Accéder au contenu principal

Tokyoïte



La perception des évènements étant affaire personnelle, il est normal que le script diffère selon les participants. Je n’ai aucun souvenir par exemple de cette session d’Ecrirea.tokyo où l’on s’est exercé en silence à l’écriture chronomètrée chacun dans son coin. J’ai bien le souvenir que ceci a eu lieu, mais pas du tout ce que ce jeu a produit, ni même ce que j’ai pu y écrire, étant invariablement désarçonné par les examens, les interviews, les défis en tout genre, les compétitions, les courses de vitesse ou de fond, les machins d’endurance, tous les types d’exercices dans un temps donné, l’écriture sous conditions. Tout ceci me dégoûte. Je ne pourrais pas participer à un atelier d’écriture. Je ne voudrais pas en produire un. Par contre, un atelier SUR l’écriture, oui. C’est bien de cela dont il s’agit avec ecrirea.tokyo.


## En prémonition d’un potentiel d’ancrage diurne à Koenji


C’est intriguant de trouver un nouveau lieu qui comme les Amériques n’a pas attendu la visite de son Altesse-Moi pour exister sans la présence essentielle de mon nombril. Rainbow Café à Koenji est un lieu à identité marquée, enfumé donc insalubre, staff très gentil, mais un lieu avec le présage, la possibilité de l’éventualité d’un ancrage.


## Ecriture temps


L’écriture sur le temps long est l’exact opposé de ce que vous lisez ici. Rarement reprises, rarement mitonnées sur la durée, ces phrases sont dans la majeur partie des cas postés dans la volée. Et quand ce n’est pas le cas, les modifications ultérieures ne sont pas drastiques, le plus souvent, sauf effacement. Quand urgence de modifications drastiques, le texte n’est alors généralement pas publié. Je souhaiterais écrire sur le temps long mais cet exercice me semble être un autre continent. 


L’écriture au presque quotidien, le journal, est-elle compatible avec la littérature? Je me retiens de trop copier-coller les énoncés que donne Joseph Andras - et ce serait oublier ce que dit à ce sujet Haoutar Harchi, et ce serait injuste mais, mais voilà, un tout petit bout. La littérature, c’est …


J.A. _C'est ce qui introduit un écart dans le langage commun, communicationnel, vernaculaire, marchand. La littérature est question de brisure, de craqûre. Un gond qui bouge. Un quelque chose qui frotte. Un mot qui ne campe pas là où on l'attendait. C'est inventer une langue dans la langue. La littérature arrive quand la rédaction s'en va. _


Il énonce aussi que l’écriture dépend du temps long. Pas que, pas que.


## Sniffer une ligne de Nakano


A l’occasion d’un passage dans la capitale d’amis qui y ont trouvé une location, je suis prestement et sans m’y poser allé sniffer seul une ligne de Nakano, ce qui reste de valide dans le quartier immédiat de la gare, donc exit le sud explosé réaménagé, exit l’ouest qui se prend pour une version light de La Défense. Restent des lignes globalement d’intérêt dont la galerie marchande bien sûr, qui tend à petites touches vers le bobo, et donc bien différente qu’à la station suivante Koenji, le trottoir parallèle à main gauche le long de la route 402, où malgré un Starbucks, perdurent des tons et des touches qui disent un passé commercial bigaré, et la longiligne succession de gargotes à main droite qui m’a semblé ne pas avoir vraiment changé de gamme. Les petites perpendiculaires étroites avec les vélos et les graffitis sont pour l’illusion d’un côté anti, ou subvertif ou alternatif qui existe peut-être encore la nuit. Il est de plus en plus difficile de prendre des photos et de ne pas se moquer du résultat. Cette petite virée qui n’a pas duré plus de 10 minutes - aucun café méritoire pour s’ancrer - fonctionne comme une pratique de requinquage géographique express. Pas d’ancrgae donc mais une façon de remettre en mémoire vive un territoire pas pratiqué. 


## Le Spleen de Paris XII Les foules


_Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affairée. _


Oui Charles.


_Il est bon d’apprendre quelquefois aux heureux de ce monde, ne fût-ce que pour humilier un instant leur sot orgueil, qu’il est des bonheurs supérieurs au leur, plus vaste et plus raffinés. _


Non Charles. Perte d’énergie Charles, perte, droit dans la vacuole de l’ironie et son corrolaire de l’inaction.


## Tokyoïte


Parmi les briques incontournables d’un début d’échange avec un inconnu qui est dans mon expérience le signe que la conversation s’arrêtera très tôt dans la courte liste des poncifs se trouve le “Vous êtes devenu japonais”, après toutes ces années, qui génère la pavlovienne tirade brève que “non, on ne le devient jamais”, et le passage sous silence de l’adverbe “heureusement”. Donald Richie, toujours lui, avait aussi son os pavlovien à ronger avec sa réponse ready-made que “si c’était le cas, je ne tiendrais pas 10 minutes”. Malgré que la question sur l’origine régionale de l’autre soit coutumière, personne ne m’a jamais dit “vous êtes devenu tokyoïte”. Peut-être que dans la psyché japonaise focalisée sur la nationalité, l’idée est incongrue, mais personne n’empêche de s’octroyer à l’unanimité une affiliation, plutôt qu’une appartenance, à une ville, celle d’une résidence longue. Dans une série d’interviews de 2018 d’Eric Hazan disparu hier, le créateur de La Fabrique répond clairement ne pas se sentir français mais certainement parisien, conséquence d’une pratique soutenue et érudite de la ville. Il mentionne dans une autre interview vue la vielle qu’il est important de savoir l’histoire de la ville pour la transmettre et ainsi, d’une certaine manière, ralentir sa métamorphose … en une ville où les vélos de location express sont verts comme partout ailleurs qui tend à devenir partout comme ailleurs. Mais cette dernière portion de phrase n’est pas de Hazan. Pourtant, il souligne une différence majeure avec le vécu ici, ou en tout cas ailleurs que Paris, qui est l’absence d’un savoir historique sinon superficielle de la cité dite Tokyo. Son histoire ne m’intéresse pas. Est-ce la conséquence d’une ville pauvre en restes, en monuments? Cette incomparabilité avec une ville européenne? Y circuler, et donc la connaître selon des choix et préférences personnelles est le lot de ce qui est accessible. C’est une connaissance du maintenant, des degrés de gris et coloris des quartiers selon les heures et les saisons, des interconnexions - très rares en continuités - entre quartiers; c’est un savoir circuler, quelque chose qui s’incrit très fortement dans le mouvement, la mobilité, donc l’hypermodernisme même dans un quartier qui ne l’est pas, une sorte de connaissance par la pratique de multiples tracés et couloirs de circulation avec des choix de trottoirs et d’angles, le savoir pratique d’un slalomeur où le facteur histoire est plus que secondaire. Ce schéma est certainement applicable dans d’autres villes non-vécues.