Accéder au contenu principal

Non-récit

La calligraphie de l’immeuble Inokashira

Expériences de la vie ordinaire à Tokyo. Aucune vie n’est ordinaire. Seul l’ordinaire tranche. Pas d’aventure, de tournant soudain. Même un tremblement de terre bref l’autre matin me fait littéralement tomber du lit, mais ce n’est pas un évènement. 


Quelques lignes de Gare du Nord de Joy Sorman et abandon rapide de la lecture que je me souviens vaguement avoir tenté il y a un temps long. Il n’y a rien d’ordinaire à être invitée par un organisme culturel à déambuler librement six jours durant pour en faire une chronique de l’ordinaire. Il n’est pas ordinaire d’être accueilli dans le poste de conduite d’une locomotive ou dans le poste de commande d’aiguillages. Tout ce qui peut sortir de descriptif de ces opportunités d’exception n’est pas de l’ordinaire mais du journalisme.


Bon, ce n’est pas que ses cuisses dénudées mais ce que son profil évoque elle assise à Dream Coffee devant son compagnon très classe, élégant oreilles percées. Elle, un  quelque chose de Kiki de Montparnasse aux traits fin, de Nathalie Portman très jeune et d’Anna Karina réunies. Ce qui confirme qu’ici est le lieu idéal pour un remake de la Nouvelle Vague. En noir et blanc.

Immondice encore oubliable

Reprendre en main Kichijoji, avec des tactiques. Seconde visite à Sometime, avec une étoile en moins parce qu’au sous-sol, et une autre par l’absence standard de la moindre amabilité à touche humaine. Deux tactiques en cours : l’achat de légumes au quatre saisons de SunRoad, qui est non seulement riche de variétés, de meilleure qualité et de prix encore plus attractifs que Takano à Koenji; seconde tactique : faire un détour, aborder le nord par la sortie sud, longer la rue Suehiro direction ouest, ralentir et s’attarder plusieurs fois à noter les pancartes, les enseignes sur la troisième dimension essentielle, la verticale, poursuivre jusqu’au carrefour, passer sous le viaduc des trains et tourner encore à droite au niveau de Parco. Refaire la même chose avant que de quitter Kichijoji. 

Suehiro. Pas tant changée que cela.

Plein de choses ainsi sont glanées. Que le désastre de la transformation de la gare n’a que très peu transpiré le long de la rue Suehiro. Même quand les enseignes ont changé, ce sont les mêmes bâtisses essentiellement, et aussi le même niveau socioéconomique comme on dit. Du populaire surtout nuitard. C’est ailleurs même si tout près que ça a morflé, mais sans suinter, comme autour de l’épouvantable Yodobashi Camera ou un de ses concurrents. Je tombe sur le couloir étroit qui traverse l’immeuble Inokashira, dont je découvre le nom, et cette énorme calligraphie en vitrine qui a nécessairement plus de 40 ans d’âge, et que je découvre ainsi quarante ans après. C’est exactement ce type de rencontre qui permet de renouveler, mettre à neuf, le regard. De beaux restes vraiment. 


Sur le fronton de l’immeuble se trouve un café de la chaîne Excelsior très mal noté pour des raisons d’hygiène et de tabagisme, mais les horaires d’ouverture indique que l’établissement est ouvert dès 7 h du matin, avec une petite terrasse qui donne en plein sur le ballet des bus qui ralentissent avant de décharger leurs passagers nombreux. Se remémorer que l’axe nord-sud est essentiellement dénué de liaisons ferroviaires, et Kichijoji comme les autres stations dans la foulée sont des noeuds de transferts à traffic lourd. D’où le cortège des bus sortie sud, et l’importance des bus sortie nord dont une des conséquences et constante est le peu de circulation sur la voie qui passe devant Parco. A ce niveau, Kichijoji est un terminal autoroutier en plein air. Du point de vue de cette dynamique qui règle aussi les pas que l’on fait en déboulant au nord, absolument rien n’a changé. 

La façade de Marui devenu kitch. Elle signe le revers de la rue suehiro au sud.

