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Le goudron retrouvé - extrait - août 2021



Quelque part dans les étagères de livres se trouve le Quiet Days in Clichy de Miller qui est cité comme un modèle dans une interview de Lawrence Osborne au sujet de son livre Bangkok Days. C’est donc de Quiet Days in Bangkok dont il s’agit, mais pas vraiment, pas trop.

> “As I write, night is falling and people are going to dinner. It’s been a gray day, such as one often sees in Paris. Walking around the block to air my thoughts, I couldn’t help but think of the tremendous contrast between the two cities (New York and Paris). It is the same hour, the same sort of day, and yet even the word gray, which brought about the association, has little in common with that gris which, to the ears of a Frenchman, is capable of evoking a world of thought and feeling.”
> Henry Miller
Mais au final, pas la moindre trace de Quiet Days dans les étagères à la maison, livre qui doit pourtant bien se trouver quelque part. Il y a bien Gertrude Stein qui dort avec Paris, France, Hemingway avec son chagriné A Moveable Feast.

Quelques moments de bravoure d’Osborne.
 Lisez le livre intégral.

> “When a foreigner moves into a city he doesn't understand, he prides himself on acquiring an esoteric knowledge of its hidden crannies. He thinks he is the only one to know a certain tiny bar or an ancient mango tree standing by a canal hidden behind a laundry. Why do these things matter so much to him? Does he really think he is the only one who has noticed them?”

(…)

> “If I had not discovered the world of Amarin, I would never have stayed in Bangkok. There are places that are incapable of prettifying their pasts for an ulterior motive, that cannot preserve anything consciously. In Paris, with all its immaculate restorations, I would feel guilty and exposed: not perfect enough. In Bangkok, one can decay freely.”

Le lourd catalogue de l’exposition Cartier-Bresson Revoir Paris - petite envie peu concevable ces temps-ci - même si heureusement, le Delta ne fricote pas avec le J.O. qui sont des variants distincts. Mauvaise reproduction des photos. Intentionnelle? Est-ce la qualité du papier? De Cartier-Bresson qui ne m’apparaît pas très sympathique, c’est le goudron, les trottoirs, le métro suspendu du côté de Stalingrad qui résonnent, un peu comme le pont de fer dans la perspective de Minowa où déambulant dans les artères calmes et étroites écrasées de soleil - risque d’usage répété en cette saison de cette expression comme Gautier et sa chaleur espagnole de four à chaux - la veille et les jours à venir, j’ai eu l’intuition comme jamais que le contentement du quartier Minami-Senju est à élucider dans le réconfort du savoir qu’ici se trouve une similitude d’avec le goudron d’enfance, celui des chaussées, des ruelles de Paris, plus encore sous la chaleur estivale, car ce sont à Minami-Senju aussi des ruelles à jouer. Sortir la patinette et les patins à roulettes, s’il y faisait moins chaud en tout cas. Ce n’est pas le temps mais le goudron retrouvé.

(…)

Quand j’ai commandé le set de tempura chaud et de nouilles de soba froids hier, la dame m’a prévenu avec un sourire que cela allait prendre un peu de temps ce qui est bon signe, que les tempuras sont frits à la commande et pas à l’avance. On perçoit les sourires derrière les masques au point que je n’ai aucun souvenir si elle en portait un ou pas; probablement en portait-elle. Et effectivement et sans consulter l’écran, je pense avoir attendu agréablement un quart d’heure. Aragon, un livre, y était. 

Ce que je retiens de Bangkok Days, c’est une sorte de nouveau livre qui apparaît au milieu de l’ouvrage, une accélération, un changement d’humeur un peu déconcertant. Mais l’écrivain n’a pas à être totalement cohérent, tout comme la vie. Osborne est au mieux de sa forme quand il déambule seul et relate cette solitude dès le début de l’ouvrage, soulignant plus loin pour autant qu’elle n’existe pas dans le canon bouddhique. 

> “I was a night walker. It is a loneliness which has been chosen and indeed calculated. I spent the small hours on the streets, marauding like a raccoon. I grew to like the atmosphere of stale basil and exhausted marijuana which Bangkok seemed to breathe out of invisible nostrils; I liked the girls who spin past you in the dark with the words "Bai nai?" like coins that have been flipped in a bar. I liked the furious rot”

(…)
Le personnage français qui apparaît tard dans l’ouvrage se nomme Lionel. C’est amusant ce relent d’enfance qui couve sous la cendre quand un personnage se nomme comme vous, relent d’enfance qui est l’étonnement pur de découvrir quelqu’un d’autre portant le même nom que soi qui est unique, qui pense être unique, qui n’a jamais pensé autrement d’ailleurs - jusqu’à 7, 10 ans. C’est impensée radicale que quelqu’un d’autre que soit puisse porter le même nom que soi.



Plus loin apparaît pour la première fois dans l’ouvrage un dialogue avec une femme thaïlandaise, et un peu plus loin avec un médecin thaïlandais. Jusqu’alors, les Thaïlandais n’étaient que des éléments du décors. Mais n’est-ce pas le lot de la littérature d’expatriée que d’être dedans dehors et de laisser de côté les locaux qui souvent les laissent auusi de côté?