Ecrire beige
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Escalier à pic à Koenji. |
Relecture du Journal du dehors d’Ernaux Annie qui sonne maintenant différemment avec le capital de lectures et d’investigations accumulées.
“J’ai évité le plus possible de me mettre en scène et d’exprimer l’émotion qui est à l’origine de chaque texte.“, ce ”plus possible” soulignant le (presque) impossible de l’ambition, ou sa difficulté extrême à s’y tenir, comme l’auteure elle-même l’expose.
Se trouve ainsi en tout cas réglé le problème du risque de glisser dans l’anecdotique plaisant, le bon mot et le sourire associé de connivence qui fige, tout comme peut-être un procédé technique quand à décider d’écrire un ouvrage par exemple sans la moindre lettre “e”. Je ne sais pas si Perec s’était imposé la tache avec humour en coin comme fleur au fusil, ou avec soucis, ou si l’exploit générant invariablement un étonnement rien qu’à l’écoute du procédé n’engage pas pour autant le lecteur potentiel à lire. Tout comme moi-même qui n’a pas lu ce Perec là.
La règle-formule-contrainte que s’est imposée l’autrice du Journal du dehors - et, encore une fois, qu’elle ne suit pas vraiment - est tout aussi “contraignante” qu’éviter les e, mais ne génère pas avant même la lecture la moindre envie de sourire d’incrédulité. Evicter l’e sent son équilibriste, sa mécanique. Eviter le moi et le me et mes opinions, ressentis, sensations, coups de gueule et autre vacuoles de la plainte est de l’ordre du prétentieux, peut-être. Ou de l’ordre de l’impossible. Ça touche une corde, cet aveux du “plus que possible” que l’auteure prend un risque, celui d’exposer l’échec de l’ambition. Ça rend humble, et donc ne prête pas à sourire.
On peut reformuler la méthode annoncée de la façon suivante, façon épreuve du bac :
On évitera le plus possible de se mettre en scène et d’exprimer l’émotion à l’origine de chaque texte.
####Etre lu
L’éventualité d’être lu est somme toute assez caduque, la production globale de textes dépassant la capacité globale de lecture.
Tombe dans la boîte à messages l’annonce de recrutement d’intervenants pour la prochaine Japan Writers Conference contenant cette mention habituelle insistante qui sonne un brin irritée :
All published writers, translators, editors, agents and publishers are welcome to submit proposals. Both new presenters and those who have presented at past conferences are welcome to submit. Selected speakers will have an opportunity to sell their books in the exhibition room.
When planning your JWC proposal, keep your audience in mind. Your listeners will be writers and others (translators, editors, publishers, and agents) concerned with creating publishable writing. Teaching, literary studies and private self-expression are NOT the focus of our conference.
are NOT = NE SONT PAS!
But what is “private self-expression”?
Non-publishable therefore worthless written expression crap.
Alors que les séries policières se déroulant à Tokyo, les mémoires de gaijins vivant (et s’ennuyant) à la campagne, les redondants journaux de périples à travers le Japon, en travers du Japon et de la gorge, etc., sont des valeurs potentielles de commerce à imprimer entre deux volets de couverture, tout le reste qui pourrait inspirer d’autres pistes est prié de rester à l’entrée.
C’est vraiment has been cette approche de vieux condscendants, et cela perdure. Mais la phrase ultime qui lève le bouclier face à tout ce qui pourrait sortir de l’ordinaire brouet très beige et neutre de cette production écrite généralement allochtone indique aussi ce qu’il faut faire à ces auteurs “d’expression privée”, littérateurs et enseignant, y compris de la chose très douteuse des creative writings qui persistent à postuler sans voir le NOT qui claque comme un panneau d’interdiction de se croire qualifié est qu’ils aillent s’organiser ailleurs, et organiser des conférences sur les possibles des écritures avec le Japon dans le rétroviseur, vendables ou pas.
####Et Tokyo dans tout cela?
La gamme des rythmes et textures et sensations des territoires autour de la station Koenji est vraiment remarquable. Je pense à la Central Road, nom ronflant pour une artère à sens unique sans trottoir. Je pense à la galerie Porta lorsque l’on tourne à main droite en descendant pour se diriger vers l’immédiat autre monde que constitue le temple si proche. C’est là que le quadrilatère qui englobe Harmonica Yokocho et sa partie ouest immédiate à Kichijoji - vraiment immédiate et réduite - fait écho. Ces réductions, immédiatetés, petits tournants à angles droits ou approximatifs élaborent des rives que constitue la continuité du bâti, soi-même navigant à proximité, presque touchant le relief épidermique complexe des rues comme une succession de micro-calanques urbaines, succession de poches singulières, heureusement essentiellement encore à un seul étage à Koenji. Ce qu’il y a de plaisant à des ruelles qui s’emboîtent de manières imparfaites et donc comme si discrètement mobiles, multiplicités des indices, des éléments disparates, des couleurs, matériaux, poussière et crasse, cambouis en cherchant bien, tags et graffitis qui n’en imposent pas, stickers et autres traces écrites et colorées, est la singularité des lieux.
Ce que force la réalité augmentée dans le regard, c’est voir et ne voir que l’enseigne, le commerce donc, la consommation, le capitalisme, le fric et l’inutile dès lors qu’au-delà de l’essentiel du quotidien. Car le plaisant de circuler dans ces espaces restreints remplis de commerces et d’invites à consommer est justement que le regard indiscipliné par nature a ce quelque chose d’enfantin qui sourit en coin aux effets de couleurs et de lumières, aux clins d’yeux d’un soleil rasant - et d’odeurs en parallèle - à en oublier de se demander de quoi il s’agit. C’est pour cela que passant pour la centième fois dans la même ruelle, on tombe sur quelque chose de “jamais remarqué” parce que le regard laissé à lui-même a vite la tête ailleurs pleine de pensées en résonance avec le pouls des lieux, tel que perçu singulièrement par soi et et soi seul. Le regard qui va être imposé, discipliné par la réalité augmentée, va être empêché de rêver en marchant. Il s’agit à terme d’empêcher totalement de penser sinon que dans la vrille du consumérisme. Marcher sera défiler entre les fourches caudines d’enseignes exigeant la lecture mentale de leurs noms et qualité.