ne manque pas de faire immédaitement. Une photo de Richie bien plus jeune que le portrait figé du vieil homme aux cheveux gris figure dans le livre. On y voit un Richie libertin, pervers, maître du moment, un portrait de nuit suant le sexe, la sueur, la promiscuité qui sont une grande thématique des souvenirs de l’auteur. Mais tout ceci est écrit en mode post-ménopause donc dénué de libido et de bravado. Et aussi dénué de ton nostalgique, ce qui n’est pas plus mal. Buruma passe de relations personnelles à des généralités et définitions qui font de l’ouvrage un canevas un peu décousu. Son analyse de la fascination réciproque Japon-Le-Reste est froide et nette. C’est aussi tout ce qu’un Philippe Pons n’écrirait pas, ou ne publiera pas. Ils sont pourtant de la même génération. Le fossé de la relation au Japon entre les mondes anglophones et francophones est fascinant. Buruma donne aussi le ton sur les cahiers noirs de Richie expurgés de son journal qui attendent que le temps rende la relation du passé acceptable. Dans un passage trop bref, l’auteur se remémore sa passion ancienne pour la photographie et comment il suivait un temps des groupes de forain-théâtraux pourvoyeurs de spectacles érotiques, grotesques, en marge de l’expression culturelle respectable et honorable, c’est à dire ce qui reste dans la vase à peine visible au fond de la surface contemporaine de l’image propre d’un Japon qui tend toujours plus vers l’anesthésie mentale, le règne avancé de la bêtise et de la perfection logistique sans éclats hors anecdotes, et du prévisible. Les années 70, ce n’est pourtant pas le bout du monde. Espérons que d’autres écrits de vécus ici apparaîtront.

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La maison moche Panasonic en construction dans la galerie marchande en destitution Joyful à Minowabashi est un chancre stérile de plus dans ce qui était un faubourg vivant. Les restes y sont touchants comme les feuilles mortes. Je viens d’apprendre que son propriétaire est un ancien président de l’association des commerçants du quartier. Une maison individuelle dans une galerie marchande, c’est ue métastase de plus dans l’annihilation de ce qui fait quartier, à savoir les commerces individuels, ou le bon mix des commerces individuels et des chaînes en équilibre de présence. Sont à écarter tous soupçons de vengeance, de cynisme, d’intentionnalité de planter un clou supplémentaire sur la tombe en progression qu’est Minowabashi, ce glissement progressif vers le blême. On n’écartera pas par contre la non-pensée et la pure bêtise.