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La rupture d’un lien

Photo empruntée. Inutile d’en rajouter par soi-même. 


Lu dans les commentaires récents au sujet de Dream Coffee sur Google Maps.


Poésie


Dream Coffeeは素敵だ。

お別れするのは惜しい。

夢のような喫茶店が

本当に夢のなかへ消えてしまう。

珈琲が美味しい。

レアチーズケーキが美味しい。

卵トーストが美味しい。

店員さん全ての優しさが美味しい。

ありがとうございました。


Nostalgie


大好きで、何回通ったことかという場所。離れている間に閉店してしまうと知りました。

自分にとって唯一無二の空間だった。街の思い出や街への思い入れはこうした小さなお店によって形づくられているのだと知る。池袋に戻る理由のひとつがなくなってしまった。


####Ouf ouf!


Bien sûr que l’écriture universitaire c’est ouf ouf. C’est à usage interne. Ça n’a aucune autre intention. Mais ça ouvre des pistes pour les non-universitaires. Ou dit autrement, ça expose des pistes ouvertes depuis bien longtemps alors que soi on rame à Dream Coffee à mettre la géopoétique des lieux en mots littéraires.


Tu comprends?


You see what I mean?


De clavier?


Ce dernier commentaire est particulièrement en phase avec la lecture en cours de La Ville et le Sablier - Sentir les temps urbains, auteure Nathalie Audas, 2015. Livre trouvé au détour d’un hasard très ciblé qui s’avère faire mouche, comme escompté. Adaptation d’une thèse en moins théseux.


Le chapitre 1 s’intitule Habiter les lieux : la constitution d’un lien. Suivent des sous-chapitres, d’autres chapitres et bribes de titres et d’intertitres tels que L’habiter en tant qu’”être-là dans l’espace”, la construction de territorialités affectives, le rapport affectif au lieu, une manière d’habiter affectivement les lieux, lieux et pratiques des individus. L’ouvrage prend pour objet de recherche le rapport affectif aux espaces publics urbains avec Nantes comme exemple. Il n’y est pas question de l’affection pour les lieux commerciaux, de routines, de rituels, mais c’est tout comme puisque ces lieux s’inscrivent dans des espaces publics. Les pires s’inscrivent d’ailleurs dans des grands espaces privés qu’ils constituent, les centres commerciaux, les horreurs micro-dubaïennes à Tokyo comme le nouveau chancre du côté du sordide territoire aux abords de l’ambassade de Russie, l’American Club et un vaisseau fantôme noir quartier général d’une secte. Ainsi, il est possible de le situer sans le nommer. 


“L’homégénéisation par souci d’équité et d’égalité ne semble plus être la norme, c’est une diversité en adéquation avec des situations qui prime désormais afin d’adapter chaque projet à une situation locale donnée.”, écrit l’auteure en page 10. Ça me laisse pantois en regards de la grande _beijisation_ urbaine, la similitude des axes commerciaux piétonniers où s’égrainent les incontournables en Europe, les micro-dubaïs qui se substituent à d’anciennes rues commerçantes ici (et ailleurs en Asie d’après les échos et lectures). On touche le fond, et le summum de la financiarisation, ou tout simplement du mimétisme. 


Mais bon, ce chapitre permet à un non-spécialiste de découvrir les acteurs intellectuels historiques essentiels. On voit même passer Pérec comme seul non-académique. Oui, bon y a mention de Julien Gracq parce que c’est Nante hein, pour tomber sur Lefebvre, l’illisible pour moi M. de Certeau même si cela débouche sur la mention importante de la “ville aimable”. 


Tu as Berque aussi, écoumène, terme absolument inusité. Mais encore une fois, c’est à usage interne, à usage de colloques, de cerises sur la Cerisay. Et d’ailleurs, écoumène suffit. Pas besoin de faire plus compliqué.Cela sidère suffisamment. En mode littéraire, c’est comme intituler ton texte Nagori, ou Komorébi. Même effet de noyade en mode connivence d’esprits. On se noie, mais l’important est jusqu’au bout de la suffocation, de faire croire que l’on est de la partie, comme ces histoires de gentlemen britanniques qui voulant éviter jusqu’au bout l’indécence de tousser s’étouffent le gosier pris dans un aliment mal mâché.


