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Conversation de comptoir - extrait

K nous a dit qu’il était de nationalité chinoise, à l’origine, nonchalamment. Nous avons atteint ce niveau de familiarité.  Sa relation de soi dans l’axe d’une histoire qui le dépasse, qui va au-delà de sa génération - ce que nie, négative, zappe par exemple le terme massivement idiot de “half” en japonais - j’y reviendrai - m’aura permis de remettre sur le comptoir ma conversation entamée ailleurs une autre fois avec M assis à ma gauche, sur la présence ou pas d’un autel consacré aux ancêtres dans leurs appartements respectifs. M m’avait déjà répondu par la négative. A Tokyo en tout cas, il n’en avait pas, mais dans la maison ancestrale en province oui. J’ai donc posé la même question à K qui m’a répondu par la négative, pour poursuivre sur le fait que son père : - était chinois. - avait été arrêté par l’armée japonaise. - avait été déporté à Hokkaido pour travailler comme _esclave_ dans les mines de charbon. A noter que le terme “esclave” est ici un ajout personnel. - n’avait pas vou

Recension - extrait

(…) Le recenseur du livre d’Olivia Rosenthal, Un singe à ma fenêtre : La narratrice veut enquêter sur les attentats terroristes commis dans le métro de la capitale japonaise par la secte Aum. Ce, pour ne pas risquer d’être « aspirée et engloutie et submergée par quelque chose de trop proche » qui s’est déroulé en 2015 à Paris. Olivia Rosenthal voit son dossier accepté et elle part à Kyoto. Elle y résidera le plus souvent. Phrase extraite d’un article sur En attendant Nadeau Singeant l’auteure du livre, le recenseur ne nomme pas non plus la Villa Kujoyama. On se demande quelle est la source de cette pudeur. L’auteure elle procède à un début quelque peu en fanfare avec un usage immodéré du pronom “on”, mais aussi, sept répétition de la phrase “les membres du jury acquiescent” au sujet de tous ses arguments concernant son projet. S’agit-il de tancer? Est-ce un clin d’oeil réservé aux entres-soi?Une petite pique à la pointe émoussée pour n’irriter ni la chèvre ni le chou? Cela fait sourir

Manquer la diligence

De bon matin, soleil luisant, ciel radieux, mont Fuji avec de la mousse au sommet du bol à raser. Je me dirige vers l’arrêt de bus en contrebas à cinq minutes à peine à mon rythme, rapide, d’autant plus que cela descend. Je croise et dis bonjour à la même dame âgée que la dernière fois, qui remonte la pente, qui me sourit, qui vue à distance quand il est encore difficile de distinguer les traits, ressemble, ou plus exactement, fait penser à une clocharde au moment où le malaise vous force à envisager couard même si brièvement qu’il faudrait changer de trottoir. De proche, elle n’est pas clocharde, mais ses habits comme sa coiffure démontrent que le maintien et le soin de soi pour les autres n’est plus du tout un sujet. Elle a un beau sourire que je lui rend, et sans m’arrêter, je fais une remarque sur le beau temps frais que l’on a ce matin.  Trop de moi, trop de je, mais c’est un journal, non? Il est 6:55 environ quand j’arrive devant l’arrêt de bus en pleine campagne, plus exactement

Sans titre - extrait - août 2022

Le voyage court déborde de sa durée in situ, inclut les temps d’anticipation, de conjecture, cette négociation avec soi - tout ce réflexif -  sur les lieux où aller pour des raisons pragmatiques d’achats, des impasses à s’imposer pour ne pas faire des détours inutiles - alors qu’en temps normal, l’inutile est justement la dimension luxueuse- cette casserole à cuire le riz qui siéra certainement pour des riz mitonnés m’attend à Koenji mais ce sera la semaine suivante, dans la boutique de quincaillerie, une pure jus d’époque donc un pieds dans l’antérieur, un intérieur pas refait ou alors il y a longtemps et qui ne survivra pas, étant fermée les mercredis. Donc ce passage à Tokyo est en réalité bien plus long dans une durée qui déborde entre l’avant et l’après.  On me ramène en bas plus tôt que d’habitude. Shinjuku à 18h30, ce qui permet en une station supplémentaire de débarquer à Okubo. Avec la grosse valise heureusement vide, c’est comme si débarquer de l’étranger, de revenir au pays

Tokyo en parcimonie - extrait - août 2022

La forme verbale préférée du réseau ferroviaire Odakyu est la négation de pouvoir. Le nombre d'impossibles que propose cette entreprise est considérable. Très aimables au comptoir par contre. Cette capacité à gérer l'inefficacité organisée au point qu'elle semble être son contraire,  efficace. Kafka a vu se produire des acrobates japonais - le fameux exercice d'équilibre, de force et de voltige - en 1910, une hypothèse même si la date précise ne figure pas dans une des premières entrées (on dit cela?) de son journal. C'était les prémices de Japon Expo. Le petit Marcel avec sa tasse de thé et ses fleurs en papier qui s'y déploient est antérieur donc. 1910, c'est aussi l'année où Swingle aurait pu venir au Japon en catimini. Le journal de Kafka dans l'édition NOUS, familiarité immédiate, et un volume d'une épaisseur considérable et d'un poids négligeable. Parfaite lecture de voyage. 32 heures à Tokyo : ce qu'il ne faut pas manqu

Romance Car Café

Une nouvelle entrée sur  Où écrire à Tokyo  : le Romance Car Café dans la station Odakyu Shinjuku.

