Serge Cassini et la banalité de l’absurde
Addendum 24 mars 2025. Ce texte mal écrit - c’est l’auteur ici - attire étrangement le plus grand nombre d’accès de ce Journal de résidence. De lectures, probablement moins. La puissance d’un lien situé ailleurs est formidable. Sur la dimension de la durée par contre et de l’impact, on se situe au niveau de la têtre d’allumette où la flamme ne tient qu’un instant.
Le texte original.
Si vous vous intéressez au Japon et que vous n’avez pas lu au moins un ouvrage de Serge Cassini, vous avez râté votre vie. Mais ceci peut être corrigé. S. Cassini est un résident de longue date de Tokyo. Il publie des romans et nouvelles situés dans l’absurde et le fantastique ancrés tout au bord du quotidien au Japon. Un peu de Kafka, un peu de Poe.
Enfin, j’énonce cela comme un chroniqueur littéraire qui se contente de lire la quatrième de couverture et les vingt premières ligne jusqu’à la page 2.
C‘est un rare cas d’auteur allochtone. Il est sans surprise ignoré de la société des bonnes lettres japonophiles, japonofétichistes, japonolucratives et les satisfaits en pavâne. C’est déjà une absurdité en soi sauf dans le monde des lettres.
Bien sûr qu’il est facile, si pas inévitable, de tomber comme ici dans la vacuole de l’ironie faible, et il faut s’en sortir, ce qui peut se faire en exposant par exemple ces rares auteurs allochtones, en incitant d’autres à écrire - et s’autopublier - en entretenant un espace d’entre-soi ouvert où il est question de penser à voix haute les possibles hors la publiabilité des écritures, et créer du lien.
L’absurde procédurier et bureaucratique est une figure du quotidien, à condition de le percevoir de la sorte, preuve de votre incorrigible lecture permanente des événements de la vie au Japon qui vous empêche, heureusement même si dérives et déprimes à l’occasion des âges de la vie, de ne pas cesser de penser.
Comme l’efficacité est ici aussi au bout de l’absurde procédurier, protocolaire, un algorithme brut de redondance mais qui fonctionne, on ne peut pas s’en moquer totalement. Sept signatures sur le bordereau d’expédition d’un colis parfaitement acheminé, en tout cas jusqu’à réception de la poste d’une nationalité et rationalité autres à destination. Rédaction manuscrite sur une série de papiers de son nom et coordonnées à l’hôpital qui possède pourtant déjà ces données dans le dossier médical depuis des années de fréquentation.
C’est sans compter un absurde quotidien dans les services où l’absence de communication est la norme, où l’on ne s’enquiert pas de votre satisfaction, où l’on ne vous demande pas quel est le problème quand vous laissez votre verre de vin blanc infect dans l’état moins une gorgée punitive au niveau de l’epithélium oesophagique.
Ou quand, face à une résistance à octroyer l’accès à une crêche comme à Béethléem pour voir la vache et le marmot tous masqués par peur d’un virus frétillant, on évoque sans rire la possibilité de vous faire une fleur et vous laisser entrer à condition d’enfiler une combinaison de salle blanche et un masque de protection FFP. C’est du vécu récent juste un peu adapté. Il s’agissait de voir des boeufs à wagyu.
En cosplay ou déboulant déguisés en guignoles sur karts dans les rues de Tokyo ainsi transformées en parc d’attractions, les intrants aussi participent à l’absurde du grand spectacle lucratif. Mais si cela rapporte, alors, respect.
L’écriture est peut-être pour S. Cassini une autocure. Créer par soi-même des fictions qui partent en vrille dès la première ligne peut être suspecté d’être une façon de ne pas totalement perdre le nord soi-même, en bazardant sans ménagement ses personnages à l’ouest. Le démarrage en trombe dans un monde parallèle absurde, plutôt qu’un glissement progressif banal et par trop cinématographique de la normalité vers la bizarrerie située entre comique et terreur, avec selon les romans force expulsions de liquides, excrétions et bols alimentaires pas digérés, a pour conséquence d’effacer justement … la parallèle. L’absurde devient la norme, c’est à dire parfaitement normal. Un homme est évacué sans ménagement à coup de bides d’un wagon réservé aux femmes enceintes. Quoi de plus normal? On se demande même pourquoi on n’a pas encore vu cela. En tant que lecteur, on est prêt dans le wagon à lever les yeux du livre, voir des bides en action d’expulsion d’un quidam pour l’exemple, et retourner à sa lecture sans broncher. La fiction prouve les possibles.
Dans l’ouvrage Sortir du Japon en cours de lecture, quantité de fils se font enlever. Tout le monde devient fils à enlever, si ce n’est pas déjà fait. C’est une épidémie de disparitions. Cela ne prête pas à rire et ce n’est pas l’intention. Mais l’absurde est aussi pétri d’empathie. Les pères en particulier seront touchés.
Ça se trouve ici pour commencer.