L’auteure a remanié ici sa thèse donc, qui est une redite. Ce n’est pas un pamphlet, et la lecture tombe en plein dans une situation de rupture d’un lien affectif, la rupture qui n’est pas l’objet de l’ouvrage, ni même de ce que fait le néolibéralisme aux modes d’appréciation des espaces, comment l’hypercommercialisation est forme de violence visuelle et détournement de la capacité naturelle à la géopoétique, que ce soit rue de la République à Lyon ou Ginza. 


Ouvrage à venir, pas universitaire : néolibéralisme contre géopoétique : comment étouffer le sentiment des liens affectif avec les lieux.


Parce qu’effectivement, habiter les lieux est affaires d’usages, et la consommation en soi n’est pas le problème, mais le lien affectif ne se constitue pas avec des Starbucks. Abrutissement et impensée consuméristes. On n’habite pas un centre commercial. On n’habite pas Ikea où c’est la dépendance qui est de mise. Le critère de fréquentation n’est pas une jauge affective. A Cergy comme au Aeon de Musashi Murayama, de Kodaira, de Hino, des personnes âgées en mode catatonique vidés de toute communication se chauffent en hiver et se rafraîchissent en été, immobiles. Ce n’est pas de l’ordre de la géopoétique.


何回通ったことかという場所。 Absolument. Google Maps sait que je dépasse les 150 visites mais comme Dream Coffee existe depuis 51 ans, âge de l’immeuble, cela fait un manque d’opportunités de quelques milliers de fois. 


Habiter : une relation poétique. Même Annie Arnaux n’y arrive pas à Cergy. Peut-on s’ réchauffer en hiver en mode catatonique? 


Heidegger a conférencé sur “L’homme habite en poète.” Pas chez H&M. 


自分にとって唯一無二の空間だった。 Absolument, et l’énoncer est remarquable.


街の思い出や街への思い入れはこうした小さなお店によって形づくられているのだと知る。


Oui, la rupture mène à cette prise de conscience sidérale, que c’est le petit commerce qui fait la différence, celui ancré qui permet aux routines affectives de s’ancrer.


池袋に戻る理由のひとつがなくなってしまった。


Là aussi, je ne peux qu’approuver. Un seul lieu vous manque qui constitue une raison suffisante d’aller dans un quartier donné, dont le halo mental dilue le moins bon et le moche alentours, et tout est dépeuplé. D’autres raisons d’aller à Ikebukuro peuplent mon portfolio de destinations, mais aucune essentielle, aucune affectivement importante. 


Bachelard, et cette “source profonde d’émotions qu’est l’espace en nous montrant que chaque personne dans ses interactions spatiales mêmes les plus banales, et surtout celles-ci en définitive, entre en résonance poétique et symbolique avec son environnement.”


M’est revenu tout à l’heure la lecture de New Moon, café de nuit joyeux de David Dufresne, autre exemple d’évocation historique non-universitaire d’un lieu, “Tentative d'épuisement du 66, rue Pigalle (et de sa succursale au 9 de la place du même nom)”, lieu palimpseste où les années 80 de l’auteur ne me parlent pas, mais le cabaret Bricktop’s des années 30 si, grâce aux lectures américaines. 


Pourquoi donc les écrits anglophones universitaires un peu réadaptés à un lectorat pas universitaire poussé m’ont très souvent semblé plus accessibles?


Souvenir aussi en conclusion du livre quand l’auteur retourne sur les lieux de sa pusillanimité à citer le nom de l’actuel 9 place Pigalle, cette peur de la gestapo sans violence physique du néolibéralisme que le seul nom cité pourrait déchainer dans ses actes néfastes. 9 place Pigalle, Bio C Bon. Autant pour la poétique des lieux. 


