Projet en cours : menus de la maison

 

Une chroniqueuse culinaire publiée sur The Guardian intitule sa série A Kitchen in Rome. L’appel de l’Italie pour un lectorat d’abord anglophone, d’abord britanique, est irrésistible. Manger maison, chez soi, à Rome. Dolce Vita. Comme dans un film.

Le projet en cours ici, encore très sommaire, mentionné dans l’onglet Expériences et projets, a pour sujet les menus de la maison.

Il s’agit d’une liste chronologique de menus consommés à la maison, une expérience d’écriture blanche associée à la nourriture familiale, une forme d’expression anti-hédoniste du discours gastronomique. Pas de recettes, de mimiques, de vantardises, de barbe poivre et sel, d’aveux antienne contemporaine “qu’après une carrière dans la finance, j’ai eu une révélation pour la restauration” (des investisseurs sont sur les lieux), ni de sous-entendus sexistes et paternalistes, de promotion monétisée, de pâmoison (ou alors accidentelle). Juste les faits du manger maison dans un foyer où la cuisine est essentiellement faite par soi-même, sans livraison de plats préparés, sans dépendance aucune aux convenient stores, avec un évitement soucieux de tout ce qui est éminement synthétique et industriel massifié, qui demande une vigilence permanente et n’est pas toujours évitable. 

La cuisine familiale est absente des conversations de ceux qui ne parlent que de de manger dehors. Elle mérite pourtant l’exposition moins le narcissisme. 

Ce que j’ai appris : savoir cuisiner est avant tout savoir nourrir - et surtout savoir pourvoir à la faim des petits enfants plus que des adultes. Cela peut être fait très simplement. Pour faire attendre les enfants, du pain et du beurre. Cela marche à tous les coups. Pour faire attendre les adultes, des amandes rissolées rapidement dans l’huile d’olive, drainées et juste salées. 

La cuisine familiale n’est que peu affaire de techniques mais d’hospitalité. C’est un constat par expériences multiples. Savoir nourrir donc, c’est savoir recevoir simplement, savoir faire face au besoin de manger dans des circonstances improvisées, heureusement pas sous les bombes et dans la famine qui rôde ailleurs. Alexandre Dumas m’est l’écrivain modèle dans ce sens, en voyage en Espagne où il prend en main un dîner compromis dans une auberge, sous la mitraille où les mousquetaires décident d’aller picniquer. Il bravarde comme Dumas, mais le Père se fait à l’occasion mère-nourricière de ses compagnons (les compagnonnes n’apparaissent pas…). Savoir nourrir devrait faire partie des mentions de vantardise dans un c.v. 

Je cuisine.

I cook.

Donc je suis, disponible.

Ici donc, pas de date, hormis le 1er janvier, pas de recettes surtout, des jours avec des trous, souvent liés à des circonstances où les repas n’ont pas eu lieu à la maison, ou des repas solitaires pas mentionnés, ou tout simplement par trou de mémoire. Un repas par jour, parfois deux, et dans ce cas le premier est un déjeuner. Si un seul, il peut s’agir soit du dejeuner, soit du dîner. Ce n’est pas important. Etrangement, le petit-déjeuner n’est jamais mentionné. Pourquoi ce dédain?

Ecriture blanche donc mais pas neutre :

- quand il est fait mention d’un repas fait à la maison pour des amis, ou fait de mes mains chez quelqu’un d’autre

- quand il n’est pas fait mention que la cuisine s’est soudain réduite en l’absence d’un fils parti ailleurs, ce qui se reflète dans le manger du quotidien. 


Cette factographie culinaire et écriture du quotidien est aussi l’écriture des absences, des présences manquées.

A l’origine de cette expérience est la soudaine réalisation que manger, manger bien et plutôt sainement, et varié, et plutôt de saisons, et avant tout sans complexicité, n’empêche pas d’oublier ce que l’on a mangé la veille, même quand on a à charge de faire la cuisine, qui n’est pas une charge, pas un boulet, jamais. Il s’agissait donc de prendre note “pour voir”, et l’expérience continue. Cela constitue-t-il matière à lecture? A écriture certainement. Dans la description de la banalité du quotidien - des autres - le manger me semble être un volet des plus intéressants, intrigant. A lire ici

Note : la chronique des nourritures est aussi une grande porte ouverte vers l’évitement, le regard de côté, comme le font les médias qui nous font, par l’usage du terme famine sans élaboration. Une approche à la Charles Reznikoff, chronique blanche de l’affreux, énoncés de l’absence de nourritures sous les bombes et dans ce qui reste après, changerait la donne, à condition d’éviter des expressions telles que “apport calorique journalier minimal”. Rien dans la gamelle donc. 

Il suffit de basculer par un clic et retour alternatif entre les rubriques actualités internationales et pages culinaires des journaux pour constater l’abjecte du non-dit, que le menu d’une maison peut basculer dans le vide.

Affaire à suivre.


 

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