Temps irréels - Version remaniée 19 juin 2024 -> 25 juillet 2024

 


####仏壇. Butsudan

En parallèle à la promesse de l’expérience d’un consumériste harmonieux de bout en bout - sans doute encore pour longtemps promesse implicite japonaise exclusive - les nouilles pas chers, les trains à l’heure, les wagons de trains immaculés et toilettes abondantes nettoyés par des précaires heureux de l’être, contemplatifs, comme au cinéma de bobos, l’invisibilité des violences et des déchets, l’invisibilité des pauvres par incapacité de lire les signes de la précarité noyés dans le derme de l’organisation, l’harmonie étant d’abord ce que voit et expérimente le consommateur au bout de la chaîne de services, les derniers 10 mètres de cette chaîne, à côté de laquelle se trouve un tracé perpendiculaire.

On peut en faire l’expérience par exemple à Kappabashi où à côté des couteaux affabulés par les garçons, et la vaisselle un peu moins par les filles, se trouvent des éléments clés du commerce de la mort. Des temples bien sûr avec de petits cimetières attenants, et pour certains ces grilles de fer forgé à l’entrée digne de celles des châteaux enchantés et demeures seigneuriales oligarchisées européennes où dorment les princesses. 

Et puis il y a les magasins de 仏壇 butsudan, les autels consacrés aux ancêtres, ces interfaces tangibles entre ici et là-bas confinés dans le privé des maisons et en voie de disparition. Il y a depuis l’an passé un livre issu d’une thèse sur le domaine au presses de l’Université de Chicago, auteure australienne nommée Hannah Gould, ouvrage intitulé When Death Falls Apart, un de ces livres qui propulse le lecteur dans le quotidien et le fait social japonais en zappant toute la ménagerie affabuliste. Anthropologie enfin purgée d’orientalisme, nouvelle génération, donc immersion dans les milieux avec des touches d’exposition de belle facture narrative, conséquence d’avoir travaillé chez des fabricants de butsudan et des funérariums. 

Aussi, anthropologie féminine, d’auteure femme donc, facteur que je suspecte d’être un atout. Il y a un quelque chose à la fois de résolument moderne, académisme mâtiné de touches de journalisme, rigueure mais pas rigidité scientifique, avec, louée soit l’auteure et il faut soi aussi faire de même, la graphie des mots japonais introduits en écriture japonaise dans le texte. J’ai compté une vingtaine de ces magasins sur la route 463 entre Ueno et Tawaramachi, avec une concentration particulièrement dense au niveau du carrefour Kikuyabashi, où l’énorme effigie d’un chef toqué indique l’entrée de la rue des vaisseliers. Il suffit de  tourner le dos à toutes ces marmites, et ouvrir les yeux pour distinguer clairement une tout autre dimension. 


### Tu sais que

Tu sais que quelque chose a changé quand tu penses à la mort, pas seulement la tienne, mais aussi celle bien plus lointaine on l’espère de sa progéniture, mais avant cela l’incompressible incompréhensible peine que tu vas infliger. Comment ne plus être là malgré tous les exemples connus? 

#### Erreur


De ma part. Lafcadio Hearn s’épanche bien sur les odeurs, une odeur, celle de l’encens. 

Les senteurs sont évoquées dans l’introduction du fameux texte My First Day in the Orient, comme Henry Miller avec First Sunday in Paris, Hearn en pousse-pousse à Yokohama et Miller à Paris à pied. Hearn rappelle les recommandations de Basil Hall Chamberlain de prendre notes de ses premières impressions éphémères, ce qui fait écrire à Hearn la courte phrase finale de son introduction de la sorte :


_The first charm of Japan is intangible and volatile as a perfume._


Autant pour l’olfactif.


Chez Hearn donc, jusqu’avant d’atteindre bien plus tard dans le chapitre un certain temple, tout le charme perçu et énoncé est totalitairement visuel, graphique, indigo, la texture des matériaux telle que perçue par la rétine à commencer par le bois. Son tireur de pousse-pousse a beau transpirer avec profusion, il n’y a aucune mention d’odeurs corporelles, mais cela se passe au printemps et le vent mentionné est clair et sec, peu porteur pour ces notes là, mais très porteur pour les aliments cuits, les remugles de fermentations multiples. Ne cuit-on donc rien aux pas de portes des boutiques? Hearn est orientalisé comme on dirait “vampirisé sous le charme”; il énonce des descriptifs enchantés dont certains perdurent. Il est un des premiers arpenteurs blancs de la ville japonaise fiévreux de risquer d’oublier un souvenir. Il va influencer sur le temps long, bien au-delà de sa disparition, mais n’est pas influenceur. La référence à une senteur spécifique apparaît donc bien après dans ce chapitre premier à l’intérieur d’un temple.  


_On the steps I take off my shoes; a young man slides aside the screens closing the entrance, and bows me a gracious welcome. And I go in, feeling under my feet a softness of matting thick as bedding. An immense square apartment is before me, full of an unfamiliar sweet smell—the scent of Japanese incense (..)_


Cette odeur est peut-être majeure au point qu’il n’attribue aux tatamis qu’une qualité tactile ressentie sur la plante des pieds, mais aucune odeur pourtant essentielle et singulière de ce sol là. Mais bon, il a bien senti quelque chose. A Joyful à Minowa, cela fait bien cinq ans que le marchand de légumes fermentés pestilenciels a fermé. 

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