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Longtemps je me suis couché de bonne heure dans mon futon



Cette thématique que nous allons aborder bientôt à Ecrirea.tokyo - écrire dans la langue autre - est un moteur de penser. 

Il y a Beckett, mais avant tout Conrad avec ce texte de 1994 découvert très récemment, THE MULTILINGUALISM OF JOSEPH CONRAD, Alicia Pousada, English Department, College of Humanities, University of Puerto Rico, Río Piedras.

En amont, il y a le translinguisme avec The Translingual Imagination, auteur Steven G. Kellman - les 60 premières pages - qui permet de couper court à toute envie de s’ébahir de ce que Ryoko Sekiguchi écrive en français, ou Yoko Tawada en allemand. Grand bien en fasse aux lecteurs. Pour l’écrivain potentiel, qui hésite peut-être, dans une langue autre, hésite parce que la procrastination est plus forte, il faut énoncer les conditions pratiques de la possibilité de ce faire, dans ce résumé essentiel du cas Conrad : 

Throughout his entire life, despite an incredible grasp of the flow and rhythm of the English language, despite a prodigious vocabulary and luxurious phrasing, despite even his own insistent claims, Conrad remained essentially a foreigner, an exile, an unassimilated outsider to the English culture and people. "His very mastery of the language, advancing from early richness and exoticism to later ease and spareness, never lost the conscious dignity of an acquired speech" (Zabel 1947: 113‑4.)

####Une extraordinaire maîtrise du flux et de la rythmique de la langue

Voilà la clé il me semble pour toute langue autre : commencer par atteindre ce stade le ressenti dans sa voix intérieure en langue autre que cela “sonne authentique”. Et de là, viser encore plus haut. 

Conrad a acquis ce sens de l’authenticité mélodique de la langue autre essentiellement à travers les lectures comme son anglais parlé était selon les jugements extrêmement accentué à la polonaise, et peu naturel. Le naturel écrit et le naturel oral sont donc à distinguer tôt dans l’apprentissage d’une langue autre. 

Je n’ai pas le sens du flux et du rythme, disons de la mélodique de la langue japonaise pour diverses raisons qu’il ne suffirait pas de seulement citer, sauf une : l’absence originelle d’incitation du corps professoral à s’impliquer dans la langue via les exercices d’oralité, pour justement chercher à s’imprégner de la prosodie. Et aussi, l’absence de modèle de bien parler. Seuls les amuseurs publics font montre d’une rythmique soutenue à défaut d’être harmonieuse. Ce qu’ils racontent m’indiffère. 

L’autre jour, visionnant la longue interview sur Lundi.matin de Félix Tréguer au sujet de son livre Contre-histoire d’Internet du XVe siècle à nos jours, je me suis dit : putain! qu’est-ce qu’il parle bien, structuré, sans à-coups et sans notes. Ce genre de modèles si vous apprenez le français avec des objectifs culturels élevés est ce qui est absent dans mon expérience dans la langue japonaise. Et donc, sans modèle et sans entraînement sur de tels modèles, on risque fort de passer à côté de la possibilité de “saisir (de manière supérieure) le flux et le rythme de la la langue”. 

La question identitaire et de public visé constitue aussi un frein majeur. Par écriture allochtone au Japon, je signifie écriture dans sa langue natale, et potentiellement écriture dans une langue moins à même de générer (trop) d’opinions peu flatteuses sur la correction de sa prose en regard des canons. Mais Ryoko Sekiguchi comme Yoko Tawada se font corriger dans leur langue autre et c’est très bien ainsi. Qu’en était-il de Beckett? De Conrad et des autres?

Il y a bien sûr l’approche si commune d’écrire dans sa langue natale et de s’auto-traduire pour garder la maîtrise du propos.

Certes.

####Bouillabaisse créole

Tout ceci n’est que bribes mais il y a un autre chapitre à considérer à condition de tenter de l’envisager dans un registre autre que le comique et la dérision, comme se coucher tôt souvent dans son futon. Actuellement, il me semble très difficile de s’extirper du comique. 

C’est un chapitre articulé en deux axes, l’écriture en créolisé japonais, à définir, et l’écriture en français fortement saupoudré de ces termes de la langue japonaise qui pénètrent dans la langue française. D’un point de vue de lectorat, les deux approches permettraient d’externaliser l’objet dit langue japonaise de l’objet territorial-culturel-ethnocentré dit Japon. Non pas d’en faire un Esperanto mais une bouillabaisse expérimentale.