Alors que Dream Coffee disparaît


Trois ouvrages récemment dans le rétroviseur alors que Dream Coffee disparaît le 2 mars prochain. Café Society chez Palgrave MacMillan, un recueil de textes universitaires, avec en particulier ce texte intitulé Design for Solitude, auteur Erling Dokk Holm. Aussi dans un style grand public, La vie de bistrot de Pierre Boisard, ouvrage idéalisateur par moment mais pas trop. Seconde lecture. Le chapitre sur l’origine du mot bistro a fonction de remplissage quand c’est l’interaction avec le patron, le rapport de ses dires et expériences qui fait l’intérêt du bouquin.L’établissement dont il est question à Paris est définitivement fermé aussi. 


Pour l’hyper-idéalisation, les livres de Robert Giraud sont dans mon experience de lecteur imbattables de poignance, mais heureusement pas dans le mode lamentation du bon vieux temps d’où vous sortez rincé. 


A bien y penser d’ailleurs, la dimension nostalgie larmoyante, souvent irritée à raison, de la disparition de ces éléments du quotidien urbains qui singularisent tel quotidien de tel lieu est, il me semble, surtout le fait des auteurs d’à-propos qui maugréaient sur le déclin quelques paquets d’années plus tard alors que l’auteur à disparu. Typiquement me revient l’introduction du fiévreux et incandescent Here is New York de E.B White qui date de 1948 par un certain Roger Angell de 1999, qui introduit une note frauduleuse en exergue d’un texte qui est - si tant est que le lecteur y est sensible - en mode hyperprésence, de 1948. La lecture qui réifie le texte est bonne quand le texte sonne dans le maintenant. L’introduction comme poison ou conseil d’en éviter la lecture. 


Récemment acquis, de Nathalis Audas, La ville et le sablier - Sentir les temps urbains, une thèse. Liens d’affections et ancrages urbains, à la fétichisation retenue.  Il faudrait parler de fétichisation soft et singulière. Comment peut-on s’ancrer dans le carrefour de Shibuya, exempt de la propagande? Je pose la question pour m’en débarrasser. Pas question d’ouvrir le débat avec des lépreux affabulés chambres d’échos des voix de leurs maîtres exaltés.


Beaucoup de regrets que mes prochains clients voyageurs qui veulent expressément ressentir le quotidien sans esbroufes hypermarchandisées de Tokyo n’arriveront que le 31 mars. Une visite à Dream Coffee était de mise avec à la clé l’incontournable réaction tant de fois constatée que “C’est bien ici!” - ce je-ne-sais-quoi, le nantonaku (pas encore dans Le Robert celui-là?) d’un lieu qui se passe d’explications. Qui diffuse immédiatement, indépendamment des générations. Des cousins très éloignés vingtenaires avaient eu la très même exacte réaction que des sexagénaires de passage. Pas de hasard. Dans les ingrédients qui comptent avant tout est celui du quotidien, comment le lieu sert et dessert le quotidien fait de passages multigénérationnels. Le quotidien, c’est le maintenant. 


Dans ma liste de lieux où écrire à Tokyo, le plus proche dans le ressenti de Dream Coffee est la boulangerie cafétaria Matsumura à Ningyocho. Soixante ans et plus, le matin en mode pression va-et-vient permanent. Et comme Dream Coffee, sur fond musical jazz. 


Lieux qui se passent d’explications donc mais pas d’exégèses. Le premier morceau du titre du papier de Nathalie Audas - Saisir l’affectif urbain - dit tout et ne demande encore et encore qu’à être déplié. La disparition de Dream Coffee n’empêche pas de poursuivre la trame d’investigation de la saisie de l’affectif urbain pour soi.


Ce qu’il manque, ce qui est regrettablement manquant et de par le fait de l’absence d’interactions humaines, ou alors si superficielles et formatées, c’est l’histoire des gens et l’histoire des lieux de commerce. Cette société est tellement sans histoires personnelles qu’elle fait office de chambre d’échos vide hormis soi.


Pour remonter à, je dirai, une vingtaine d’années, j’ai le souvenir d’être passé par le plus pur des hasards devant Dream Coffee quand il s’agissait d’un café fumoir et que les notions d’affectif urbain m’échappaient encore, d’y être allé deux fois seulement, touché dès la première fois par un ressenti agréable malgré la fumée et l’insalubrité du lieu fouillis d’un quelque chose remuglant des souvenirs ailleurs. Un lieu comme vecteur d’ailleurs, au pluriel, et surtout un lieu ancré et participant au quotidien.  


François Bon dans ses élucubrations sur YouTube - remarquable cette constance mais souvent je zappe sorry - était la veille dans l’hôtel Midi-Zuid de Bruxelles. D’après l’insert sur l’écran, il pratique le rituel de passer une nuit dans un hôtel ailleurs près d’une gare. Etrange, non, intéressant rituel au sujet duquel je lirais bien une élaboration, qui pour les besoins de l’enregistrement vidéo ne se conçoit pour la discrétion sans doute que dans une chambre d’hôtel, glauquissime comme une chambre de business hôtel dans une province chiante japonaise - un nombre incalculable d’exemples - avec la lumière blanche néon. Il devrait trouver une formule qui à la fois évite l’exposition guignolesque du nervis influenceur mais n’exclut pas la vue panoramique de cette _solitude en société_, celle des cafés, les bons, qui se prêtent à cela avec le nantonaku associé. Bien mieux que d’embrasser un arbre. 



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