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Reset Sugamo


S’il est une preuve que Sugamo avait disparu de la mémoire vive, c’est reconnaître que la portion de la chaussée réaménagée façon rue embourgeoisée après la sortie A4 du métro n’y était pas la dernière fois. Pour un quartier de vieux, il y a beaucoup de jeunes et de moins jeunes. Certaines enseignes de produits de bouches traditionnelles se sont offertes un lifting botox sans âme. Pas de porte ouvert pour une de nikuman comme si une boutique de téléphonie. Une autre boutique apparemment récente propose des tartelettes à 580 yens pièces de taille honorable qui ne durera pas ainsi. Pas encore de jambon de Bayonne. Une autre plus dans le ton ancien des lieux se présente comme un power spot avec une offre de traitement “à la lumière”. Un cabinet de rebouteux pour qui ne se tient pas droit est fermé à cette heure. L’impression que le nombre de boutiques vendant des sous-vêtements rouges Ferrari qui vous boostent les chakras a diminué. A la cantine Tokiwa, le riz est du vieux riz, et comme on est des vieux lascars, on le devine à la première bouchée. Le plateau repas frôle les 1400 yens. L’établissement est plein de nostalgiques locaux du triptyque riz poisson misoshiru, le washoku estampillé UNESCO dont l’énoncé passe ensuite immédiatement à l’éloge de la cuisine kaiséki du quotidien. On n’a pas fait deux pas dehors que l’on a faim, signe de bonne santé, sans doute. Plus loin un café terrasse fumeur tarte au citron sans le goût de citron, la routine. Sugamo a perdu quelque chose. La remise à jour des quartiers par une visite rapide est un jeu à risque. 

###Mais en regard des guerres et des trafics de drogues, quel est l’intérêt d’une tarte au citron? Quelle est en la dimension?


### Cherche mécène renaissant


Il ne reste qu’une douzaine d’exemplaires du livre Ecrire à Tokyo. Une douzaine, comme les oeufs. Pour la suite au long terme, créons une micro-maison d’édition Ecrire à Tokyo façon La Fabrique. Parlons-en déjà. Créons le dialogue autour. On cherche à ce sujet un mécène renaissant florentin, un Médicis s’il en reste, un qui n’est pas à 10 000 euros près. On recherche même avant et surtout un mécène du savoir associé à la création d’une maison d’édition, le comment faire concrètement. 


### Chose entendue


“On adore la nature. On est allé à Shibuya. On a vu la tour de Tokyo.”


### Hazan


Quand Eric Hazan parcoure Paris, on peut retirer de ses phrases les références historiques, et retomber malgré tout sur un discours articulé. Malgré cela, les rues nommées changent du tout au tout la prose possible sur la ville. Cela pourrait être Helsinki dont je ne connais rien. Je lirais sur Helsinki avec le même intérêt si c’était du Hazan. Hazan dans ses écrits sur Paris, et sur Balzac, donc Balzac et Paris, expose un Paris comme chez soi, un savoir, un savoir-ville, un savoir évoluer en ville, pas assez à mon goût, un savoir-ville-angles, un savoir-ville-codes considérables comme quand on connaît sa bibliothèque, un savoir ouvert, invitant, hospitalier. On sait que Tokyo n’a pas de rues nommées. On sait. Même celles qui le sont ne sont pas nommément méritoires, des ruelles commerçantes aux patronymes risibles, Joyfull, Fureai, Amazake, etc.; des avenues le plus souvent, des avenues qui admettent tout juste les piétons avec l’injonction de circuler. Il n’y a pas de banc, circulez/consommez ou disparaissez. De ceci, on sait. 


Dès lors, la gageure est simple : comment ne pas faire dans les petits portraits de daube et écrire Tokyo? Cette question est redondante, et cette redondance a de multiples raisons d’être et de multiples raisons de ne pas se lasser d’envisager la question comme l’on regarde un bibelot tenu à la main sous différents angles, reflets, couleurs, sensations et humeurs. La traversée de Tokyo, avec un travers de porc sanguinolent dans la valise de marque, à roulettes.


