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Articles

Allumés des mégots - 31 mai 2020

Gertrude l’oeil hommasse, la main poupine tenant le phone smart marmonne “an app is an app is an app”. Sur le même divan, Alice saisit entre son pouce et l’index quelques poils de sa moustache, regardant aussi son écran avec une moue et les sourcils froncés qu’elle a épais. “25 grammes de beurre! This must be wrong!”. Ernest est un des rares sans mobile qui regarde avec dédain comme il se doit les toiles de Matisse et Cézanne au mur. Qui oserait boxer dans de tels paysage? Picasso vient d’arriver. Pablo donc. Il cherche la femme. Seules dans sa perspective se trouvent Gertrude et Alice. Elles sont disqualifiées. Par dépit et habitude, il saisit son smartphone de la pochette de sa chemisette blanche de toile de coton montée en Espagne et va voir quelques sites pornographiques africains pour inspiration. Francis Scott est aux manettes au petit bar goûtant les whiskies qu’il connait pourtant par choeur. Il est plus calme que d’habitude, Zelda étant en cure. James est un autre allergique

Gros son - extrait - mai 2022

Ça commence. Koenji Central Parc. Rien qu’un square. Sur le chemin, des flamboyants se dirigent dans la même direction, de sacrées crinières, de sacrées dégaines, des oiseaux de nuits exceptionnellement visibles de jour. Je ne connais de Koenji que le jour mais il est clair que ce jour là est exceptionnel. Les hiboux sont de sortie dès 14 heures. Ils sont de sortie pour la manif, le carnaval, la marche contre la gentrification du quartier, _gentrification_ en anglais dans le texte. En japonais, ça n’est que du redéveloppement 再開発, très faible expression.  Des flamboyants mais peu de flamboyantes. Tenues de boutiques vintage de seconde main. Un côté seventees bon enfant. Pas de maquillage sinon que carnavalesque. Peu de flamboyantes donc, mais des amazones, rares, félines, racées, la démarche puissante, le centre de gravité bas, de longues jambes, ventres plats, regards clairs.  Le service d’ordre est imposant. Tant et tant de flics en trois catégories : les en uniformes standards, les

Koenji sur Manhattan - extrait - mai 2022

“But the curious thing about New York is that each large geographical unit is composed of countless small neighborhoods. Each neighborhood is virtually self-sufficient. Usually it is no more than two or three blocks long and a couple of blocks wide. Each area is a city within a city within a city. Thus, no matter where you live in New York, you will find within a block or two a grocery store, a barbershop, a newsstand and shoeshine shack, an ice-coal-and-wood cellar (where you write your order on a pad outside as you walk by), a dry cleaner, a laundry, a delicatessen (beer and sandwiches delivered at any hour to your door), a flower shop, an undertaker’s parlor, a movie house, a radio-repair shop, a stationer, a haberdasher, a tailor, a drugstore, a garage, a tearoom, a saloon, a hardware store, a liquor store, a shoe-repair shop. Every block or two, in most residential sections of New York, is a little main street. Here is New York, E.B. White, 1949 Depuis quelques jours, je me balade

Les anchois aussi - extrait - avril 2022

La LMVPJ : langue manipulatrice de vente du produit Japon. Conclusion d’un article du Journal du Japon, ou hymne à l’incompris. La dernière phrase est fabuleuse, émétique.  Ce qui ressort finalement de la lecture du Dépays, c’est que le rêve est bien plus fécond que la vaine et encyclopédique volonté de comprendre dont il prend le relais : sa passion du chat et du cinéma de Shôhei Imamura ont mené Chris Marker au cœur d’un pays dont il était incapable de parler la langue, au cœur de son Japon du moins, et c’est déjà bien assez. Rêver le Japon est un moyen comme un autre de le connaître, meilleur qu’un autre de le vivre, et il serait dommage de s’en priver. L’auteur a largement pompé sur le texte le Dépays de Marker lisible ici :  [https://chrismarker.org/chris-marker/le-depays/] ... en laissant de côté ce que Marker suggère de pas si affabulé quant à ce dédoublement de soi et l’invention pure d’un Japon de l’imaginaire. Il faut aller bien avant dans le texte où Marker expose la banalit

Ebauche - bribes en cours - mai 2022

Que sont mi ami devenu Que j’avoie si près tenu Et tant amé ? Je cuit qu’il sont trop cler semé ; Sur écrans twittés à longueur de journées Hors-solés du lieu présent Distillant traits cyniques et singeant  À soi et tierces disants Copié-collant comme affiches politisant  En brèves démonstrations  Giclées de 256 runes assassines Piaffants se croyant cinglants  Rendus ignorants du labeur autre De mai l’usine Addictifs de l’automate ironisant Comme chien courant après le bon mot  Comme mèmes vautres Ceci à 10 000 lieux du moment Bientôt glissant de l’Ukraine aux plans estivaux Et autres crèmes à bronzer désignant d’autres veaux Se faisant autres en ignorant autres  Ici présents mais jamais atterrissant Ici présents comme si y avoir été jamais vraiment Rutebeuf Bourguignon Je sors de Moritaya avec un épouvantable mal de dos trainé jusqu’à la maison. Un véritable malaise. Ils ont tué Moritaya! Ce n’est pas Marat saignant dans sa baignoire, non, mais le nom d’un lieu affabulé, un lieu d’att

