Voir trouble à Tokyo

Un examen ophtalmologique a eu pour conséquence de mouiller le regard sur Tokyo. Une fois l’injonction de me concentrer sur le “globe”, une minuscule protubérance assez trouble qui pour moi n’avait rien d’un globe mais tout d’une montgolfière, on m’avait prévenu que les gouttes allaient troubler ma vue pendant six heures, pas une de plus ni une de moins. Progressivement, le regard devint trouble, vaporeux, mouillé et approximatif avec de trouées et dégradés, comme si une superposition de ressentis multiples, avec dans le désordre : avoir ouvert les yeux trop tôt encore que sous l’eau dans la piscine, le brouillard vaporeux d’une journée grise dégoulinante dans les rues en saison de pluie, l’effet de démarcation soudaine quand faisant coulisser la porte qui mène au bain public à l’hygrométrie surchargée, en taxi sur le siège avant alors qu’un typhon se déchaîne dehors - mais cela tout de suite rappelle aussi New York sous la pluie - et que les essuies-glaces brassent qui en mode panique ont une poésie singulière. Ce qu’il manque aux yeux, c’est un pare-brise. Dans la salle d’attente, cela n’a pas empêcher en manipulant le livre dans l’espace restreint du champ de vision et quelques regards obliques de poursuivre la lecture du dernier Eric Chauvier remarquable en ces temps de hyènes et leurs court. 7,50 euros plus 2 et quelques euros de frais d’envoi pour une semaine de délais jusqu’à livraison, à opposer après juin prochain à 7,50 euros plus probablement 10 euros au moins pour lire du papier. Mais dans l’enveloppe invisible est inclus un échange très courtois avec l’éditeur, dont le siège dans une rue parisienne n’est pas neutre et rendue tangible avec la matérialité du livre reçu. 


Mais c’est dans la rue d’ici que l’affaire fut bien intéressante avec un soucis plus prononcé que d’habitude à faire attention à sa marche - encore cinq heures à tirer dans les paquets d’embruns. Une marche soucieuse, intranquille donc, comme le ton de l’écriture souhaitée ici, à l’affût de brusques micro-inclinaisons et sautes d’humeur vengeresses du bitume, rares mais possibles. Je connais ainsi une brusque dépression invisible parfaitement vicieuse située sur le trottoir devant le vaste chantier de l’hôtel à Kudanshita qui vous joue des tours au niveau des lombaires absolument effrayants quand y passant sans y penser on fait l’expérience de l’amorce d’une chute. Cette fois-ci, en prenant par plus court via le territoire du temple, ne manquait que la pluie pour intensifier l’impression de se croire au Japon. En février, la pluie t’oublie. On sait, temple plus pluie étaient fait pour se rencontrer. 


SWET, la Society of Writers, Editors and Translators a une petite collection d’articles se référant chacun à un acteur éditorialiste ayant pratiquer dans les médias anglophones locaux ou auteur de livres. Ce qui rappelle l’évidence que l’un des rares débouchés dans l’écriture de non-fiction ici a été historiquement la chronique dans la presse japonaise en anglais, qui est donc un sujet à part entière. Mention de Donald Richie et un lien vers un texte d’une intervention en 2007 quelque part à Sannomiya à Kobé, intitulé Sixty Years of Journal Keeping. Sannomiya de nuit sous la pluie. On a déjà donné. Pas de mention précise du lieu hélas. Pour résumé, Richie vous met le pieds à l’étrier de l’écriture diaristique. Il n’y a pas à hésiter. L’intranquillité s’investit sans demander la permission. 


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