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Sans titre - extrait - août 2022



Le voyage court déborde de sa durée in situ, inclut les temps d’anticipation, de conjecture, cette négociation avec soi - tout ce réflexif -  sur les lieux où aller pour des raisons pragmatiques d’achats, des impasses à s’imposer pour ne pas faire des détours inutiles - alors qu’en temps normal, l’inutile est justement la dimension luxueuse- cette casserole à cuire le riz qui siéra certainement pour des riz mitonnés m’attend à Koenji mais ce sera la semaine suivante, dans la boutique de quincaillerie, une pure jus d’époque donc un pieds dans l’antérieur, un intérieur pas refait ou alors il y a longtemps et qui ne survivra pas, étant fermée les mercredis. Donc ce passage à Tokyo est en réalité bien plus long dans une durée qui déborde entre l’avant et l’après. 

On me ramène en bas plus tôt que d’habitude. Shinjuku à 18h30, ce qui permet en une station supplémentaire de débarquer à Okubo. Avec la grosse valise heureusement vide, c’est comme si débarquer de l’étranger, de revenir au pays. Pas pratique dans les boutiques pakistano-indo-bangladeshoises. Je la laisse près de l’entrée à National Market où un poulet rôti, le dernier, m’attends.

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Le vendeur à The Jannat Halal Food me conseille de prendre un sac de riz de 5 kilos plutôt qu’un. C’est moins cher me dit-il. Je lui réponds que ce sera pour une prochaine fois. Déjà bien chargé. 

Dans la rue Okubo et à proximité se trouvent au moins deux marchands de légumes et fruits - dans cet ordre - de catégorie B, un peu moches, de tailles hors normes, parfois un peu fatigués, parfois très mures pour les fruits. Mais si vous réunissez mentalement l’ensemble de l’offre de ces boutiques et comparez avec le péri-urbain, vous constatez que le choix est ici bien plus riche (...)

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Et puis il est temps de retourner à la maison, de rassembler les nourritures et de repartir à Shinjuku avec l’intention ferme de passer suffisamment de temps au café des départs d’Odakyu, sur ces sièges vintages au confort remarquable.


La boulange industrielle Kobeya est exceedingly infecte, hors les sièges divins. 

C’est risible Odakyu, le Romance Car, ce train comme un jouet de grandeur nature dont on voudrait la version Jouef à 6 ans dans une boîte en carton. Cette pléthore de modèles au fil des ans, modèles comiques, grandiloquence ferroviaire qui vous transporte en semaine si peu de monde - les vacances sont finies - vers ce lieu plouquissime nommé Hakoné. Oui, certes, en hauteur, Hakoné c’est pas mal dans un souvenir usé, mais le lac n’est qu’un parc d’attraction, une vue vide en semaine avec je me souviens un bain de pieds à destination.

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Ne pas oublier la violence des rues à Okubo derrière la nonchalance de l’exposition hédoniste alors que je tente à chaque fois de circonscrire le territoire, ce vouloir montrer cette prétention d’aisance à dériver en mode élégiaque, l’esprit aiguisé par l’alcool des rues, avec ces moments de pur bonheur quand l’impression de connivence micro-géographique, le sens de la projection de soi dans le corps et le coeur du quartier, dans ce qui est là maintenant, dans ce qui vient plus loin, sont toutes au diapason du rythme de la dérive maîtrisée, et libre de la flânerie en mode automatique selon des formules imposées par le marketing, les politiques d’usages de l’extérieur et les coutumes de la dichotomie entre l’intérieur et le dehors qu’heureusement jamais je ne partagerai. 

Il est ainsi enfin temps de noter cet épisode qui date de quelques mois en plein jour sur la ruelle perpendiculaire qui mène vers la rue Okubo un peu apres Vivo Daily Stand. Une jeune femme svelte aux cheveux longs à la dégaine des services de chair du quartier qui n’est pas fait que d’épices marche devant moi. A contre-courant arrive un colosse à vélo, sur ce modèle apparamment à la mode à pneus épais et rutilants, à la testostérone, comme des biceps. A l’approche de la jeune fille et du vélo, le colosse affiche soudain un rictus carnassier de bête prédatrice dans la direction  du visage de la jeune fille. Le tempo ne change pas pour autant, le corps svelte de la jeune fille qui marche, le vélo qui glisse, je ne ralentis en rien, mais c’est comme un effet de démultiplication de l’image avec la bande son qui s’effondre dans les gravissimes, l’exposition en plein jour d’une menace noire, entièrement noire.

Si vous avez remarqué les petites publicités sur les poutrelles des stations Okubo et Shin-Okubo pour une garderie fonctionnant 24 h sur 24, vous avez compris que dans ce quartiers, des mères travaillent à fourchettes horaires étendues. 

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