Le goudron retrouvé - extrait - août 2021

Quelque part dans les étagères de livres se trouve le Quiet Days in Clichy de Miller qui est cité comme un modèle dans une interview de Lawrence Osborne au sujet de son livre Bangkok Days. C’est donc de Quiet Days in Bangkok dont il s’agit, mais pas vraiment, pas trop. > “As I write, night is falling and people are going to dinner. It’s been a gray day, such as one often sees in Paris. Walking around the block to air my thoughts, I couldn’t help but think of the tremendous contrast between the two cities (New York and Paris). It is the same hour, the same sort of day, and yet even the word gray, which brought about the association, has little in common with that gris which, to the ears of a Frenchman, is capable of evoking a world of thought and feeling.” >  > Henry Miller 
 Mais au final, pas la moindre trace de Quiet Days dans les étagères à la maison, livre qui doit pourtant bien se trouver quelque part. Il y a bien Gertrude Stein qui dort avec Paris, France, Hemingway ave

Pieuvre et écriture impériale - extrait - avril 2022

Auvers-sur-Oise à Tamagawa. Il parlait peu. Généralement il exprimait ses idées par de petites phrases sentencieuses et dites d’une voix douce. Depuis la Révolution, époque à laquelle il attira les regards, le bonhomme bégayait d’une manière fatigante aussitôt qu’il avait à discourir longuement ou à soutenir une discussion. Ce bredouillement, l’incohérence de ses paroles, le flux de mots où il noyait sa pensée, son manque apparent de logique attribués à un défaut d’éducation étaient affectés et seront suffisamment expliqués par quelques événements de cette histoire. Eugénie Grandet - Balzac
 L’ex-premier ministre Shinzo Abe ne peut pas avoir écrit la tribune intitulée « L’heure est venue pour les Etats-Unis de faire clairement savoir qu’ils défendront Taïwan face à la Chine » parue dans Le Monde. Il ne peut pas l’avoir écrite, il ne peut pas avoir utilisé le terme _clairement_ はっきり, non pas seulement parce que comme tout homme de réseau et d’influence il a autre chose à faire que d’écr

Ecrirea.tokyo session #22

Ecrirea.tokyo session #22 samedi 30 avril. Voir Ecrirea.tokyo

Exfiltrer la libellule - extrait

Cette libellule noire qui s’était introduite dans l’appartement hier soir par mégarde à l’occasion d’une fenêtre ouverte juste quelques secondes nous aura accompagnés toute la soirée. D’abord inquiets qu’il ne s’agisse d’un insecte à dard, nous avons vite reconnu que ce n’était qu’une libellule, bruissante d’ailes délicates, en mode panique, virevoltant à grande vitesse dans le salon. Elle s’accrocha à divers points en hauteur. Elle aimait particulièrement le cadre d’un tableau posé sur une bibliothèque. Une libellule cultivée. Elle s’est posé un temps sur la plinthe du perron de la porte de la salle de bain, au risque de se faire écraser. Cherchait-elle un lieu d’ablutions? On se demandait comment l’attraper pour la libérer dehors, mais nous étions dépourvus d’outil. Cela faisait longtemps que le filet à papillons avait disparu, transmis sans doute à quelqu’un de plus jeune. Entre-temps, la libellule s’était entichée des rainures d’aération de la porte de la salle de bain pour y reste

Tokyo: Maigret prend le tram - Janvier 2020

Maigret était bougon, excédé. Janvier connaissait bien le Japon. Il avait traversé le carrefour de Shibuya vingt fois et en extase il y a bien longtemps, avant d’entrer dans le métier. Pour Maigret, c’était le premier voyage, le premier vol interminable de douze heures. Janvier connaissait encore mieux son patron que Shibuya, mais c'était la première fois qu'il le voyait sortir de ses gonds, de son air bonhomme des jours ordinaires aux Orfèvres. Maigret maugréait dans le silence de la ruelle sombre ou des silhouettes les dépassaient ou les croisaient comme en rasant les murs. Son mécontentement accumulé lors d’une journée trop remplie venait de déborder le vase de sa patience, une faïence très profonde et solide pourtant. Non, ça, Janvier n’avait jamais vu Maigret ainsi. - Janvier, je suis à bout, sur les rotules mentales. Va encore que de retirer ses chaussures pour manger au restaurant, Vous m’aviez prévenu. Va encore de devoir plier et exposer mon corps plus vraiment souple