### De MontBell à rat


M. est une personne intéressante. Elle travaille deux fois par mois à Golden Gaï. C’est ce qui a fait tilt, l’espoir d’entendre des anecdotes sur le quotidien nocturne du lieu. Le reste du temps, elle travaille en entreprise qui est un non-sujet. Elle connait une multitude de faits sur Golden Gaï. Elle est partante pour m’introduire. Pas via La Jetée, ouf. On peut goldengaïer sans se jeter sur La Jetée, ce mausolée qu’elle ne connaît pas. Il y a au moins 280 bars me dit-elle. 


On ne peut les connaître tous. L’histoire de Golden Gaï ne m’intéresse pas. Elle est suffisamment exposée en ligne. C’est la dynamique du soir qui est le sujet, l’urbanité adulte. J’ai déjà une théorie sur le pourquoi de sa sélection à travailler deux soirs par mois à Golden Gaï, rien qu’en l’ayant vu arriver la veille au soir un peu en retard à la buvette bien bondée. 


Avec quelle aisance remarquable elle s’est immédiatement arrogée l’espace, arrogée les codes, la manière de commander, de se positionner dans l’enclos exigu. Elle sait, intuitivement, et aussi je subodore, par une expérience considérable, les codes de la nuit un verre à la main. On aurait pu la prendre pour une habituée. Je ne serais pas surpris de savoir que c’est cette aisance naturelle qui a enjoint la patronne d’un certain lieu à Golden Gaï à lui suggérer de travailler sur place deux soirs par mois. Elle est immédiatement chez elle mais sans s’imposer. Elle est immédiatement sociale. 

Elle passe d’une banalité factuelle à une autre sans arrière-pensée ni retour en arrière. 


Je ne sais comment, avec le jeune designer à côté vêtu d’une veste samué MontBell - il l’a précisé, nous a montré le logo, qui n’a qu’une seule poche pour réduire la voilure et les coûts matières - on a pu passer du sujet des moustiques qu’il est possible de dissuader au niveau des chevilles rien qu’en aspergeant un peu de spray désinfectant sur les semelles, le spray de contrôle covid, usage diffusé à la télé, découvert par un/une écolier(ère) - l’autre manière de se débarrasser des moustiques est d’attendre que la température passe à 36 degrés, ce qui met les insectes hors service - puisque vous voulez tout savoir - et passé donc des moustiques aux rats.


Je ne sais pas comment, mais on y est passé, avec aisance, détachement. On est passé sur cette question essentielle de la différence des rats de Shibuya, Shinjuku, Golden Gaï et de ceux plus petits et capables de se glisser dans un trou de 2,5 cm de diamètre - leur corps est souple - dans des quartiers moins nourrissants de la ville. N avait déjà quitté les lieux avec qui on parle aussi de banalité, mais jamais d’insectes ni de rongeurs non, des banalités qui laissent un bon souvenir, qui ont une portée narrative parce que moins nourries par les médias, plus singuliers, avec des bribes d’une histoire personnelle. 


Au retour après presque deux heures debout, j’étais rincé et étrangement désabusé de la vacuité des conversations. Pas irrité, tout juste désabusé. M m’a dit que les visiteurs étrangers à Golden Gaï sont nombreux mais beaucoup se contentent de prendre des photos dans les ruelles, dénués des codes et donc hésitant à entrer dans une gargote. Il y en a au moins 280 avec des loyers à 100 000 yens et une liste d’attente considérable. Il est question d’un réaménagement, de reconstruire et donc d’abord détruire, pour en faire un lieu encore moins authentique, encore plus authentiquement reconstitué. Des startups, des entreprises accumulent des droits de propriété en misant sur l’avenir. Quand on détruit, les rats effarés sortent.