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Des lucioles plein la bouche - extrait - 2019




“Pour l’udo en salade, on pêle les tiges, on les découpe en copeaux et on les fait tremper dans de l’eau glacée une heure ou plus avant de les servir avec un assaisonnement à la française. Quand servis sur des canapés comme les asperges, il faut changer l’eau de cuisson deux ou trois fois avant que de les incorporer dans la sauce. La crème d’udo en soupe est particulièrement délicieuse, mais dans ce cas aussi on doit changer la première eau de cuisson.”

Traduit de The World was my Garden - Travel of a Plant Explorer, par David Fairchild. Réimpression de 1938.

Une recette à essayer donc.

Si je m’en tient aux dires de YKK, l’intérêt du lecteur dans cette traduction en haut n’est éveillé qu’au moment où apparaît l’assaisonnement à la française, c’est à dire qu’un lien affectif, une corrélation avec le lecteur, en priorité avec sa nationalité, est quasi sine qua non pour intéresser un éditeur. C’est un phénomène mondial. Un petit ou grand “nous” expressement plutôt que subliminalement exprimé  doit figurer impérativement, qui sur la couverture, qui dans l’introduction pour générer ne serait-ce qu’une once de curiosité. 

Le jardin botanique ne m’a finalement pas recontacté. Chacun s’est refilé la pomme de terre chaude, plutôt tépide, mais chaude par sa singularité que fut cette requête d’informations sans entregent issue par un quidam sans qualité ni diplôme ni statut. La norme donc. Mais Fairchild mentionne le jardin botanique de Tokyo sans énoncer Koishikawa. Il est aussi question d’un autre jardin à Komaba qui sera intégré plus tard à l’université de Tokyo. Il est aussi mention d’introductions vers des collègues japonais. Le réseautage par reconnaissance de statut et de spécialités fonctionne à plein comme toujours. Fairchild doit obtenir des papiers qui tardent pour voyager dans le Japon, mais son journal mentionne que la lenteur administrative japonaise se trouve accélérée et la question résolue par l’intervention d’en haut, diplomatique et politique, en une journée. Swingle lui dans les années 20 voyage au Japon très probablement à une époque où la nécessité d’obtenir des autorisations pour circuler dans le pays n’existe plus. En aparté, il est intéressant de penser qu’alors que l’état Meiji invitait à tour de bras des experts étrangers dans de multiples domaines pour relever le niveau technologique et scientifique du pays, le passeport domestique pour les étrangers persistait. Les Japonais des provinces eux-mêmes tombaient-ils sous la même obligation, comme en Chine?

Plus loin dans son autobiographie, Fairchild mentionne en passant une rencontre avec le Docteur Matsumura, “le directeur accompli du Jardin Botanique”, donc probablement le Koishikawa, et un certain Docteur Myoshi, qui devrait s’épeler Miyoshi, de _l’Université_, donc celle impériale de Tokyo. 

Plus évocateur est sa mention de ce que lui raconte ce Docteur Miyoshi au sujet des chasseurs de lucioles à Uji qui partaient sur le terrain la nuit munis de filets pour attraper les insectes lumineux. Ils placaient leurs prises dans la bouche et une fois que celle-ci était pleine, ils expulsaient en soufflant le contenu vivant comme la nuit de Las Vegas, comme un happening nocturne. A cette époque, les lucioles étaient vendues dans tout le Japon enfermées dans de petites cages en bambou. Cette pratique a selon toute vraisemblance totalement disparu. Je me demande si les bouches pleines d’insectes frétillants et allumés comme un Noël diffusaient de part leur concentration un halo bleu visible dans la nuit à travers les joues.