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Pieuvre et écriture impériale - extrait - avril 2022



Auvers-sur-Oise à Tamagawa.

Il parlait peu. Généralement il exprimait ses idées par de petites phrases sentencieuses et dites d’une voix douce. Depuis la Révolution, époque à laquelle il attira les regards, le bonhomme bégayait d’une manière fatigante aussitôt qu’il avait à discourir longuement ou à soutenir une discussion. Ce bredouillement, l’incohérence de ses paroles, le flux de mots où il noyait sa pensée, son manque apparent de logique attribués à un défaut d’éducation étaient affectés et seront suffisamment expliqués par quelques événements de cette histoire.

Eugénie Grandet - Balzac


L’ex-premier ministre Shinzo Abe ne peut pas avoir écrit la tribune intitulée « L’heure est venue pour les Etats-Unis de faire clairement savoir qu’ils défendront Taïwan face à la Chine » parue dans Le Monde. Il ne peut pas l’avoir écrite, il ne peut pas avoir utilisé le terme _clairement_ はっきり, non pas seulement parce que comme tout homme de réseau et d’influence il a autre chose à faire que d’écrire, mais parce que comme homme politique notoirement et particulièrement inarticulé, illogique, incompétent en langue japonaise et déficient en communication sensée, il ne peut tout simplement pas avoir écrit ce texte. Tout ceci ne l’empêche pas d’être un marionnettiste de pouvoir, peut-être marionnette lui-même, c’est à dire à la tête, en principe, d’un réseau, d’une cour, d’une clique et d’un staff appliqué.

Three years is a long time to leave a letter unanswered, and your letter has been lying without an answer even longer than that. I had hoped that it would answer itself, or that other people would answer it for me. But there it is with its question — How in your opinion are we to prevent war?— still unanswered.

Three Guineas - Virginia Woolf

Ou l’exemple d’une écriture à répétitions qui ne sent pas la redondance :

long time -> even longer
unanswered -> without an answer -> it would answer

Effet langoureux.

Tirer le fil, ne pas le lâcher

Takadanobaba. Jeune garçon pull bleu turquoise short long, style british old school élégant, singulier comme un Balthus dans le paysage vestimentaire casual, étui de raquettes de tennis sur l’épaule, sur le quai de la ligne Seibu.

-> Alors illico ça démarre, ne pas perdre le fil. Tout noter. Me souvient instantanément du jardin du Luxembourg pour les terrains de tennis pourtant infréquentés, ni même leurs abords tout juste frôlés, terrains de tennis qui ne figurent pas dans la listes des lieux phares, dans la liste desquels je mettrais ...

-> Lister lieux et souvenirs ...
- Le bassin aux bateaux et l’orangerie
-> creuser plus avant...
- Les ruches vers l’entrée du côté de la rue d’Assas (vérifier sur le plan la position exacte).
- Comment la rue d’Assas est associée à l’ultra-droite depuis le lycée, et que rien que l’évocation du nom mettait mal à l’aise, et que, cet écho de malaise demeure. 
- Alors que sur l’association de la rue avec l’ultradroite, que des ouï-dire, rien de vécu.

(…)

Coups sur coups

- Me revient à l’occasion Donald Ritchie. A quand le colloque intitulé “Modernisme de Ritchie”? Attendre encore 15 ans? Ce qu’il a vu, ce qu’il ne pouvait prévoir.
- Pico Iyer, A beginner’s guide to Japan. Ecriture tiède diluée dans le dashi. Cela sent son membre de secte. Je l’imagine parfaitement en kimono. Ritchie non, tout juste en yukata, dans un ryokan de province, après le bain, avant le sexe. 
- Angela Carter a vécu à Tokyo dans les années 70. Trouver et lire ce qu’elle en a dit.
- Sabrina Calvo, Melmoth Furieux. Premières pages. C’est furieux. Il faut des auteurs allochtones furieux au Japon, moins de dilués dans le dashi. Quelles sont les conditions pour que de tels auteurs apparaissent?
- Mention de American in Paris, ouvrage à venir, veine sans fin mais là illustrée. Il est sans doute temps de retourner aux sources, mais que les livres sont chers!

Expérience de vie au Japon

Mon expérience de vie au Japon n’est reflétée dans absolument aucun écrit d’expériences de vie au Japon en langue française publié entre deux pages de couvertures depuis 50 ans au moins. C’est pour le moins singulier,

