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Marcher sous la pluie - extrait - juillet 2022



Les chemins n’ont pas de nom mais des indices, qui m’échappent. Quand on me demande où je marche, je suis pris de court. Toujours aucune idée où se trouve cette fameuse maison bleue vue sous un ciel splendide l’autre fois. Mais c’est bien simple, elle se trouve hors de mon chemin. Pas de doute sur ce point. Ici, il faut penser le terrain par élimination alors qu’une maison bleue vue ne serait-ce qu’une seule fois à Tokyo serait inscrite dans la mémoire en fonction d’autres indices, nom de quartier, de station, ou quelque chose de l’ordre de _dans ce coin là-bas_.

Vous marchez où?
Dans ce coin là-bas.
Ah oui, le chemin de promenade des chiens.

Voilà comment on devient canin.

J’en ai vu un ce matin d’ailleurs à distance avec son maître. Il était tôt, il pleuvotait. Et puis le _otait_ est passé au stade de _quasi-dru_. C’est là que plusieurs choses sont apparues :  d’abord et avant tout le plaisir de marcher sous la pluie, avec une parka qui tient la route moins d’une heure, une casquette qui tient la route moins d’une demi-heure - mais il suffit de ne pas y penser. Le pantalon ultrafin ultra pas cher de Shimamura s’est même révélé un peu imperméable. Comme quoi hein donc, respect pour le low cost et les esclaves qui produisent cela.

Je vous dois un aveu sur les chaussures. Aux premières heures du covid, j’ai acheté des choses inutiles, signe d’une incompétence et d’une immaturité à planifier, et aussi d’une certaine vanité veule, ou veulerie vaine, c’est selon. L’un des tous premiers achats inutiles a été cette paire de chaussures qui vous enrobent les pieds un peu comme des chaussettes affublées d’une semelle souple mais suffisamment sérieuse pour ne pas craindre de marcher sur du terrain accidenté. Fabrication japonaise. Aucun soutien de la voute plantaire, juste une sorte de gant podologique qui vous protège tout en vous offrant la sensation plantaire de la microtopographie rencontrée. Je me souviens que cela a coûté sérieusement cher et que la marche affublée ainsi à Tokyo a vite été abandonnée. On trouvait mes pieds ovipardiens, sans leur demander leur avis. 

C’est fou ce que les gens regardent vos pieds. Les godasses des autres sont le dernier de mes soucis, mais les autres ne manquent pas de remarquer les vôtres. Mais qu’importe, ici, au-dessus de la campagne - la campagne est plus bas - dans cette zone de passage vers des sommets, tout le monde s’en fout, d’autant plus qu’il y a si peu de monde à croiser.

C’est un grand plaisir que de (re)trouver un usage à des objets achetés dans des circonstances d’inconscience affligeante. Elles sont pardonnées les chaussures, et le pardon transpire jusqu’à soi. On veut y croire, une faiblesse.

Marcher sous la pluie est bien différent ici que marcher sous la pluie en ville. Exit l’inquiétude, le stress, l’air soucieux, le croisement potentiel sur des rues encombrées d’autres que soi accrochés à leur parapluie avec qui il faut négocier le passage. Sous une petite pluie pas méchante du tout, le parapluie est ici inutile, mais comme je pratique un tour de quelques 900 mètres à répétition, c’est en abordant la maison que cela se met à tomber un peu dru. J’en profite pour aller prendre un parapluie aperçu la veille sur le porte-manteau et retourne sur le circuit. Personne dans les gradins pour m’encourager. Pas de gradins non plus. 
(…)