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Vers l’accessible étoile ~ Extrait - Février 2021



(…)

Mais pour en revenir à l’ouvrage de Julien Bielka, j’insiste bien qu’il ne s’agit pas de ma part d’une critique à la LinkedIn - aka _emetique.com_ - mais d’un ressenti immédiat et joyeux, nourri de _gratitude_, qui est un terme qu’il m’a remis en mémoire et en usage. En aparté parce que seules les apartés et les coïncidences valent, quelque chose de rare s’est déroulé entre nous qui renvoie - coïncidence - à cette phrase attribuée au peintre Francis Bacon que j’avais cité tantôt:

_If you can’t be rude to your friends, who can you be rude to?_

Imaginez une esclandre suivi d’un vide, d’une séparation, d’une bonne dizaine d’années. Et puis voilà que la question se pose certes aidée par un saké très correct: _au fait pourquoi on s’était engueulé?_ Amnésie de part et d’autre. Mais ce qui est important pour moi est ce qui suit, les circonstances louches d’une reprise de contact comme marchand d’abord sur des oeufs, puis la rencontre fortuite et typique dans un marchand de chaussures à Ueno où je ne trouvais pas comme d’habitude la pointure 28.5. Et puis un café chez Rim (PQ6G+G7 Taito City, Tokyo) qui est un peu cher mais avec un quelque chose d’urbain européen appréciable comme l’est la gare d’Ueno en face qui est la Gare du Nord de Tokyo.

Je tourne autour du pot pour exposer la chose suivante en partant d’un cas particulier à une réflexion étendue: rare est la possibilité de se rabibocher, non pas porté sur le tapis magique, en fait miteux et troué imbu d’un halo mystique quasi-religieux où le terme _pardon_ serait pris comme le facteur essentiel d’une reprise de contact. Car il n’en est rien. Le pardon est une perte de temps. La rancune un stigmate qui fonctionne comme l’huile sur la brûlure, d’autant plus quand elle est soulignée. Rien de pire que l’expression _sans rancune_ pour ne pas en guérir. La citer l’encourage. Le courage est donc de passer à autre chose, et reprendre un verre. Au fait pourquoi on s’était engueulé donc? Aucune idée. Et nous passâmes à autre chose. Si les conflits pouvaient se résoudre ainsi, passer à autre chose sur la base d’une franche amnésie réparatrice...

Il est impossible de lire encore plus dans un lit d’hôpital JaJa - Alfred Jarry et le Japon, et ne pas rire au risque de voir débouler une jolie infirmière se demandant si une crise d’asthme ne serait pas en cours. C’est la seule mise en garde qui devrait figurer dans le mode d’emploi. La lecture de cet ouvrage requiert le port du masque.

Dans le livre, il est question du Japon dans l’oeuvre de Jarry. Il est question par exemple d’écailles de dragon et de chaufferettes à 45 degrés qui chauffent sans fumée huit heures d’affilée, qui est l’exacte durée pour produire un litre de yaourt dans la machine ad hoc à la température proche de 40 degrés.

Dans le chapitre 10, _La bêtise de conclure_, j’ai noté ceci qui doit figurer au fronton des maisons respectables:

_Le regard de Jarry sur le Japon fait vraiment un bien fou, il change tellement de toutes les bêtises kitsch au service du soft power, des visions tronquées de weeaboos (ça se dit comme ça ?), des délires sophistiqués de penseurs en roue libre (Barthes, Lacan). Il nous invite à ne pas être esclaves des représentations convenues et à voir le monde avec un regard neuf, à habituer nos poumons à respirer l’absurde. _

Mais avant cela, il est question d’une foultitude de choses d’intérêts très contemporains, de ce _Fouzi-yama (qui) devient cependant, par glissement phonétique, le Fusil-yama_ . 

J’oserai pousser même plus avant vers un _Foutoir-yama_ mais c’est une autre histoire.

Il est question d’un phallus sur une cheminée.

_Une visiteuse lui ayant demandé s’il s’agissait d'un moulage, Jarry aurait immédiatement répondu : « une réduction ». _

L’ambition de l’ouvrage est de souligner que _Jarry était et continue à être un auteur subversif, mettant à mal les orthodoxies, par des moyens inattendus : le paradoxe placidement provocateur, la surmystification, le refus du sérieux et de la critique frontale. Pas de « cause », mais du décrochage permanent._

Mais il y a moyens et méthodes pour cela. Il y a ici dans ces pages ce quelque chose de bienveillance (pas de bisounours, non!), et de gratitude _malgré tout_, telles qu’on les ressent parfois, souvent même  chez Nathalie Quintane qui est citée. Une écriture bienveillante rend le lecteur sensible à cette dimension, potentiellement en osmose, prêt à la recevoir, comme un don. Il vous faut ce livre posséder. Et surtout le lire. Achetez le. C’est un ordre.

Sur l’auteur en fait, et malgré les lignes précédentes, on sait peu de choses. _Coïncidence_, un terme qui m’est fétiche, renvoie systématiquement à _trajectoire_ car l’alchimie de la coïncidence a besoin d’un temps, d’un lieu, de lignes. Il nous arrive étrangement parfois que nos trajectoires se rejoignent du côté de Minowa en direction de l’accessible étoile. Allez savoir pourquoi.