Pieuvre et vascularisation

Michael Ferrier, le symbole, le personnage conceptuel, pas la personne non, mais le rôle comme que l’on dirait d’une pièce mécanique, un rouage dans une machine, sa fonction, culasse, drain, rembobineur. C’est J qui m’a mis sur la piste d’une évidence qui échappe à quiconque n’est pas dans le milieu universitaire. Pour écrire, il faut du temps, du temps rémunéré. Et en principe, quand vous êtes prof d’université, vous êtes noyé dans les cours, les tâches administratives, et selon votre statut, le devoir de pondre des écrits universitaires. Comment Ferrier fait pour être Ferrier? Car après tout, il y en a d’autres que lui, profs de littérature française dans une université japonaise. Comment fait-il pour être le quasi-unique écrivain allochtone de langue française au Japon publié? Et donc, comme ces commis voyageurs et consultants internes d’entreprises qui ont quartiers libres et budget large pour aller de par le monde et être détachés des basses tâches de bureau, à commencer par le devoir de présence, un prof illustre et qui produit des ouvrages dans les gondoles des librairies confère à l’université en question une aura qui vaut bien toutes les largesses et les libertés, dont celle d’enseigner à degré d’intensité faible, ce qui permet de participer aux colloques et consorts. Cela caresse dans le sens du ramage et provoque l’hypertrophie du jabot de l’université Chuo que de figurer à chaque fois associée à son illustrissime sensei volage pour la bonne cause intellectuelle, université qui sans cela ne serait qu’une quelconque université japonaise parmi la pléthore de telles institutions usines à fric et réseaux. 


L’autre dimension nécessaire et conséquente est celle de la pieuvre. Quand Proust en fin de recherche les voit grandis, je les perçois récemment comme des pieuvres, les tentacules figurant les multiples liens et connexions avec surtout l’ailleurs d’origine, germano-pratin dans ce cas précis, qui font de vous un pur sang hors-sol au Japon, à Tokyo, limite à Kyoto mais nulle part ailleurs sinon, avec la bénédiction d’un Sollers ou équivalent. La pieuvre avec ses tentacules pas différentes de celles dans certaines estampes pornographiques est vascularisée via ces extensions moignons mobiles et humides dans un réseau international de donnants donnants réciprocités bienveillances tactiques. C’est pour cela, après avoir décrit dans les lignes précédentes sans la moindre once de cynisme ni d’envie - même si vous lecteur en doutez certainement alors que seul domine en moi l’envie de comprendre comment la mécanique fonctionne - que tous nos hôtes de passage universitaires ou associés dans des sessions antérieures d’Ecrirea.tokyo se sont révélés être, lamento sur l’absence de temps à soi pour écrire, de potentiels auteurs allochtones aux ailes créatrices coupées par le poids du devoir professionnel et des devoirs à corriger. Et donc, c’est à ces personnes là entre autres, qu’il faudrait donner les moyens de devenir auteurs. De ce point de vue aussi, Ferrier est un épiphénomène massif de par sa singularité qui souligne la pauvreté du paysage local d’écriture allochtone dans ses formes de vie au Japon. 

Ecriture impériale

Ce qui permet de transiter vers Angela Carter qui vint donc à Tokyo en 1969 grâce à l’argent d’un prix littéraire. C’est post-séjours - deux - au Japon qu’elle aurait élaboré sur ses motivations à choisir cette contrée plutôt qu’une autre destination de par le monde : pour _faire l’expérience d’un pays dénué de judéo-christianisme_. Elle aurait pu dire, pour _goûter une autre libido_ comme le sexe est un sujet prégnant de ses écrits japonais réunis dans le livre _Nothing Sacred_. A noter aussi une intéressante thèse doctorale tout juste butinée, _Fictions written in a certain city’: Representations of Japan in Angela Carter’s work_, Snaith, Helen, Swansea University. 


Deux choses :


1. Sur l’argument judéo-chrétien, comment a-t-il suinté dans le savoir argumentaire sur le Japon qui n’est pas à soi, qui n’est pas réflexion propre, qui hantait les discours, le mien, il y a de longues années? Carter a répliqué l’idée d’où si elle n’en est pas l’auteure? Comment fonctionnent ces effets osmotiques qui font que des arguments non-lus imprègnent ses propres gloses exégétiques au point d’avoir l’impression - totalement erronée - d’y avoir sérieusement pensé? Carter, c’est donc Tokyo d’abord dans les années 70, avec une _écriture impériale_ occidentale descriptive par la hauteur. Elle eut un amant japonais deux ans d’affilés. Ecriture impériale occidentale en référence à Edouard Saïd, mais comment ne pas résister à son humour au scalpel et ses énoncés scabreux quand on pense à la rareté extrême d’études sociologiques sur le monde flottant des bars à filles au Japon? En sa qualité de femme qui y a aussi travaillé, elle expose ce qu’aucun blanc même de passage ne peut avouer. Peu de pages d’Angela Carter directement sur le Japon mais du pur jus. 


2. Et sur la vision impérialiste, et bien comme toujours mais jamais cité, c’est à mon sens la conséquence d’un regard porté sur un lieu de passage ou de résidence où la communication autochtone n’a essentiellement pas lieu. Angela Carter avait dit avoir tenté en vain d’apprendre la langue; ses rares usages de termes japonais - gloire à elle pour cette parcimonie - sont souvent truffés de fautes que les éditeurs auraient pu corriger sans que cela soit pris pour une ingérence insupportable. Et quand Carter décrit magistralement l’interaction filles clients dans un bar à filles circa années 70, c’est exactement comme rarement vécu dans les années 80.

(…)