Pour remplacer Dream Coffee, un comptoir à nouilles? Un 7 Eleven? Un Dream Coffee 3.0 avec un petit coeur et la tasse à 700 yens et des sièges en bois ultraplat?


Mais en attendant aujourd’hui mardi, Dream Coffee est comme si à son habitude même si les grains sont essentiellement en rupture de stock. Le patron a quitté son galurin. Des plus habitués que moi sont en conversation sur la disponibilité très prochaine malgré tout d’un nouveau stock de Mandelin. La poétique du lieu est dans ses sons, ses passages. Sur la table centrale se trouvent deux pots de fleurs, sans couronne. Si pas au diapason de ce qui se trame, un nouveau venu n’aurait aucune idée que le lieu n’est bientôt plus, qui sera pareil à ses habitudes jusqu’au bout. Conscience professionnelle, des prestataires de service, comme des usagers. Emotions sans effusions. 


Le lendemain, c’est retour du couvre-chef, un autre, et les toasts cessent d’être vendus dès midi tellement que le staff ne peut plus faire face. Y en a des qui se prennent en selfie avec le toast aux oeufs mayonnaise.


Mais pour en retourner à l’ouvrage, il est question de Bachelard donc et de Pierre Sanso, de géopoétique, de Kenneth White, du géographe Eric Dardel, de “géographicité”, de “cette capacité de l’homme de se projeter dans le monde tout en l’intériorisant en son être, ce qui ne signifie nullement autre chose que ce transvasement incessant entre l’être et l’étendue terrestre.” Et à un niveau bien plus réduit, ce va-et-vient entre soi et un quartier doté de points d’ancrage. 


Il est question, une totale découverte, de Yi-Fu Tuan et “Topophilia. A Study of Environmental Perception, Attitudes and Values”, 1974.


Topophilia, la philia pour le topos!


Au sujet de ce pionnier Tuan, Nathalie Audas écrit : “La familiarité qui s’instaure avec un espace n’est-elle pas une traduction d’un souhait de maîtrise de l’espace?”


A cette question, une réponse affirmative en un oui franc et massif. 


Ce livre intellectualise là où mes écrits et ressentis ont et continuent à tâtonner, mais me donne une petite somme de vocabulaire précis à défaut de compétence. Car c’est dans la littérature que le sujet sans fond se doit d’être élaboré sans fin.


Quand Régine Robin à Tokyo se réfugiait dans un Starbucks “familier”, elle avait tout vrai, et tout faux à la fois, étant étrangement déjà incapable d’associer ce refuge avec une extension ne serait-ce que de quelques rues alentours absentes de son regard. C’est ce que font les destinations-points-dans l’espace marchand saturé de mimétisme. Ils créent et entretiennent de par leur aplomb visuel et la propagande autour une insensibilisation de la poétique possible des agencements. La capacité géopoétique est innée. L’objectif du néolibéralisme est de la gazer.


Un agencement ne rapporte rien, un point si. Dans un centre commercial, la ville n’existe plus. Dans une rue marchande, le point de commerce se doit d’ombrager le topos alentour, la topographie, les liens organiques avec le territoire. 


Rendre urbainement incultes et insensibles aux perceptions de ce qui demeure de géopoétiquement vivant si nommé par un discours non-marchand, non-hédoniste, est la violence du géo-néolobéralisme. 


La chronique de la rupture d’un lien topophiliaque se poursuit.


Vu tout à l’heure une sorte d’écriture vidéo qui mêle le quotidien, l’urbain, la dérive sur rail, à distance suffisante des enseignes pour ne pas vraiment les voir, une caméra installée devant le wagon de tête d’un tram à Amsterdam. Il ne se passe strictement rien d’exceptionnel. Ce n’est pas simplement “reposant”. Ça fait rêver, ça fait penser.