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Soit une boucle - extrait





Voici une collection de ce que je nommerai désormais des boucles, des boucles de Tokyo. 

Prenons-en une au hasard pour comprendre de quoi il s’agit.



Figurent sur ce schéma quatre noms de lieux qui constituent des territoires que j’apprécie particulièrement. Ils sont associés par des liens que je nommerai dorénavent _liens de désirs_. Ces liens associent des quartiers qui méritent à mon sens et selon mon expérience d’être vécu en succession lors d’une journée de déambulation et de plaisirs. Ce sont des liens de désirs, une forme de marquage d’incitation à cheminer de façon contigue d’un territoire désirable à un autre. Un lien de désir relie donc au moins deux territoires mais pas nécessairement proches. La longueur d’un lien n’a pas valeur d’exactitude en terme de distance et positionnement géographique même si généralement la verticale vers le haut de la page signifie la direction nord. Aborder Tokyo, mais aussi tout autre ville en évoquant des quartiers associés plutôt que des monômes - des points - est une façon efficace d’articuler la ville de façon dynamique, et de s’ouvrir ainsi à d’autres territoires. 

Un lien est de désir parce que me trouvant dans un de ces quartiers et après l’avoir apprécié à travers des promenades, sessions de repos et de consommations, rencontres avec des personnes aussi, je sais par expérience que selon le temps encore disponible, les humeurs de la météo, la saison et mes propres envies variables, je peux choisir de passer rapidement d’un territoire attachant à l’autre pour changer d’espace, d’atmosphère et de sensations, et construire ainsi des heures en villes satisfaisantes et bien remplies. Je sais par exemple qu’arrivant du train à Okubo, il m’est très plaisant de transiter vers le micro-quartier islamique situé à courte distance tout juste au nord, à Shin-Okubo. Je sais qu’il m’est assez agréable même si le paysage n’est pas lénifiant de poursuivre ensuite vers Takadanoba, à pieds, ou aussi en train sur la ligne Yamanoté, pour une seule station. Le lien qui relie Shin-Okubo à Takadanobaba n’est pas nécessairement un tronçon qui vaut la traversée à pieds plutôt qu’en train ou en taxi. C’est avant tout un lien associatif de quartiers qui me sont attachants. 

Certains territoires de transition sont parfois à éviter à pieds par manque d’intérêt, ou parce que le territoire à parcourir est clairement antipathique aux marcheurs. Pensez larges avenues vrombissantes de véhicules. Le lien est avant tout un lien de désir, car une fois satisfait d’être dans un de ces territoires, je sais que le désir d’aller ailleurs comme un vent favorable m’offre la possibilité de choisir la destination suivante en connaissance de cause, et dans l’expectative de nouvelles satisfactions.  Une journée de déambulation bien remplie est comme un menu composé: il s’agit d’agencer des plats comme des lieux dont la succession sied, conforte, réconforte, fait du bien. Une boucle indique une succession de lieux comme un menu une succession de plats, à la différence près que dans le cas des lieux, on peut éventuellement débuter par le dessert et finir par l’entrée. 

La pratique de la déambulation lucide dans ces lieux 

Ces liens de désir ne sont pas pour autant des injonctions mais des possibles; cette boucle formée par l’agencement de territoires précis n’est qu’un exemple qui m’est avant tout personnel. Elle peut tout à fait être autre, articuler par exemple Shin-Okubo au sud avec Okubo puis Takadanobaba, faire fi de Waseda à l’ouest pour poursuivre plutôt deux stations au nord vers Ikebukuro, quartier à la granularité riche et grasse, tout autre que l’indigence descriptive de la littérature touristique à son sujet. 

Exercice 1: Tracez une boucle de trois lieux situés dans votre territoire de résidence habituel, lieux que vous appréciez, qui vous sont assez familiers. La distance entre ces lieux n’est pas importante. Ce pourrait Terre- Lune - Mars, mais je vous suggère pour ce premier exercice de rester dans un ordre de distance praticable dans le cadre d’une journée. Si le nombre de trois territoires vous contraint, allez jusqu’à quatre. 
Notez que le nom d’un lieu peut être celui d’un quartier générique (par exemple Ikébukuro), d’un sous-ensemble de quartier générique (par exemple, Minami-ikebukuro ou Nishi-Ikebukuro) d’une station de transport en commun, d’une boutique, d’un café ou d’un bâtiment qui vous sert de phare quand vous pensez à ce territoire.

Exercice 2: Une fois votre boucle tracée, remplacez un des lieux d’extrémité par un autre, qui répond aux mêmes critères de familiarité, d’appréciation et de relative proximité. Vous avez maintenant en main deux schémas, deux boucles possibles parmi d’autres. Concentrez-vous sur ces deux schémas et évoquez mentalement ce que sont ces lieux pour vous, ce qui les rend attachants, des commerces précis que vous appréciez, un signe visuel incontournable, ce que vous pouvez y faire sur place. Ensuite pensez aux transitions possibles entre chacun, à pieds ou par tout autre mode de locomotion si nécessaire. Pour finir, comparez visuellement la différence, le contraste du au changement d’une des extrémités des boucles. Ressentez-vous des tiraillements, une certaine hésitation sur quelle boucle choisir à supposer que vous décidiez aujourd’hui ou demain de suivre l’un ou l’autre des périples évoqués par ces deux boucles? Si oui, vous êtes sur la bonne voie.

Les boucles de désirs sont source de tiraillements concurrentiels, l’envie d’une destination suivante entrant en concurrence avec une autre. La ville se constitue alors de boucles et multiples liens de désirs qui en font une sorte de buffet qui attise l’appétance urbaine. Vais-je à droite? Vais-je à gauche? Comment faire quand ces deux options sont aussi tentantes? C’est ainsi que je m’accapare les villes.

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