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Recension - extrait



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Le recenseur du livre d’Olivia Rosenthal, Un singe à ma fenêtre :

La narratrice veut enquêter sur les attentats terroristes commis dans le métro de la capitale japonaise par la secte Aum. Ce, pour ne pas risquer d’être « aspirée et engloutie et submergée par quelque chose de trop proche » qui s’est déroulé en 2015 à Paris. Olivia Rosenthal voit son dossier accepté et elle part à Kyoto. Elle y résidera le plus souvent.

Phrase extraite d’un article sur En attendant Nadeau

Singeant l’auteure du livre, le recenseur ne nomme pas non plus la Villa Kujoyama. On se demande quelle est la source de cette pudeur. L’auteure elle procède à un début quelque peu en fanfare avec un usage immodéré du pronom “on”, mais aussi, sept répétition de la phrase “les membres du jury acquiescent” au sujet de tous ses arguments concernant son projet. S’agit-il de tancer? Est-ce un clin d’oeil réservé aux entres-soi?Une petite pique à la pointe émoussée pour n’irriter ni la chèvre ni le chou? Cela fait sourire au sujet de l’innommée. Elle veut dépayser le dossier et aller à Kyoto plutôt qu’à Tokyo où ne se trouve de toute façon pas la villa. Eric Sadin autrefois avait passé semble-t-il - c’est une hypothèse - le plus clair de son temps à Tokyo pour y délirer avec un ouvrage exemplaire de médiocrité, dans le mode “c’est fou je n’y comprend rien, c’est fou cette ville qui me rend fou”, ouvrage qui avait malgré tout été monté en mayonnaise encensée dans diverses adaptations hors la littérature. Heureusement, il a n’a pas été transformé en affabulé esthète du Japon et a dérivé ailleurs. La mayonnaise d’une résidence stratégique d’artiste ne prend pas nécessairement. 

####Ecriture de l’inappétence

On doit remercier Olivia Rosenthal pour un travail d’écriture dénué d’une appétence particulière pour le Japon. Hormis quelques obsessions pour des insectes, et ce singe dans le titre dont la première apparition tient soit du comique, soit du ridicule, on ne lit aucune génuflexion et peu de tendance à l’attitude opposée mais tout aussi symptomatique de qualifier son territoire de passage temporaire de bizarre. Il s’agit donc d’un livre de littérature de passage, la catégorie de récits _japonesques_ la plus touffue, issue dans une mesure très large des pensionnaires de cette usine-atelier à artistes japonesques ou candidats à l’être, carburant de la diplomatie culturelle française vis à vis du Japon. Il y a d’autres villas dans d’autres pays pour la même fonction, et aussi d’autres villas d’autres pays. Cela produit dans le cas de l’écrit une littérature de passage et de service sauf si auteur rétif. Cette mécanique-système, avec les rares auteurs allochtones du haut du pavé,  fait de l’ombre à d’autres récits possibles. 

Quelques phrases de l’ouvrage.

Avec le recul, je crois que c’est cette règle du silence comme vertu hautement sociale, comme ciment et lien, qui m’a pesé lors de mon séjour au Japon, sans doute parce que j’y retrouve une manière d’être que j’ai longtemps adoptée et contre laquelle il a fallu que je me batte pour réussir, enfin, à mon tour, à parler des morts qui sont autour de moi et qui continuent, parfois contre mon gré, à m’accompagner.

Ici se trouve le signal avant-coureur mais anodin de la fin du livre, le dernier chapitre qui est surprenant et bouleversant.

Il déplorait ouvertement que le recours à la psychanalyse soit si rare au Japon pour traiter dépressions et névroses, et je pense maintenant, avec le recul, que lors de notre entretien, il m’a non seulement utilisée pour obtenir sans frais un cours de conversation avec une vraie Française directement importée de l’Occident mais s’est discrètement faufilé dans la peau d’un patient en présence de son psy, histoire d’expérimenter une méthode de soin à laquelle il rêvait de pouvoir recourir.

Je veux croire qu’elle a trouvé cela seule. Croire avec beaucoup d’efforts. En fait, il m’est impossible d’y croire. Cela est issu de conversations avec des corréligionnaires sur place qui sont absents de l’ouvrage.

Derrière les portes des appartements japonais, s’appliquent des règles tacites. Comme les cloisons sont fines et les matériaux de construction légers, mieux vaut chuchoter si on ne veut pas que les voisins s’offusquent.En raison du risque de séisme, ni armoire ni étagère ne viennent encombrer les pièces.Des objets disparates jonchent les tatamis, le sol de la cuisine est couvert d’immondices. Il faut bien que le désordre intérieur trouve un exutoire.Il est recommandé de ne laisser traîner aucune denrée périssable autour de son logement et de bien fermer les fenêtres.Des singes pourraient s’approcher, entrer dans les foyers, voler de la nourriture, déchirer des vêtements, se déguiser en habitants, prendre des places laissées vacantes.

Un peu de bêtise tout de même. 

Le récit de Keiko était troué de silences, poudre d’or délicatement appliquée sur les brisures et morceaux épars qu’elle avait décidé pour elle et pour nous d’assembler.

Un peu de kintsugi, obsession esthète dans l’air du temps niais et suiviste.

La petite lumière qui m’avait portée et qui, tout au long de mon séjour, avait clignoté de manière intermittente vacillait, j’avais hâte qu’elle s’éteigne, je ne voulais plus entendre parler des Japonais, de l’exquise subtilité de leur culture ni de leur sens de la sociabilité.

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Olivia Rosenthal retourne donc à Paris dans le dernier chapitre qui est un véritable choc littéraire, poignant, dramatique, bouleversant. Du Japon il n’est soudain plus question, ni même du gaz sarin, de Kyoto ou d’un singe accessoire. Il est question de morts, plus personnels. L’auteur a finit ses recherches et on lit donc avant ce dernier chapitre sa copie scolaire qui est le produit du contrat avec la Villa Kujoyama qui est citée en toute dernière page. Cette ré-écriture des témoignages qu’elle a glânés, auprès d’abord de francophones japonais, sonne étrange, artificielle quand vous avez vécu ici longtemps. Hormis quelques inarticulés qu’elle range dans la bizarrerie, ces personnes qui se confient, qui élaborent des malaises et des conflits sonnent dans la transcription de leurs dires comme faux. Inutile de détourner cette affirmation avec l’inévitable : _mais je connais des qui _.... . Moi aussi. De l’ordre de l’exception majoritaire. Il y a un terme pour cela je crois en statistique. Personne dans sa majorité absolue ne parle ainsi; personne ne se confie de la sorte pas même à une journaliste ou une chercheuse. La réécriture des paroles recueillies est sans doute pour autant inévitable, tout comme ses conséquences.

Mais tout ceci n’est rien en regard de ce dernier chapitre coup dans les tripes. Heureusement, je crois qu’Olivia Rosenthal ne deviendra pas un petit soldat au service de cette passion si française pour le Japon. Une de moins dans le tableau de chasse. Une de gagnée. Il y a suffisamment d’esthètes japonais émétiques. Ce dernier chapitre transcende de loin tout le reste de l’ouvrage comme si le début d’un autre frémissant. 

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Note : la photo n’a pas pour fonction d’illustrer le texte.