Des lucioles plein la bouche - extrait - 2019

“Pour l’udo en salade, on pêle les tiges, on les découpe en copeaux et on les fait tremper dans de l’eau glacée une heure ou plus avant de les servir avec un assaisonnement à la française. Quand servis sur des canapés comme les asperges, il faut changer l’eau de cuisson deux ou trois fois avant que de les incorporer dans la sauce. La crème d’udo en soupe est particulièrement délicieuse, mais dans ce cas aussi on doit changer la première eau de cuisson.” Traduit de The World was my Garden - Travel of a Plant Explorer, par David Fairchild. Réimpression de 1938. Une recette à essayer donc. Si je m’en tient aux dires de YKK, l’intérêt du lecteur dans cette traduction en haut n’est éveillé qu’au moment où apparaît l’assaisonnement à la française, c’est à dire qu’un lien affectif, une corrélation avec le lecteur, en priorité avec sa nationalité, est quasi sine qua non pour intéresser un éditeur. C’est un phénomène mondial. Un petit ou grand “nous” expressement plutôt que subliminalement expr

Marcher sous la pluie - extrait - juillet 2022

Les chemins n’ont pas de nom mais des indices, qui m’échappent. Quand on me demande où je marche, je suis pris de court. Toujours aucune idée où se trouve cette fameuse maison bleue vue sous un ciel splendide l’autre fois. Mais c’est bien simple, elle se trouve hors de mon chemin. Pas de doute sur ce point. Ici, il faut penser le terrain par élimination alors qu’une maison bleue vue ne serait-ce qu’une seule fois à Tokyo serait inscrite dans la mémoire en fonction d’autres indices, nom de quartier, de station, ou quelque chose de l’ordre de _dans ce coin là-bas_. Vous marchez où? Dans ce coin là-bas. Ah oui, le chemin de promenade des chiens. Voilà comment on devient canin. J’en ai vu un ce matin d’ailleurs à distance avec son maître. Il était tôt, il pleuvotait. Et puis le _otait_ est passé au stade de _quasi-dru_. C’est là que plusieurs choses sont apparues :  d’abord et avant tout le plaisir de marcher sous la pluie, avec une parka qui tient la route moins d’une heure, une casquette

De l’acupuncture urbaine - extrait - juillet 2022

La ville est un corps de circulation d’énergie, conflictuelle, laborieuse, irritante, adorée, honnis, tout à la fois. Soi est lié à ce corps de par le mouvement, de par les savoir-villes accumulés. Pour influer sur le Yin et le Yang urbains connaissant un paquet de méridiens, le marcheur en ville se doit de sélectionner et apprécier des points d’acupuncture qui lui sont particulièrement sensibles. Et d’y revenir tant qu’il peut. Le petit carrefour avec le Dream Coffee à un angle entre la rue Rikkyo et une autre sans nom qui dégringole à plat plein sud vers le square Nishi-Ikebukuro est un de ces points vitaux. Un point vital urbain dans le corps de la ville est un lieu dans lequel le doute n’a pas lieu d’être. C’est ici, j’y suis. Perec y tournerait des heures carnet en main. On peut se poser dans l’alcôve juste à côté de l’entrée du café, s’assoir ainsi à même la rue mais un peu protégé comme si une casemate de gardien de la paix des carrefours. Que la paix des carrefours soit. On pe

Habitudes, lieux, amitiés - extrait - juillet 2021

Il pleut de ces pluies qui mettent en évidence le monopole de l’imperméabilité des sols. Vastes flaques et cataractes. On va entendre parler des glissements de terrains dans les provinces pentues, là où l’imperméabilisation n’est que partielle.  “Il est impardonnable de voyager – et même de vivre – sans prendre de notes”, dixit Kafka. Bon mais Frank franchement, faut être de son temps. Il y a la photo aussi, la mémoire, ses affabulations, ses inventions. Pour un café, c’est quand tu veux. Recension d’ouvrages de Jean-Christophe Bailly. _« 15 novembre 1979, Même si, de fait, je ne suis ici que de passage, je me rends compte que j’habite pleinement New York, y ayant des habitudes, des lieux, des amis »._ Tout est dit donc. Le seul voyage qui aille. Triptyque: habitudes, lieux, amitiés. Le tourisme lui se construit sur l’absence de ces trois éléments à destination, d’où l’impératif, le diktat des _expériences_, l’incontournabilité des vélos de location, partout. Ne pas se fixer. La desti