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Beauvais par Tokyo

Loin de Beauvais


K me contacte out of the blue. Il va passer une nuit à Beauvais, une nuit seulement avant que de retourner à l’est. Il a un rendez-vous à l’aéroport. Il me demande quoi faire à Beauvais. Je lui dis que Beauvais me rappelle l’aéroport low cost jamais traversé au sujet duquel est passé un article de presse récent, et quelque chose de l’ordre d’une église figurant probablement dans un manuel scolaire d’histoire. Mais qu’à cela ne tienne, on va construire un itinéraire Beauvais ensemble. Il a imaginé passer une journée à crapahuter vers Paris pour revenir dormir à Beauvais avant que de reprendre l’avion. Je l’en ai dissuadé. Il a besoin d’être persuadé qu’il y a suffisamment de raisons pour passer une journée à Beauvais où je ne suis jamais allé et s’éviter ainsi des heures de stress. Entre la cathédrale Saint-Pierre, le MUDO où personne ne fait la queue et l’Eglise Saint-Etienne de Beauvais, il y a déjà de quoi faire dans le tourisme culturel, même si selon le grossissement, c’est un McDonalds et une armurerie qui apparaissent plus facilement sur l’écran de la carte über-capitaliste marchande manipulatrice. 


On a beaucoup échangé sur le restaurant pour son déjeuner ou son dîner comme il ne prend qu’un repas par 24 heures. Il y a beaucoup de choix, et les mêmes nombreux choix que partout ailleurs dans les mêmes restaurants génériques des autres villes à l’uniformité caractéristique de l’époque consumériste de toutes dimensions. L’offre de nourriture en restauration est inversement proportionnelle en variété à la culture gastronomique d’un lieu tel qu’exposé dans des livres. Cela s’applique aussi au Japon. Il suffit de feuilleter les livres avec les photos pour voir tout ce qui n’est pas sur les cartes. Le chapitre menu hamburgers beauvaisien est l’incontournable comme il se doit, bien au-delà de la caricature du consommateur ventru semi-chauve précoce. Nos paysages humains de par nos corps et vetements sont aussi uniformes. 


Pour manger des légumes, on s’est rabattu sur un italien qui a des assiettes composées qui vont constituer un repas suffisant comme il mange peu. L’option brasserie classique abordable à l’intérieur fatiguée a été écartée. La photo du menu postée par un inconnu montre une litanie classique de barbaque. Ce n’est pas que K rechigne sur le carnivore mais il préfère ne pas trop. On a zappé sur le végane végétarien quand bien même Google répond par une sélection de possibles qui n’ont strictement rien de végane végétarien, suggestions abracadabrantes sur lesquelles l’insensibilité est devenue systémique malgré l’exposition d’une forme de folie qui serait encore apparente si, effectuant une requête pour un bar, on se voyait proposer une station service. 


On a écarté tous les restaurants japonais aux makis boursouflés, risibles de riz à faire éclater l’épithélium de nori. 


Pour le café classique, je lui recommande le Café de la Paix, parce que quand on est en paix, on est classique. La guerre c’est tendance. Pour lire son livre du moment, une traduction en hongrois d’un ouvrage d’un auteur français sur la philosophie de la marche, je lui ai suggéré La Paix, mais aussi les sièges à chercher dans les églises, calmantes, et si le temps est plaisant, des bancs dans les jardinets attenants. Un jardin botanique aurait fait l’affaire pour songer et lire en marchand, et en se posant sur un banc par moment, mais le seul qui m’est venu à l’esprit se trouve à Parme. 


Bon, on a bien avancé dans la constitution d’une journée à Beauvais dont je me sens de plus en plus spécialiste au point de me demander si je n’y étais pas passé il y a bien longtemps. Le passé et le possible se troublent. Toutes ces recherches fébriles dans la nomenclature d’une destination sur la base de signes, sémaphores consuméristes, ont pour conséquence de ne pas avoir envie d’aller à Beauvais, de se satisfaire de l’idée d’aller à Beauvais, sauf si y rencontrer quelqu’un, sauf si nécessité de s’enfuir de l’aéroport. je sais gérer l’idée d’un passage très peu probable un jour à Beauvais.  


Désormais détenteur d’une liste de possibles pour une journée de microtourisme sur un territoire ramassé, K ne regrettera pas de ne pas être allé à Paris distant de trois heures. Je n’ai pas trouvé de librairie beauvaisienne qui tente, hormis peut-être La Procure Visage un peu excentrée, avec son habillage de briques - ou est-ce du carrelage? - identique au petit immeuble attenant qui a un côté éminemment hexagonal. Pour le café wifi et une portion de sucré, on s’est fixé sur un établissement nommé Dole & Café qui semble offrir tout ce qu’il faut pour la connectique. Il doit remplir des papiers de divorce et le Café de la Paix n’est pas le bon plan pour cela.


En pleine nuit, j’ai le droit à un rapport partiel enthousiaste de Beauvais, en contraste avec le répulsif de l’aérogare qui est nécessairement équivalent au terminal 3 de Narita, un hangar, moins l’hygiène. Le café infecte est à 4,8 euros. La cathédrale et son pourtour est merveilleuse, le MUDO est gratuit, il n’y a personne, il n’y a personne nullepart, surtout personne en vitesse de croisière touristique; la Cesar Salad de Little Italy répond à ses besoins physiologiques réduits, la part de tiramisu grande comme trois fois ce que l’on n’escompte pas à Tokyo - ce qui est sain - est plantée d’une pipette façon seringue dans un kit offert à Noël “Je joue au docteur, pour les 6 -9 ans” - injectez votre amaretto en mode perf musculaire dans la chair de la génoise. L’hôtel Mercure est minimaliste correct. J’ai droit à des photos de la salle de bain - tient, un bidet! signe d’un ailleurs autrefois connu - en mode grand angle trompeur. 


Je suis à Beauvais, par truchement, je connais la “technique” de Beauvais qui s’apparente à la technique de tant et tant de destinations. Comme échappatoire, cette ville, son petit centre vitrine uniquement, est le lieu de décrochage parfait. Il peut ne pas y avoir de visiteurs dans les beaux lieux iconiques. L’aéroport renfloue plus que de nécessaire les pertes du budget culturel municipal. Tu vois, on finit toujours par l’horreur économique. 


Cette manipulation géographi-consumériste est une veine, mais une veine de quoi? Sortir de la vacuole de l’humour ironique de connivence. Pas une mince affaire en littérature. Eric Hazan dans ses pérégrinations parisiennes ne mentionne presque jamais les nourritures. Il n’écarte pas le commerce qui rend la ville ville, les quartiers quartiers, mais il n’en fait pas un plat. Je n’ai pas regardé la vidéo promotionnelle de la cathédrale Saint-Pierre, un peu de peur de me voir apparaître très brièvement dans le fond de l’écran.