Avant même la destruction disparition de la gare ancienne, deux transformations majeures avaient déjà ébranlé le ressenti autour de la station. Rappelle-toi. Tous les commerces autour et au-dessus de cette gare mochifiés en un shopping center quelconque. Tous les restaurants en sous-sol remplacés par des franchises de chaînes. Mais aussi juste un peu plus loin au nord derrière Parco qui, en tant que commerce clos avec vitrine seulement, mais rien de commercial qui déborde sur le trottoir qui est la source d’un bien-être en mode passant à la vue de la vie marchande articulée autour du petit commerce, était largement suffisant d’un point de vue de ce même passant qui n’a pas un point de vue capitaliste. 


Souviens-toi, le shopping mall Coppice dont le glauque est lui invariant comme une cicatrice pérenne. Dans la continuité de Sometime sur la rue se trouve un petit immeuble, le KK Building bien nommé, bloc de béton avec vitrine d’où l’on voit un escalier tournant qui monte à l’étage. Seule la pancarte “A louer” indique le désastre de cette construction qui rend l’adaptation de la devanture en partitions pour gargotes et comptoirs impossible alors que c’est justement cette configuration de petites devantures, petites vitrines, partiellement services de main à la main à même la rue qui est la signature du périmètre. Dans ce ratage total d’un immeuble de commerce vide - pourvu que cela dure et entretienne l’ulcère des arrogants propriétaires et investisseurs - s’expose le fait que Kichijoji au niveau compact du périmètre de la gare sur moins de 10 minutes de marche en s’éloignant, est largement indemne du boboïsme relégué à l’ouest immédiat. Et chaque fois que je passe devant le KK Building, j’invective les arrogants en silence. Bien fait pour leurs gueules!


Au sud, autour de la terrasse de l’Excelsior qu’il me faudra bientôt tester pour ses qualités escomptées de promontoire d’observation, détailler le bâti comme le commerce prouve qu’il s’agit en partie d’un équivalent de Koenji dans les coursives partant vers l’ouest au départ de la sortie nord, avec comme seule différence, la hauteur des immeubles, un étage à Koenji, entre trois ici à Kichijoji nord. Il y a même - encore - un disquaire. La densité du passage humain lui n’est pas comparable mais c’est la densité qui fait la pulsion des quartiers. La population de passage est par contre plus obédience salariés adultes. La signature alternative de Koenji y est largement absente. 


Vraiment les premiers pas mais je découvre Marcel Cohen, les factographies, un enregistrement de Pérec qui s’échauffe à la rédaction de la tentative d’épuisement et une série d’indices qui confortent l’intuition que c’est bien la non-fiction non-narrative, le hors-roman, qui me sied, et constitue l’avenue privilégiée d’autres formes d’écritures à Tokyo, à fonctions anti-fétichisation. Il s’agit de péréquiser Tokyo. Enfin, pas tout hein. Aucune chance avec Ginza, Daikanyama ou l’immonde Shibuya.


La jeune femme a 30 ans. Ils ont aimé leurs premiers quinze jours au Japon. Ils envisagent peut-être de s’installer. Ils n’ont qu’une vision touristique bien sûr. Elle est prête à lâcher sa carrière de dentiste, et donc sa carrière. Son mari c’est métier de bouche. Ça manquait tient. Ils ont fait le tour de leur région française. Le sentiment d’avoir fait le tour va donc de paire avec l’urgence de la mobilité, l’envie d’ailleurs. Les sushis ici sont meilleurs qu’à Dubaï.


La vue du recouvrement de la base de la pyramide de Menkaur en Egypte m’a immédiatement rappelé le talus en faux-vrai granite de la poussive fausse coulée verte au niveau de la station Iidabashi, tout comme ces talus devant des immeubles du glauquissime quartier Bancho, et tant d’autres exemples mornes gris comme au sommet de Surugadai à Ochanomizu. Et puis lire dans la foulée que des Japonais sont derrière cet immondice a permis de faire le lien. Boutiques beiges, talus gris, et fraises peu goûteuses dans le meilleur des cas.