Accéder au contenu principal

Institut des idées et de l’imagination de Tokyo

####Proximité-séparation

L’université de Columbia New York a une résidence académique et d’artistes à Paris intitulée Institut des idées et de l’imagination. Enfin non, pas Paris, mais plus précisemment Paris 6e et 14e. Idylle urbaine, le grand je, An American in Paris, un Paris à la W. Allen, milieu ultra-privilégié. L’intranquilité n’a pas lieu d’y être, sauf à titre privé, qui déteint sur les productions, les oeuvres, les écrits. D’ailleurs, que reste-t-il de possible dans la production artistique en l’absence d’intranquilité? Parcours butinage de témoignages de résidents, d’étudiants sages sur les photos, en stages courts, l’un évoquant son âme soudain de flâneur dans ce territoire bulle si seyant. Cette réflexion vague est apparue à la suite de la relecture de l’article sur Etel Adnan, son auteure, Yasmine El Rashidi, qui mentionne dans le texte qu’elle se trouve alors à Paris, dans cet établissement justement. J’ai voulu en savoir plus sur elle, et c’est là qu’est apparu le Reid Hall, tout un pan intellectuel historique de la haute-bourgeoisie universitaire américaine actuellement, et originellement du soutien à l’accession des femmes dans le monde académique, ce qui remonte à l’avant premier conflit mondial. A proximité se trouvent les fameux ateliers de peintres de renom, entre le cimetière de Montparnasse et le jardin du Luxembourg, où au kiosque en été de petits orchestres de jeunes américains font l’aubade, et ceci prend soudain un sens plus élargi. 

A deux pas de la librairie Tchann donc, mais aussi complètement décalé par rapport à toutes ces lectures passées sur le Montparnasse artistique des années 20-30 où la mouise et la précarité sont des éléments centraux des narrations. Je tombe d’ailleurs sur un court papier présentant cet institut, le Reid Hall, qui souligne en passant la proximité-séparation de deux mondes situés dans un même mouchoir de poche. 

Etonnante cette coexistence de bulles. Un fameux sujet qui me semble être encore peu évoqué. On n’est soi-même sans efforts particuliers sinon que la lecture à même de percevoir deux strates du palimpseste, le vécu, et le perçu par la rencontre avec des évocations d’autres vies, d’autres vécus. Le carrefour prend un autre sens soudain, étendu, et par là réactualisé, plus intéressant encore. Gertrude y est venue à pied de la rue d’Assas avec grâce et pesanteur y faire une présentation aux jeunes filles studieuses. Sur une autre strate dans le même secteur, Henry Miller lui était ici et ailleurs en même temps, qui n’avait aucune conscience de classe malgré ses accointances brèves avec une frange syndicalo-anarchiste, qui n’a pas eu d’impact me semble-t-il sur son indifférence au monde, au sens large, sinon que son moi-monde. Mais il a cité le gris de Paris.

####En partant du gris

Pas plus tard qu’hier soir, ce gris est réapparu dans le fond sonore, dans une conversation à laquelle je ne participais pas, étant occupé en cuisine. La prof de piano évoquait son récent séjour à Paris. Une première même si elle avait déjà visité d’autres villes européennes. Je ne saisis pas tout mais le ton est aux anges, de souvenirs encore vivaces d’un séjour de carte postale, très centré géographiquement. Soudain, elle évoque le gris de Paris, sa surprise et son enchantement à la texture de cette palette-ci. Exercice : en partant de l’idée de gris, se concentrer sur l’évocation, la remémoration de lieux associés. Cela fonctionne vraiment en mode flash et il faut s’accrocher pour les saisir. Me vient Maubert-Mutualité parmi d’autre, et le gris associé aux trottoirs mouillés. Puis me vient le secteur gris excentré de Zoshigaya, la galerie marchande miniature sombre Zatsuni Store, la fabrique de sembeïs Oguraya qui ne sont pas mes préférés. Que le coin soit parfois évoqué comme le Montparnasse de Tokyo est de l’ordre du hasard et de l’association vaseuses de territoires bien trop éloignés. Je ne monterai pas cette mayonnaise. L’exercice fonctionne un temps bref, au delà duquel on réfléchit trop, mais il réactualise ainsi les lieux même à distance.

####Tokyo ne devient jamais un palimpseste

C’est à dire où est absente toute possibilité d’y inscrire une association culturelle locale. Sur les deux quais de la ligne JR Sobu à la station Akihabara se trouvent des “comptoirs à produits laitiers” à boire sur le pouce, dans l’instant en attendant le train suivant. Tout visiteur de Tokyo qui veut faire l’expérience d’un ancrage historique dans le quotidien qui se perpétue au présent se doit d’y faire un arrêt pour se siffler une petite bouteille en prenant l’air indifférent d’un habitué avec ses routines au zinc. Après tout, à destination, qui a-t-il de plus authentique que cela? J’y ai inscrit une routine, d’y faire un arrêt presque systématique. De jeunes touristes asiatiques, et tokyoïtes aussi le font, le week-end, avec l’incontournable selfie. Ils sont au courant. Mais à bien y penser, sachant que ces comptoirs fonctionnent depuis 60 ans et qu’à la station suivante à Ochanomizu se trouvait (se trouve encore?) un café fréquenté par Mishima par exemple, on peut imaginer sans trop tomber dans la fiction que Mishima aussi se dirigeant tantôt à Ochanomizu y faisait une pause aussi parfois. Je n’ai jamais sur place aucune pensée pour Mishima se sifflant un flacon de lait, ni comme hypothèse, ni comme certitude. Le moment présent est le seul qui sied, qui fait sens. 

####A Tokyo … idées et imagination(s)

… la mairie contactée n’a pas pu confirmer la véracité des propos suivants de notre correspondant sur place …

… l’arrondissement d’Arakawa - le moins visité de Tokyo, le plus hors radar - oui, Adachi et Katsushika ne sont pas mieux côtés - a décidé de transformer une partie des espaces et appartements vétustes et vides situés dans la galerie marchande couverte Joyful semi-léthargique - surtout au fond - en des résidences d’artistes, artistes qui s’engagent à investir l’arrondissement pour le réactualiser et révéler ses perles évanescentes à travers des narrations situées dans la modernité, sans passer outre pour autant sur les origines et moments historiques, en se focalisant sur le populaire et les historiettes, anciennes et contemporaines. Cette pré-boboïsation qui à terme débouchera sur un développement à la Demachiyanagi à Kyoto - Delta Kyotography - mêlant le global homogénéisé café coeur de mousse en surface - au local naturellement rétro parce qu’il demeure - comme la boutique de produits secs Fujiya presque attenante - est déjà en bonne voie. On y trouve une fausse boutique de réparation de montres utilisée pour de vrais tournages de séries, une vraie boutique de miso de diverses origines régionales - Sakamoto-ya, Kojima Miso - un vrai boulanger (Omura) de recettes figées dans un passé ultra-mou nourrissant toujours le présent (ajouter la boulangerie Poéshi hors la galerie mais très proche) - Papa Noël, un vrai café de quartier de 40 ans d’âge, divers comptoirs de sucreries traditionnelles, un restaurant de soba imperturbable, un bain de quartier trop chaud, au moins deux boucheries, un Gyomusuper pas près de devenir BioCBon, encore heureux, et quantité de petites touches très locales où écluser un verre ou acheter ses poireaux. Les artistes invités seront tenus de consommer sur place et faire la cuisine avec des produits achetés dans le périmètre. 


(à suivre…)