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Tokyo : Un dimanche en métropole



A Tokyo, 1969, 1970. Angela Carter a un nez. Cela - Tokyo - sent : “la cuisine, les égouts, la lessive”. De Marunouchi jusqu’à Shinjuku, le ticket coûte 60 yens. Shinjuku est un concentré d’alcôves à services sexuels et d’alcôves pouvant mener aux mêmes services. Angela fait même un arubaito comme hôtesse de bar. Elle décrit en passant la totale théâtralité superficielle des rapports jeunes femmes titillantes hommes ouverts à la titillation, comme celles-ci s’arrêtent en pleine conversation insignifiante pour passer à une autre table et engager la conversation insignifiante avec d’autres clients qui comme les précédents ne se sentirons pas le moins du monde plaqués quand elles se déplacerons à une autre table. Angela Carter a eu un rapport sexué - donc normal - avec le Japon. Comme sa langue est l’anglais et que l’on ne va pas s’abaisser à mélanger les sujets dès lors qu’ils fonctionnent dans des domaines langagiers autres, on ne trouvera rien en terme de comparatif, par exemple, entre un Bouvier apparemment asexué au Japon - père de famille lors d’un second séjour si je ne me trompe pas - et une Angela Carter qui rencontre son futur temporaire à Fugetsudo, pour passer à un restaurant - ou à un bar - puis dans un love hotel. Oui, Angela Carter a un nez pour les odeurs du quotidien, comme Barthes, Bouvier et Hearn étaient sur ce point - si je me souviens bien - insensibles.


Tu t’imagines tout les parallèles et comparatifs que l’on pourrait tirer en sortant du schéma de la langue nationale, en lui baissant le drapeau jusqu’au chevilles?


 ####Metropolitum Tokyoïtus



Le dimanche quand seul est une gageure. La grande majorité de mes destinations du matin sont des acteurs de la vie quotidienne, la vie travailleuse, et ne fonctionnent pas pour la plupart le week-end. Dans le pire des cas si ouverture dominicale, ils deviennent de ces petites ruches affabulatoires qui attirent d’abord les Tokyoïtes avec du temps libre et précieux vers du good old time, une larme à l’oeil toujours prête à être sollicitée. Dream Coffee le samedi devenait ainsi, sauf à l’ouverture et jusqu’aux alentours de 10h, un micro-parc d’attraction ambiance “comme on n’en fait plus”, à l’opposé du café du commerce qu’il était en semaine, comme on en fait mal.


Je sais le café de Waseda ouvert tout le temps sauf au temps de la peste et du corona. La terrasse y est encore plaisante, les moustiques pas encore en folie, le staff plus inamical qu’un distributeur de tickets, bref la routine élégiaque. Ce cocon ambiance européenne, malgré le petit jardin japonais juste en face fermé le dimanche parce que le dimanche c’est fermé un jardin, fait toujours son effet, toujours. 


A ce moment se produit ce qui arrive tant de fois par jour, le jeu de l’immixtion dans le présent géographique d’un ailleurs comparatif, d’un quelque chose quelque part qui rappel ici et maintenant. L’hôtel des Grandes Ecoles rue du Cardinal Lemoine à Paris. Les photos des visiteurs essentiellement pâmés d’avoir résidé là réveillent des remugles - on encouragera l’académie à considérer le verbe remugler, quelque que chose qui bouge, qui sourde, qui n’est pas que de la nostalgie, qui dans la métropolis du XXIe siècle est totalement à réviser, qui n’est pas donc de la nostalgie puisque réactualisée ici et maintenant. La même association de lieu est réactualisée plus tard à la terrasse de Vivo Daily Stand après avoir acheté un fromage industriel turc dans le quartier multiethnique, trop délaissé ces temps-ci, ce qui est coupable folie, fromage qui devrait remplacer à bon compte la fetah industrielle grecque bien plus coûteuse. 


Ici, ce n’est pas le rayon fromage qui m’intéresse, mais le bombardement permanent, non violent, inaudible de lieux référents ailleurs entrant en résonance de par la mémoire d’évènements lointains comme proches. Et aussi d’évènements lointains mais devenus proches par l’information reçue en direct via les moyens technologiques que l’on connait.


Dans une interview passionnante de JC que j’ai menée récemment, qui verra bientôt le jour sur un écran connexe à celui-ci, il parle sans utiliser le terme d’un déplacement, d’un réattachement à la France d’abord lié à une reprise d’études supérieures menées en partie à distance, à partir du Japon. Moi, je ne veux aucun drapeau, je n’en ai jamais voulu, aucun territoire exclusif des autres sources de résonances. Cela résonne de beaucoup d’endroits mutiétatiques pour se contenter d’un lieu dit de naissance. Et puis cela évite de devenir même si malgré soi représentant homme-sandwich au service des flux internationaux alimentaires.


Le domaine de résonance, son élargissement est la conséquence de la technique. 



Dans le texte , The Metropolis and Mental Life de Georg Simmel (1903), l’auteur énonce que :


- ce qu’il y a d’unique dans la vie urbaine, c’est le conflit individuel “intérieur” permanent entre (faire montre, jongler avec, manipuler, gérer en parallèle) le détachement et l’attachement.


Il faut je pense intégrer une troisième excroissance à ce jeu originellement bicéphale : celle au sujet de laquelle le vocabulaire me manque, qui est lié à, et la conséquence de la technologie qui a introduit au présent physico-géographique d’ici des faits, gestes et signaux d’ailleurs, à la fois en direct, et aussi en réminiscence, remémorance, réactualisation, sur ce dernier point, quelque chose de la “nostalgie augmentée”, “réagencée et remise à niveau (comme un logiciel)” pour impacter le présent, et aussi les formes possibles du futur.


- Les problèmes les plus aigus de la vie moderne dérive du vouloir :

- préserver l’autonomie et l’individualité de l’existence de soi

- ceci faisant face à :

- le poids massif des forces sociales

- l’héritage historique

- la culture environnante

- la technique de vie

Alors bien sûr c’est 1903, et une remise à niveau s’impose pour intégrer l’effet d’arasement massif du néolibéralisme et du tout consumérisme marchand, du spectacle, de la sidération conséquente, de la captation de l’autonomie et de l’individualité dans cette machinerie infernale.


####Relecture



Relecture avec un crayon en main, crayon dont la pointe s’est échappé de sa gencive de bois comme une dent usagée, de Littérature et Révolution, le livre marquant de l’année en cours. C’est un livre doux comme l’amitié, et aussi puissant pour quiconque est travaillé par l’écriture. Kaoutar Harchi - en dialogue avec Joseph Andras - est citée en page 171 mentionnant parmi ses lectures d’adolescente le livre de Colette La Paix chez les bêtes : “J’ai rassemblé des bêtes dans ce livre comme un enclos où je veux qu’il n’y ait pas de guerre.” A Okubo, ça graffe.