The Tokyo Moment


Retrouvé sur une étagère le livre American Expatriate Writing and the Paris Moment, auteur Donald Pizer, 1996, c’est à dire lu à peu près à cette date. 


Dans l’intitulé du titre, c’est bien sûr le Moment, parisien, qui est clé. Il y est question d’un Moment, historique, circonstancié au-delà de la question d’un auteur en particulier, son nombril. Notoirement, l’auteur décédé en 2023 ne mentionne pas même en passant d’autres moments situés dans le même temps ou presque, concernant d’autres nationalités pour qui Paris était un refuge temporaire angoissé aussi souvent dans la dèche et les risques d’assassinats. Heureux dans sa dèche parisienne apparemment juste soucieux de trouver de l’argent, l’américain Henry Miller d’origine allemande est détaché d’autres nationalités qu’il croise au même moment dans les mêmes rues et les cafés phares de la même ville, venus de l’est, et progressivement cherchant fiévreusement un ticket outre-atlantique à partir de 1933 plutôt que de mourir en traversant les Pyrénées. Il fera un crochet par la Grèce, on sait, autre moment hédoniste. Les moments peuvent ainsi être simultanés, géographiquement situés au même endroit, et exposer des circonstances de vies totalement différentes. C’est ce point précis qui ne cesse de m’étonner. Dans le livre récent sur Hannah Arendt à Paris à cette même époque, il n’est pas question de génération perdue, juste d’angoisse de perdre la vie.


Il y a un autre moment urbain de l’écriture, contemporain, très instruit, d’une mythologie en marche, celle de Berlin de la fin des années 90 qui perdure. Ce moment Berlin de l’écriture contemporaine ne semble pas être fait de souffrances particulières sinon que chez certains de malaises très personnels dans le registre rubrique santé mentale de magazines life style bobos, d’histoires de consumérisme même quand le mot n’est pas cité. 


JP au Portugal me signale que 12 000 Californiens se sont aménagés dans sa région, apparemment plus pour faire pousser des amandes que pour écrire. Et s’éloigner de la peste carnassière du pays. 


Il n’y a pas semble-t-il en ce moment plus qu’un autre de moment contemporain américain parisien de l’écriture, mais un fond classique d’expatriés qui ronronnent et se reproduisent dans le sillage historique mythifié. Une sorte de moment permanent avec des vagues, des passages de générations bien sous tous les aspects, propres sur eux, avec des institutions culturelles ronronnantes de bon goût et mamours semés sur les scènes diffusées des rencontres avec l’auteur sur YouTube où le mielleux est de rigueur. 


Un est cité pour avoir un pied à terre à Paris, Berlin et Londres. C’est le moment immobilier. Tous les fronts parés pour être dans le coup de tous les moments. 


On trouve des spécimens de ces auteurs parmi les correspondants de presse, et chez les à pieds d’oeuvres des intervenants d’ateliers d’écritures estivales à prix hédoniste considérable. D’ailleurs, comme la saison approche, on retrouve comme tous les ans à cette époque précoce les mêmes publicités sur des offres d’opportunités d’écrire à Paris, Rome, ou accessoirement New York. Berlin, petit continent à part comme si encore emmuré, ne figure pas dans ces listes, mais quand on cherche, on comprend vite à quel point le marché berlinois est bien achalandé. C’est le moment écritures créatives qui enfle. 


Un moment contemporain est consumériste et hédoniste et autoreproduit plus que dans les années vingt, mais pas si sûr que plus que cela, qui a donc tout d’un moment dès lors qu’il bénéficie d’un éclairage circonstanciel médiatisé, pas pour des raisons de guerre imminente ou d’entre deux. Pas d’atelier en zones de conflits. Ecrire dans les ruines. 


Il n’y a pas de moment d’écriture Tokyo, mais un moment Japon, totalement mythifié comme tout moment, massivement merchandisé. La littérature y est aussi de passage, en cosplay kimono jusqu’à 30 ans - au-dessus, l’accoutrement est de la stratégie -  en errance programmée d’une destination à l’autre. Séjours hyper situés sur l’échelle générationnelle au niveau du ventre. On parlera de littérature d’adolescence sans fin, avec déclaration d’amour gastronomique à l’offre des convenience store. Le paradis consumérisme bas de gamme mais propre. 


Dans le haut de gamme, les gastronomes gras qui se recrutent chez les fraîchement retraités parvenus de professions libérales font du name dropping dans des sites de discussions effrénées sur leur dernier voyage gastronomique à Tokyo-Kobé-Osaka à un âge où l’estomac n’est plus autant demandeur mais les statines veillent. On m’a fourni des copies d’écrans. C’est affligeant, indécent comme toutes name droppers’ parties, pornographique à la romaine antique. Ce n’est pas de littérature, même si c’est écrit. Ou alors, c’est peut-être cela la littérature.


Hier, croisé un citoyen d’Europe, dans sa troisième visite, en état d’ébriété hédoniste d’être au Japon. Un truc qui n’a même pas besoin d’alcool pour fonctionner, le mental faisant office d’alambic. On pourrait croire à tord qu’il faudrait se mettre au diapason de l’enthousiasme, faire cause commune, chose impossible sauf au théâtre. Il faut en fait et comme toujours tout juste tendre l’oreille aux formules consacrées en espérant que cela ne dure pas. Parce que c’est fatigant tout comme les messages connus sur le quai à Akihabara attendant la prochaine rame. Se boucher les oreilles aussi est du moment contemporain. 


Ce voyageur est allergique aux produits de la mer, (dur!) et se targue de ne manger que du tonkatsu. C’est étrange de se targuer ainsi de but en blanc entre inconnus de viande blanche, immédiatement, sans introduction aucune. 


Il a fait les comptoirs connus et étoilés, name dropping, celui où il n’y a que seize sièges avec la fameuse intonation de la chance d’avoir pu s’y régaler, un bar à saké qui ne figure pas sur Google Maps bien sûr, liquide au sujet duquel il avoue ne pas s’y connaître après trois visites. Sur sa carte est mentionné “Expert en whiskies”. Il n’a aucune question à poser sur le Japon, juste cet irresistible besoin de faire du name et de l’experience dropping. Je note son enthousiasme au sujet d’un bar à Shibuya où il est si facile de parler avec les filles sympas et gestuelles. Il a la soixantaine et respire l’individualisme d’un possible écrivain sur le tard d’une lost generation jamais perdue au comptoir de la boutique tax free comme il repart à regrets dans trois jours. Encore trois porcs panés possibles. Garder espoir.

La question du Moment est intéressante qui ne mérite pas de se lamenter ou se complaire dans le cynisme. Au contraire. 

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